L’arme absolue.
Toujours dans la continuité, jamais dans la lassitude, l’intensification des efforts d’Axel Borg pour séduire Lefranc se poursuit dans cet album riche en martinismes divers et variés.
Ne croyez pas pour autant que Martin laisse complètement de côté la relation Lefranc/Jeanjean.
En effet, si Jeanjean n’apparaît pas dans cet album, il est évoqué dès la page 10, alors que Lefranc est en compagnie d’un gentleman, qui ironie du sort ?
a les mêmes tempes blanchies qu’Axel Borg:
Lefranc, prêt à partir pour une nouvelle investigation:
«Mon seul problème c’est Jeanjean. Vais-je l’emmener ou pas ?»
Jacques Martin disait dans le livre d’entretiens « Avec Alix » que la présence de Jeanjean pouvait poser problème, et il est vrai qu’à la fin, il n’apparaît plus que de loin en loin dans les albums, seulement quand sa présence se justifie.
Nous avons une théorie complémentaire: Jacques Martin, inconsciemment, ne veut pas répéter le schéma du couple Alix/Enak, même si celui de Lefranc/Jeanjean n’est pas complètement similaire, et veut, au fil des albums, recentrer l’attention sur les liens entre Lefranc et Borg.
Et croyez-moi, amis yaoistes en herbe, vous n’allez pas être déçus !
On commence déjà par une petite martinerie, page 16 qui, hors contexte, prête à une confusion probablement calculée: imaginez Lefranc, se balandant en pleine nuit dans un cimetière, être attiré dans un bâtiment attenant par une silhouette lui disant: «Venez donc… Ne soyez pas ainsi…»
Lefranc est ensuite sauvé d’une agression certaine par un tireur inconnu. Le détail a son importance, vous verrez plus tard…
On enchaîne avec une autre belle martinerie page 20: Lefranc entrant cette fois-ci dans une grotte avec pour commentaire «Diable !! C’est profond ! ».
La subtilité de cette symbolique dont on retrouve d’ailleurs une variante dans l’album d’Alix « L’enfant grec » n’échappera pas à votre sens désormais aiguisé de yaoiste.
Mais tout cela n’est que l’apéritif précédant le baba au rhum suivi du Christmas pudding.
Les choses deviennent vraiment sérieuses page 22/23 où Lefranc découvre un billet lui donnant rendez-vous sur un rempart, signé « votre sauveur ».
Et qui voyons-nous au dit rendez-vous? Axel Borg ! Qui donc était le sauveur de Lefranc (!), et qui cette fois passe à l’offensive en exploitant le fantasme de ce dernier pour l’uniforme, en se présentant à lui –je vous jure que c’est vrai-
déguisé en officier militaire ! Rien de moins. L’échange suivant vaut aussi son pesant de capotes anglaises:
Borg:«Bonsoir cher ami… Pardonnez-moi de vous donner un rendez-vous aussi précipité, cependant c’est devenu indispensable.»
Lefranc: AXEL BORG: !
Borg: «Pour vous servir, du moins durant quelques temps ; si vous êtes d’accord… (…)»
(car Axel Borg n’est pas un violeur non plus)
Lefranc, alors que Borg s’éloigne, lui tournant ainsi le dos pour que Lefranc l’admire sous toutes les coutures: «Ça ! Si je m’attendais ! Quoique ce genre d’individu est par nature dans tous les coups fourrés ! »
Lefranc, comme toujours, roi du lexique martinien…
Comme la démonstration en militaire n’a pas suffi, Borg décide de passer à la vitesse supérieure page 24, où, à l’occasion d’une nouvelle entrevue, il arrive cette fois déguisé en prêtre !
Non ?
Si.
Lefranc semble un peu s’émouvoir. Notez dans le dialogue suivant la technique martinienne de glissement sémantique et d'ambiguïté dans la portée de certains mots choisis, ici celui de « sacrifice ».
Lefranc:«En prêtre !? Décidément, aucun sacrifice ne vous rebute.»
