Une autre lecture de la BD franco-belge
Posté : 06 sept. 2010, 16:37
Bon, à la demande générale, j'ai décidé de reposter mes relevés ! Et pour la peine, vous aurez quelques images en supplément !
Mais d'abord, quelques mots d'introduction:
LEFRANC: la passion métaphysique.
Après maintes tergiversations, j’ai décidé de soumettre à vos yeux d’amateurs éclairés de la BD franco-belge les compte-rendus ici présents consacrés aux albums de Lefranc. Mais ces compte-rendus s’articulent autour d’une thématique particulière : le yaoi à la franco-belge dans l’univers de Jacques Martin. En effet, ma théorie est la suivante : à l’instar de mr Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Jacques Martin est un yaoïste qui s’ignore. Et à la lumière de cette théorie, fondée sur une lecture basée sur un regard yaoi (en l’occurrence le mien), c’est une toute nouvelle lecture de l’œuvre qui se développe, dans une dimension prouvant plus que jamais l’adage selon lequel la créature finit toujours par échapper à son créateur, et in extenso, la fiction, à son auteur.
Mais d’abord, qu’est-ce que la « yaoi » me direz-vous ? Ce terme désigne, en gros, une branche du shôjô manga, les mangas essentiellement destinés à un public féminin, et dont le scénario est davantage centré sur les intrigues sentimentales que sur des rebondissements événementiels. La particularité majeure du yaoi, est que toutes ces romances sont des romances homosexuelles masculines, créées et lues dans la majorité des cas par des femmes. Certes, Martin est un homme, mais à beaucoup d’égards, sa manière narrative, et les thématiques qui lui sont chères s’apparentent au yaoi, ici à la sauce franco-belge.
On trouve donc chez Martin :
- Une certaine passivité scénaristique, qui tend à s’accroître au fil des ans avec des héros de plus en plus contemplatifs, et une attention d’autant plus accrue pour les aléas de l’âme de ses personnages.
- Des uke (prononcer « ouké ») : ce terme, issu du judo, désigne dans le yaoi le partenaire passif, il sera généralement plus candide et plus jeune que le seme. Chez Martin, Jeanjean et surtout Enak chez Alix sont de parfaits exemples de uke à la mode franco-belge.
- Le seme (prononcer « sémé ») : le partenaire actif, souvent plus imposant physiquement, plus mûr et dominateur. Chez Martin, ce serait plutôt l’apanage des méchants : on peut facilement classer Axel Borg et Arbacès dans cette catégorie.
Notez que ces catégories peuvent être fluctuantes, souvent en fonction du partenaire : ainsi, Lefranc occupera un rôle de seme avec Jeanjean, tandis qu’il sera uke avec Borg, Idem pour Alix, respectivement avec Enak et Arbacès.
C’est tout un art les codes du yaoi !
Autre notion importante issue des codes du manga : le fan-service. Ce terme désigne généralement dans une œuvre de fiction des scènes sans aucune utilité dans l’intrigue autre que celle de satisfaire les fans (d’où le nom). Un exemple courant est celui, classique, de l’héroïne montrée dans une loooongue scène de douche n’ayant d’autre but que de faire profiter les fans amateurs de ses attributs physiques. Les scènes de fan-service n’ont pas nécessairement une coloration sexuelle, mais dans le cas de Jacques Martin, c’est essentiellement autour de cela qu’elles s’articulent avec une surreprésentation de nus masculins, y compris hors du contexte (prétexte ?) de l’antiquité, puisque le fan-service martinien est assez présent chez Lefranc.
Maintenant, la question que tout le monde doit se poser en lisant ces lignes : cette « étude » est-elle sérieuse ou non ? Les deux mon capitaine ! Il ne tient qu’à vous d’adopter ces propos ou non : il ne s’agit de ma part que de proposer une nouvelle lecture de l’œuvre, une lecture alternative, rafraîchissante… et amusante. En ce qui me concerne, nombre d’albums médiocres de la série ont pris, sous la lunette du yaoiste, une coloration nouvelle et plaisante qu’une simple lecture « premier degré » (c'est-à-dire s’en tenant strictement à l’intentionnalité de l’auteur) ne m’aurait pas apporté. Le yaoi peut donner des couleurs à la vie comme à la fiction, pourquoi ne pas en profiter ?
J’emploierai aussi fréquemment dans mes relevés deux néologismes de mon invention : les martinisimes, ou martineries : c’est-à-dire des phrases en apparence anodines mais prenant un relief tout particulier dans une lecture yaoiste des bd de Jacques Martin.
