Longtarin a écrit :gadjo a écrit :Mais, sur certains plans (la construction du récit notamment) et certains plans seulement, Dufaux tente quelque chose d'un peu différent pour la série.
Ce n'est pas du tout le cas dans Le secret des 5 lords ou le Bâton de Plutarque par exemple, où là, le scénariste se contente justement d'empiler
Interessant! Peux tu developper ? je suis incapable d'analyser un livre ou une BD! Pour moi une BD est bonne parce qu'elle ...me plait (La Palice?!

) le scénario est intéressant et les dessins à mon gout...
Nestor a écrit :Le problème est que j'ai un gros doute sur le fait que Dufaux ait tourné son récit de la manière que tu présentes dans l'intérêt du récit.
J'ai surtout l'impression que le récit "est ouvert à l'interprétation" car il y avait un nombre de pages limités et car il était + vendeur et + facile de présenter de belles images que de présenter des pages d'explication tenant plus ou moins debout.
Je me trompe peut être.
je vais essayer de répondre et développer donc, pardon par avance pour la longueur du message
attention, je ne dis pas que j'ai raison, je propose juste une manière de considérer l'album et d'essayer de le comprendre
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Comme je l'ai dit dans mon message précédent en réponse à Nestor, la forme du récit ne suit pas une trame réellement linéaire mais procède par juxtapositions de scènes parallèles apparemment
sans lien réel et qui donnent des indices épars, parcellaires et des explications + ou moins obscures sur le sens global de l'histoire.
On s'éloigne un peu de la narration "classique" au 1er degré (poursuite autour d'un objet ou recherche du "méchant", résolution d'une énigme policière, etc.) pour un récit au sens beaucoup moins évident.
Or je pense vraiment que la forme n'est pas gratuite mais sert le propos (folie, confusion) en laissant une part libre d'interprétation au lecteur.
Pour résumer (grossièrement sans doute), on est plus proche d'Andreas que de Hergé dans le fond et la forme (du moins le découpage du récit, le dessin restant au contraire très classique)
À la première lecture, si on aborde logiquement ce récit comme une histoire de B&M classique (puisque c'est un album de la série B&M), l'enchaînement des séquences et l'ensemble du récit ne fait
guère de sens. je crois qu'on est tous d'accord. On a l'impression que les scènes se suivent sans vraiment de rapports entre elles, que tout ça est gratuit, foutraque, abscons, illogique même, bien
que certains passages soient parfois très beaux grâce au dessin d'Aubin. Bref, ça donne la nette impression que ça ne tient pas debout.
Difficile tout de même de croire que Dufaux n'ait pas voulu faire autre chose qu'empiler au petit bonheur des scènes juste pour qu'Aubin nous gratifie de beaux dessins et encaisser son chèque.
Ce serait trop réducteur. J'ai beau contrairement à d'autres ne pas considérer Dufaux comme un grand scénariste, il a quand même des années de métier et a réalisé des projets ambitieux et assez
bien construits dans l'ensemble. Un assez bon faiseur d'histoires tout au moins. ça mérite donc qu'on se penche un peu plus sur cet album pour essayer de voir où il a voulu en venir.
1ère constatation :
là où la caractérisation des personnages est limpide chez Jacobs (héros, bons, méchants, traitres), tout le monde a ici un rôle assez peu clair
- l'alien peut être considéré comme une victime coincée dans son vaisseau et essayant juste de communiquer mais incapable d'y parvenir, ce qui fait de lui une menace pour l'humanité même si c'est
+ ou moins involontaire Il rend fous les humains avec qui il entre en contact (Blanks et ses soldats) ou "grillent" ceux qu'il essaie de contrôler à distance, vraisemblablement parce qu'ils ne supportent
sans doute pas les ondes qu'il leur envoie. Mais rien ne prouve que ce soit volontaire, il peut lui aussi avoir des soucis à contrôler cette onde, comme Mortimer et Evangely.
je le vois un peu comme le "Starman" de la chanson de Bowie

: "he'd like to come and meet us, but he thinks he'd blow our minds"
C'est un thème assez classique de la SF et de la littérature fantastique d'ailleurs (déjà chez Lovecraft par exemple)
On peut constater par exemple que l'alien n'attaque pas Blake, le Septimus présent lui demande de partir, c'est tout, puis l'ignore totalement ensuite.
Sa position "souterraine" n'est pas anodine non plus
- la (les) réincarnation(s) de Septimus, qui n'est qu'une réminiscence plus ou moins ratée du Dr Jonathan Septimus, agit comme un robot à la Guinea-pig obsédé par une seule idée
alors que c'est lui qui dirigeait les opérations dans
La marque jaune (il est symptomatique que Septimus dise "le maître" planche 62 alors que le maître, c'était lui pour Guinea-pig)
- les scientifiques :
Mortimer joue aux apprentis sorciers en offrant à l'alien la possibilité de s'incarner dans une version abâtardie de Septimus, ce qui va créer plus de problème qu'autre chose d'ailleurs pour tout le monde.