Borg:«Même pas celui de vous sauver la vie… Je vous suggère que durant le déjeuner, nous parlions de banalités, ensuite nous irons faire une petite promenade durant laquelle nous converserons utilement.» (Hum !)
Une heure plus tard, nous retrouvons nos deux tourtereaux au cours de la promenade en question.
Et là, Axel Borg en a marre. Marre de cette blonde frigide qui réagit à peine à toutes les parades de séduction que Lui, le grand Axel Borg daigne déployer à son égard.
Il décide alors de le rendre jaloux page 25, dans une tentative d’approche féminine dont le niveau de naturel égale celui de la prothèse mammaire commune, car franchement, un type de l’envergure de Borg en train de draguer les minettes… C’est un peu comme si Olrik se mettait au tuning, si vous voyez ce que je veux dire.
Borg: «(…) Hé ! Vous avez vu, là-bas, cette fille magnifique. Vous permettez, je vais tenter ma chance. »
Lefranc: «Ho ! Vous oubliez votre costume ! Cela ne me paraît pas être le genre d’accessoire idéal pour un tel exercice ! »
Borg, l’air soulagé, car ayant probablement compris que le problème du costume n’était qu’un prétexte:
«Ha ! Ha ! C’est ma foi vrai ! Vous voyez, la moindre distraction peut devenir dangereuse ! N’empêche, c’eût été piquant… Maintenant il faut nous quitter, c’est plus sage. Je vous fixerai un autre rendez-vous car j’aurai besoin de vous, et réciproquement*. Au revoir, mon cher. »
(*Aah, le romantisme martinien…)
Je reviens un instant sur la fille. En poursuivant ma première lecture, il s’est avéré que ce personnage devait revenir et tenir un certain rôle. Détail amusant: on ne voit clairement le visage de la minette en question en tout et pour tout qu’une fois dans l’album ! Le reste du temps, elle est vu de dos ou de loin, ce qui en dit long sur l’intérêt que nos deux princes (et Martin ?) lui portent…
Et ce ne sont pas ces derniers mots au naturel d’injection de botox qui vont me convaincre du contraire:
Borg:«Je vous laisse le champ libre: tentez votre chance ! »
(Et d’ailleurs, les double-sens étant légion chez Martin, qui nous dit que Borg ne parle pas plutôt de Lefranc et lui-même ? Hmm ?)
Lefranc, visiblement plus à l’aise dans les martineries:
« Cette ravissante va partir aussi. Bah ! Ce sera pour une autre fois ! Le devoir avant tout. »
C’est vrai ça, si les uke se mettent à devenir hétéro, où va le monde, je vous le demande, où va le monde ?
Sans oublier que la martinerie est un hobby à temps complet comme le montre la page 28 où Lefranc parle dans un
demi-sommeil:
« Euh !…M’oui… je… oui… »
Il semblerait en tous cas que les fruits issus des efforts d’Axel Borg commencent à germer, surtout quand, page 29, on voit Lefranc tâter généreusement une poutre en bois dont la symbolique subtile, à l’instar de celle de la grotte, sait flatter à coup sûr l’œil averti du yaoiste.
Et le commentaire n'arrange rien...
Les gens raffinés en question ont à leur tête Axel Borg, qui invite Lefranc à sa table, et en profite pour lancer à son tour un dialogue martinien bien senti:
Borg:«(…) Alors où en êtes-vous ? Cette nuit a-t-elle été profitable ? »
Lefranc, réagissant au stimulus: « Hum ! Délicieux !... Oui, j’ai appris pas mal de choses. »
Manque de bol, la fille évoquée plus haut rôde avec sa queue de cheval dans le coin, Lefranc et Borg doivent s’éclipser discrètement, échangeant un dernier set martinien. Savourez les différents niveaux de lecture:
Lefranc: «Axel Borg, dans cette situation trouble, vous nagez comme un poisson dans l’eau. Vous êtes vraiment un homme d’intrigues et de complots. N’oubliez quand même pas que notre accord n’est que momentané (…).»