Mais avant toute chose, quelques mots de Martin, à propos de la vie sentimentale de Lefranc (source : « Avec Alix », livre d’entretiens avec Thierry Groensteen) : « Des journalistes m’ont quelquefois posé des questions insidieuses sur ce ménage de garçons, auquel il faut d’ailleurs adjoindre Edouard, le majordome qui apparaît au début de L’Ouragan de Feu, et sur lequel j’ai fait l’impasse depuis lors. On ne doit pas oublier qu’au début des années 50, les femmes étaient encore bannies des bandes dessinées, et surtout des bandes réalistes. Le Lombard n’aurait jamais accepté un Lefranc marié ni, à fortiori, un Lefranc vivant en concubinage avec une compagne. Par ailleurs, une femme entraverait considérablement la disponibilité de mon héros. (…) »
Il n’y a pas que le Lombard à être de cet avis. Et j’aime bien le terme « disponibilité »… Voici déjà une première martinerie.
Là ça se gâte :
« Depuis peu, j’essaie d’introduire des femmes dans ses aventures, mais je dois rester très prudent. Lorsqu’une série est lancée sur des rails, il est très difficile de l’en faire dévier. Les lecteurs ne l’acceptent pas. »
Ouais, surtout quand ça prend des dimensions mégalithiques dans le surréalisme comme dans les derniers albums, Jacques !
Maintenant, quelques mots sur Axel Borg :
« Il fallait à Lefranc un adversaire à sa mesure. Axel Borg, avec son physique original, son élégance, ses manières aristocratiques, sa détermination froide et sa foncière immoralité (Nd Hatsu : il « s’adoucit » quand même un tantinet au fil des albums), possède l’envergure souhaitable. (…) Contrairement à Arbacès (Nd Hatsu : le sublime méchant des premiers Alix), Borg ne recherche pas le pouvoir, mais l’argent. Il est moins cérébral et plus jouisseur (sic !). »
Puis un aveu intéressant :
« De même que Lefranc partage mon attrait pour le ski et pour les voitures sportives, Axel Borg a hérité de mon amour du luxe et de la beauté. Je mets un peu de moi-même dans chacun de mes personnages, qu’ils soient parmi les « bons » ou les « mauvais ». »
Enfin, un extrait de l’analyse de Thierry Groensteen à propos de la relation Borg/Lefranc :
« Axel Borg et Guy Lefranc sont comme les deux faces d’une même médaille. Pour tous les deux, la vie est un perpétuel défi. Ils courent l’aventure pour dépasser la finitude humaine, pour échapper à sa dérisoire contingence. La fuite en avant, l’activité débordante, la pression du danger servent de remèdes et d’exutoires à leur angoisse métaphysique. La fureur de vivre définit ces deux natures faustiennes : appétence de vitesse et de savoir chez Lefranc, appétence de plaisir et de puissance chez Borg. (Hum ! Le lexique employé frise le martinisme ! Je dirai même qu’à ce niveau, il lui fait des bigoudis.)
En somme, Borg est un Lefranc qui a mal tourné. Puisée à la même source, sa volonté s’est pervertie et muée en ambition personnelle. Quand Lefranc s’épanouit en se dédiant à la communauté, Borg ne trouve à s’affirmer que dans l’élaboration désespérée de ses projets égocentriques. Le premier est une force généreuse, expansive et centrifuge ; le second, une force dévoreuse, aspirante et centripète. De là ils s’attirent comme par aimantation. (Borg le reconnaît lui-même dans les albums, et je considère ces dernières réflexions comme une variation dans la définition du rapport seme/uke !)
J’ajouterai pour ma part ceci : l’élément récurrent dans les deux grandes œuvres de Jacques Martin, c’est-à-dire Alix et Lefranc, est le triangle amoureux, s’articulant entre le héros (uke/seme), son jeune comparse (uke), et le méchant (seme), d’âge plus mûr (et non pas blet !). En l’occurrence dans Alix : Alix/Enak/Arbacès, et dans le cas de Lefranc, Lefranc/Jeanjean/Borg. La différence majeure étant que, alors qu’Arbacès n’a jamais réussi à « séduire » Alix (mais il faut dire qu’il disparaît trop vite de la série et ne réapparaît que trop loin dans un ou deux albums, et d’ailleurs, pourquoi diable mets-je des guillemets à « séduire » ?), le trio de Lefranc a lui, évolué petit à petit jusqu’à « l’effacement » de Jeanjean, au profit du couple Lefranc/Borg. L’inverse d’Alix en somme.