On est assez proche de Jacobs sur ce point, même si le fait que Mortimer suive cette pente jusqu'à l'obsession (voir son air exalté lors de sa discussion avec Blake) est assez curieuse et peu rationnelle,
surtout après sa lutte contre Septimus chez Jacobs. Nasir et Blake le mettent d'ailleurs en garde.
Scaramian aussi n'est pas exempt de tout reproche puisqu'il laisse cette menace tranquille (son étude ne semble pas l'accaparer beaucoup quand même, il a juste mis une porte blindée devant
et on n'en parle plus, un peu comme l'arche d'alliance à la fin d'Indiana Jones) et il compte la folie de Blanks et de ses hommes pour négligeable, ce qui en fait un personnage fat, assez peu sympathique
et cynique qui semble surtout obsédé par sa position de conseiller scientifique du premier ministre qu'autre chose.
- Evangely et consorts, présentés au départ comme les "méchants" sont somme toute assez minables et eux aussi rapidement débordés par les événements. Ils n'assument donc pas vraiment
non plus leur statut auto-proclamé au début de l'album. Leur ambition d'aller "Plus loin plus haut, plus fort" que Septimus, on attend encore. tout se termine par une débandade assez grotesque,
loin de la fin spectaculaire de Septimus.
- Lily Sing et les chinois disparaissent assez brutalement eux aussi. On ne peut pas dire qu'ils aient servis à grand chose sinon comme symboles vis-à-vis d'Olrik...(voir + bas)
- Olrik, LE méchant par excellence d'habitude, est ici en pleine crise existentielle (la référence au "désespéré" de Courbet) obligé de se droguer pour ne pas cauchemarder.
Il n'initie rien, il est juste celui que tout le monde veut utiliser et autour de qui tout tourne. Il redevient un cobaye.
Sauf à la fin où il agit enfin mais de façon assez étrange puisqu'il devient presque un héros qui se sacrifie pour annihiler la menace et sauver l'humanité
Quant à Blake il essaie d'agir de son côté mais il subit souvent + qu'autre chose au moment décisif. L'homme d'action qu'il est reste paralysé, ce qui ne lui ressemble guère. Il "découvre" l'alien certes
et il est un des rares à rester lucide et à ne pas suivre uniquement son petit but personnel (quoique... il part obstinément sur son idée que l'alien doit être détruit et ne va pas plus loin. Il agit comme
la caricature traditionnelle du militaire bas du front

). Mais il se retrouve incapable d'agir.
il est sauvé par l'éclair provoqué par Evangely la première fois et c'est Olrik qui détruit la menace.
Il y a donc en + de la construction à première vue assez incohérente du récit une confusion voire un renversement plus ou moins important des rôles traditionnels de chacun.
Et il n'y pas de responsable précis à tout ce foutoir finalement. Tous semblent davantage subir à des degrés divers les événements plus qu'autre chose en suivant aveuglément leurs buts respectifs et égoïstes
sans se rendre compte et/ou contrôler de ce qu'ils déclenchent autour d'eux. Et le récit a priori confus répond parfaitement dans la forme à cette confusion des personnages et des rôles qu'ils occupent ainsi qu'à
la confusion créée par les actions des différents protagonistes qui s'entremêlent (alien, onde septimus, expériences d'Evangely et Mortimer).
Et le dénouement (la fin de la crise) est obtenu par l'intervention non pas des héros mais du méchant, déjà en proie à des problèmes psychologiques et qui en perd complètement la raison, ce qui est paradoxal
et contraire aux fins traditionnelles chez Jacobs.
Tout ça pour dire que selon moi, ce n'est pas juste gratuit et mal foutu mais bel et bien volontaire de la part de Dufaux (la forme répondant au fond).
Chacun poursuit son but/son obsession dans une plus ou moins grande confusion mentale sans essayer d'avoir une vision d'ensemble et par conséquent, le récit fait de même en nous présentant des séquences
qui semblent à première vue ne pas avoir de réel lien entre elles mais qui peuvent s'expliquer et devenir cohérentes par ce biais et forment bien un tout
2e constatation :
Quantité pour ne pas dire quasi toutes les séquences voire même plusieurs cases précises renvoient directement à
la marque jaune.
Mais là encore et comme le titre de l'album l'indique déjà, à une vision déformée, inversée voire confuse de l'histoire originale.