Borg: «Je n’oublie jamais rien, cher ami. Nous avons conclu une trêve, pas davantage, mais n’en parlez pas plus qu’il ne faut… Je vous donnerai des nouvelles. »
Traduction: « Pourquoi tournes-tu autant autour du pot ? »
« Ce n’est pas que l’envie me manque d’être plus explicite, mais on nous regarde!»
Après un bref intermède avec des
cagoulés SM, page 32/33, Lefranc se trouve partie prenante d’un échange d’otage: lui contre la queue de cheval que Borg et ses complices avaient réussi à capturer pour qu’elle ne puisse plus servir la cause hétéro. Et de voir relâchée cette vermine, ça déprime Lefranc: « Dommage ! »
Mais ne vous frappez pas, nous avons aussitôt un nouvel intermède martinien entre Borg et Lefranc:
Borg: « (…) Ah ! J’y pense, je me suis permis de téléphoner à votre majordome afin qu’il mette Jeanjean à l’abri (…). »
La remarque est intéressante car le majordome en question qui apparaissait, comme Jeanjean, surtout dans les premiers albums, était aussi source de pas mal de rumeurs vaseuses… comme Jeanjean !
Lefranc:« Mais !? Vous avez donc mon adresse !?... Bien sûr, encore l’annuaire ! (…) »
Aaah, Lefranc, même sur liste rouge, vermillon, arc-en-ciel (surtout arc-en-ciel…), Axel Borg aurait remué ciel et terre pour connaître une information pareille. Peut-être même a-t-il engagé vingt détectives privés pour te suivre et prendre des photos de toi dans des situations intéressantes ? En d’autres termes, réveille-toi Guy !
Tiens, voilà d’ailleurs une raison de plus pour lui de se réveiller. Imaginez Axel Borg, le corps légèrement penché vers l’arrière, fumant son cigare les yeux fermés, d’un air rêveur et s’adressant à Lefranc en ces termes:
« (…) Ah ! Vous me serez donc toujours indispensable ! »
Oh et puis allez, c'est trop beau:
Pourquoi ne tire-t-on pas d'ex-libris de ce genre de merveille ?
A ce niveau-là, je n’appelle pas ça tendre une perche, mais un poteau en chêne massif, assez semblable d’ailleurs à celui que tripotait Lefranc quelques pages plus haut.
Mais le chef-d'œuvre de l’album se trouve page 47. Lefranc a sauvé la vie de Borg, comme Borg a sauvé la sienne. Déjà, c’est beau. Mais si voyiez la scène ! Imaginez comme cadre une colline balayée par le vent, un coucher de soleil…
Dommage que le pansement sur la tempe de Borg casse un peu l’ambiance, mais qu’importe ! Les mots reflètent suffisamment ce grand moment de romantisme qui s’y déroule.
Borg: « Curieux rapports que les nôtres: nous nous repoussons tels des pôles, et en même temps nous nous attirons comme des aimants !... (A un « i » près sur ce mot, la réputation de Martin l’a échappé belle...) Impossible d’effacer cela de nos mémoires !... (…) »
Là, Borg déroule un microfilm et le fait lire à Lefranc en le plaçant sous une loupe de forme oblongue, le tout assemblé ressemble à un
agrandisseur de pénis suédois, mais passons.
(Quelques cases après…)
Lefranc:« (…) …J’hésite à vous dire à bientôt ! »
Borg:«Laissons faire les choses, mon cher. L’essentiel est de ne pas tomber dans la routine, cette sorte de néant.»
Une autre de mes cases préférées. Notez avec quel objet tenu dans sa main droite Borg sort à Lefranc une pareille réplique...
Ce sera le mot de la fin ! J'espère avoir évité de peu la pension chez Axel Borg. Maintenant vous pouvez lire la Crypte et patienter pour l'APOCALYPSE !!!