A présent, passons en revue les différents albums…
Mais d'abord, quelques mots d'introduction:
LEFRANC: la passion métaphysique.
Après maintes tergiversations, j’ai décidé de soumettre à vos yeux d’amateurs éclairés de la BD franco-belge les compte-rendus ici présents consacrés aux albums de Lefranc. Mais ces compte-rendus s’articulent autour d’une thématique particulière : le yaoi à la franco-belge dans l’univers de Jacques Martin. En effet, ma théorie est la suivante : à l’instar de mr Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Jacques Martin est un yaoïste qui s’ignore. Et à la lumière de cette théorie, fondée sur une lecture basée sur un regard yaoi (en l’occurrence le mien), c’est une toute nouvelle lecture de l’œuvre qui se développe, dans une dimension prouvant plus que jamais l’adage selon lequel la créature finit toujours par échapper à son créateur, et in extenso, la fiction, à son auteur.
Mais d’abord, qu’est-ce que la « yaoi » me direz-vous ? Ce terme désigne, en gros, une branche du shôjô manga, les mangas essentiellement destinés à un public féminin, et dont le scénario est davantage centré sur les intrigues sentimentales que sur des rebondissements événementiels. La particularité majeure du yaoi, est que toutes ces romances sont des romances homosexuelles masculines, créées et lues dans la majorité des cas par des femmes. Certes, Martin est un homme, mais à beaucoup d’égards, sa manière narrative, et les thématiques qui lui sont chères s’apparentent au yaoi, ici à la sauce franco-belge.
On trouve donc chez Martin :
- Une certaine passivité scénaristique, qui tend à s’accroître au fil des ans avec des héros de plus en plus contemplatifs, et une attention d’autant plus accrue pour les aléas de l’âme de ses personnages.
- Des uke (prononcer « ouké ») : ce terme, issu du judo, désigne dans le yaoi le partenaire passif, il sera généralement plus candide et plus jeune que le seme. Chez Martin, Jeanjean et surtout Enak chez Alix sont de parfaits exemples de uke à la mode franco-belge.
- Le seme (prononcer « sémé ») : le partenaire actif, souvent plus imposant physiquement, plus mûr et dominateur. Chez Martin, ce serait plutôt l’apanage des méchants : on peut facilement classer Axel Borg et Arbacès dans cette catégorie.
Notez que ces catégories peuvent être fluctuantes, souvent en fonction du partenaire : ainsi, Lefranc occupera un rôle de seme avec Jeanjean, tandis qu’il sera uke avec Borg, Idem pour Alix, respectivement avec Enak et Arbacès.
C’est tout un art les codes du yaoi !
Autre notion importante issue des codes du manga : le fan-service. Ce terme désigne généralement dans une œuvre de fiction des scènes sans aucune utilité dans l’intrigue autre que celle de satisfaire les fans (d’où le nom). Un exemple courant est celui, classique, de l’héroïne montrée dans une loooongue scène de douche n’ayant d’autre but que de faire profiter les fans amateurs de ses attributs physiques. Les scènes de fan-service n’ont pas nécessairement une coloration sexuelle, mais dans le cas de Jacques Martin, c’est essentiellement autour de cela qu’elles s’articulent avec une surreprésentation de nus masculins, y compris hors du contexte (prétexte ?) de l’antiquité, puisque le fan-service martinien est assez présent chez Lefranc.
Maintenant, la question que tout le monde doit se poser en lisant ces lignes : cette « étude » est-elle sérieuse ou non ? Les deux mon capitaine ! Il ne tient qu’à vous d’adopter ces propos ou non : il ne s’agit de ma part que de proposer une nouvelle lecture de l’œuvre, une lecture alternative, rafraîchissante… et amusante. En ce qui me concerne, nombre d’albums médiocres de la série ont pris, sous la lunette du yaoiste, une coloration nouvelle et plaisante qu’une simple lecture « premier degré » (c'est-à-dire s’en tenant strictement à l’intentionnalité de l’auteur) ne m’aurait pas apporté. Le yaoi peut donner des couleurs à la vie comme à la fiction, pourquoi ne pas en profiter ?
J’emploierai aussi fréquemment dans mes relevés deux néologismes de mon invention : les martinisimes, ou martineries : c’est-à-dire des phrases en apparence anodines mais prenant un relief tout particulier dans une lecture yaoiste des bd de Jacques Martin.