On peut presque prendre chaque scène et trouver son équivalent dans
la marque jaune. Seulement, là où Jacobs narrait une aventure palpitante et teintée de fantastique mais de forme assez classique
(méchant mystérieux, énigme policière, poursuites, etc) avec un enchainement très logique et une histoire basés sur l'action et le suspense, Dufaux déconstruit le récit de
La marque jaune "façon puzzle"
et recase presque tout dans le désordre pour obtenir un récit surréaliste et introspectif (les scènes d'action se terminent souvent très vite et brutalement car ce n'est pas le propos)
Là encore, il est difficile de croire que c'est un hasard tant c'est systématique
NB : On a d'ailleurs là un autre degré de lecture éventuel et une autre forme de jeu avec le lecteur, selon qu'on ait lu (et connaisse plus ou moins bien)
la marque jaune
Mais plus qu'une simple "fidélité fétichiste" à l’œuvre de Jacobs dont abusent d'autres repreneurs, pour reprendre les termes de Park Lane, et même si Dufaux tombe parfois dans ce travers, ces références
constantes complètent la relative déstructuration du récit et servent eux aussi son propos : tout est (re)vu à travers le prisme de la confusion psychologique (voir la folie) des personnages
Tout ce jeu de miroirs et de faux-semblants ("counterfeiters" comme l'indique une enseigne et "Forgery" sur le triporteur planche 18, la scène de théâtre, le British Museum, la projection de l'appartement de Septimus,
etc., etc), toute cette confusion dans le récit, tous ces personnages plus ou moins détournés du rôle qu'on peut attendre dans un Blake et Mortimer pousse à considérer l'histoire sous un nouvel angle de lecture
(qui est le vrai propos de l'histoire à mon avis) : la folie, la schizophrénie, la quête d'identité, la perte des repères clairs et traditionnels dans le récit et la caractérisation des personnages
+ qu'une suite à proprement parler, tout est un jeu en référence à
La marque jaune mais dans une version abâtardie et dégénérée.
Si on adopte ce point de vue, la forme fragmentaire et le fond commencent alors à prendre sens, ce qui semble incohérent au premier abord acquiert une logique interne. Une logique assez folle évidemment puisque
c'est le propos, mais une logique, depuis les atermoiements d'Olrik en début d'album (son trauma vis-à-vis de Septimus que tentent de guérir les "jaunes", symboles de son passé glorieux d'homme d'action sûr de lui
loin de l'introspection) au comportement de l'alien en passant par les délires psychotiques et monomaniaques de Septimus et sa multiplication schizophrénique ou encore les tentatives foireuses de Mortimer et Evangely
(selon la formule célèbre : "science sans conscience n'est que ruine de l'âme")
Tout est donc construit dans cette optique psychologique de mise en abyme, références croisées et déformées à
La marque jaune, trompe-l’œil et faux-semblants et peut se résumer comme je l'ai déjà dit dans
le leitmotiv ambigu et à double-sens : "Asile !" qui émaille l'album et qui conclue la préface de Dufaux et l'histoire. Ce n'est pas gratuit ni involontaire.
Tout n'est pas expliqué noir sur blanc, certaines choses sont laissées libres d'être interprétées par le lecteur, ce qui là encore est "logique" et classique pour un récit sur la folie et les troubles de la personnalité.
2 exemples :
- l'accident de voiture planche 15 par exemple : simple coïncidence et référence à l'accident de Guinea Pig ou tentative ratée d'approche de Mortimer (qui tripatouille les ondes) de la part de l'alien ?
- Olrik se sacrifie-t-il en endossant le rôle du héros dans une sorte de rédemption ou cherche-t-il juste à se libérer égoïstement de ses problèmes existentiels ?
Je sais bien qu'on a souvent tendance depuis quelques années à exagérer l'analyse psychologique voire psychanalytique de la BD (voir les pseudos-analyses freudiennes de la personnalité de Tintin, la prétendue
homosexualité de Spirou et Fantasio ou de Blake et Mortimer et autres absurdités plus ou moins importantes du même acabit).
Je n'apprécie que très très rarement tout ça, mais je pense qu'on ne peut pas y échapper dans le cas présent puisque c'est Dufaux qui construit volontairement tout son récit autour de ce thème et nous entraine
dans cette voie. En tout cas, il est très difficile à mon humble avis d'envisager d'essayer de comprendre cette histoire autrement que sous cet angle, qu'on apprécie ou pas la démarche et le résultat.
J'espère avoir été + clair. Vous pouvez évidemment ne pas du tout être d'accord avec moi mais j'espère vous offrir des pistes de réflexion et de lecture
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Pour finir ce nouveau très long message (pardon encore), je tiens à préciser que si je donne l'impression peut-être de défendre cet album et si je reconnais dans une certaine mesure les intentions assez
ambitieuses de Dufaux, je considère que le résultat est raté.
Pourquoi ?
Parce qu'il singe trop souvent
La marque jaune sans finalement apporter grand chose de neuf, parce que son prédicat d'Onde Septimus et d'extra-terrestre ne tient pas debout, parce que son scénario
tourne un peu trop à l'exercice de style systématique et au maniérisme vide à mon goût, qu'il le rend obscur à dessein sans que cela ne se justifie forcément et parce qu'il ne parvient souvent pas à éviter le
piège de la facilité. Bref, parce qu'il a créé un récit typique d'une certaine idée de la BD moderne qui se veut profonde en jouant sur la narration, les codes et les personnages, en essayant de leur donner une
"épaisseur psychologique" mais tout cela reste assez vain.
Autrement dit, c'est une histoire qui se regarde le nombril, intéressante à essayer d'analyser à défaut d'être intéressante à lire.
Si on ajoute à ça tous les défauts déjà évoqués ailleurs (la fin bâclée notamment), ça donne un album bancal et dispensable qui n'atteint que très partiellement le but qu'il s'était fixé.