Mais avant toute chose, quelques mots de Martin, à propos de la vie sentimentale de Lefranc (source : « Avec Alix », livre d’entretiens avec Thierry Groensteen) : « Des journalistes m’ont quelquefois posé des questions insidieuses sur ce ménage de garçons, auquel il faut d’ailleurs adjoindre Edouard, le majordome qui apparaît au début de L’Ouragan de Feu, et sur lequel j’ai fait l’impasse depuis lors. On ne doit pas oublier qu’au début des années 50, les femmes étaient encore bannies des bandes dessinées, et surtout des bandes réalistes. Le Lombard n’aurait jamais accepté un Lefranc marié ni, à fortiori, un Lefranc vivant en concubinage avec une compagne. Par ailleurs, une femme entraverait considérablement la disponibilité de mon héros. (…) »
Il n’y a pas que le Lombard à être de cet avis. Et j’aime bien le terme « disponibilité »… Voici déjà une première martinerie.
Là ça se gâte :
« Depuis peu, j’essaie d’introduire des femmes dans ses aventures, mais je dois rester très prudent. Lorsqu’une série est lancée sur des rails, il est très difficile de l’en faire dévier. Les lecteurs ne l’acceptent pas. »
Ouais, surtout quand ça prend des dimensions mégalithiques dans le surréalisme comme dans les derniers albums, Jacques !
Maintenant, quelques mots sur Axel Borg :
« Il fallait à Lefranc un adversaire à sa mesure. Axel Borg, avec son physique original, son élégance, ses manières aristocratiques, sa détermination froide et sa foncière immoralité (Nd Hatsu : il « s’adoucit » quand même un tantinet au fil des albums), possède l’envergure souhaitable. (…) Contrairement à Arbacès (Nd Hatsu : le sublime méchant des premiers Alix), Borg ne recherche pas le pouvoir, mais l’argent. Il est moins cérébral et plus jouisseur (sic !). »
Puis un aveu intéressant :
« De même que Lefranc partage mon attrait pour le ski et pour les voitures sportives, Axel Borg a hérité de mon amour du luxe et de la beauté. Je mets un peu de moi-même dans chacun de mes personnages, qu’ils soient parmi les « bons » ou les « mauvais ». »
Enfin, un extrait de l’analyse de Thierry Groensteen à propos de la relation Borg/Lefranc :
« Axel Borg et Guy Lefranc sont comme les deux faces d’une même médaille. Pour tous les deux, la vie est un perpétuel défi. Ils courent l’aventure pour dépasser la finitude humaine, pour échapper à sa dérisoire contingence. La fuite en avant, l’activité débordante, la pression du danger servent de remèdes et d’exutoires à leur angoisse métaphysique. La fureur de vivre définit ces deux natures faustiennes : appétence de vitesse et de savoir chez Lefranc, appétence de plaisir et de puissance chez Borg. (Hum ! Le lexique employé frise le martinisme ! Je dirai même qu’à ce niveau, il lui fait des bigoudis.)
En somme, Borg est un Lefranc qui a mal tourné. Puisée à la même source, sa volonté s’est pervertie et muée en ambition personnelle. Quand Lefranc s’épanouit en se dédiant à la communauté, Borg ne trouve à s’affirmer que dans l’élaboration désespérée de ses projets égocentriques. Le premier est une force généreuse, expansive et centrifuge ; le second, une force dévoreuse, aspirante et centripète. De là ils s’attirent comme par aimantation. (Borg le reconnaît lui-même dans les albums, et je considère ces dernières réflexions comme une variation dans la définition du rapport seme/uke !)
J’ajouterai pour ma part ceci : l’élément récurrent dans les deux grandes œuvres de Jacques Martin, c’est-à-dire Alix et Lefranc, est le triangle amoureux, s’articulant entre le héros (uke/seme), son jeune comparse (uke), et le méchant (seme), d’âge plus mûr (et non pas blet !). En l’occurrence dans Alix : Alix/Enak/Arbacès, et dans le cas de Lefranc, Lefranc/Jeanjean/Borg. La différence majeure étant que, alors qu’Arbacès n’a jamais réussi à « séduire » Alix (mais il faut dire qu’il disparaît trop vite de la série et ne réapparaît que trop loin dans un ou deux albums, et d’ailleurs, pourquoi diable mets-je des guillemets à « séduire » ?), le trio de Lefranc a lui, évolué petit à petit jusqu’à « l’effacement » de Jeanjean, au profit du couple Lefranc/Borg. L’inverse d’Alix en somme.
A présent, passons en revue les différents albums…