Certes le major réagit en père adoptif outragé qui veut faire vengeance mais il me semble toutefois que l'affect le conduit à une erreur qu'un militaire et grand professionnel lié au renseignement ne devrait pas commettre. Tenter de procéder à l'arrestation de Clarke par lui-même est une faute inconcevable, puisque il risque sinon d'y perdre la vie, ce qui arrivera, nous le savons déjà, du moins que son prisonnier parvienne à le renverser et s'enfuir, pire, Benson peut être involontairement conduit à le tuer involontairement au cours de la lutte et de perdre la possibilité de l'interroger. Indépendamment de la question de savoir si Olrik n'a pas déjà battu Clarke, et si le colonel ne l'a pas fait, cette présentation du retournement de situation est pour le moins peu plausible et peu cohérente avec le personnage du major tel que nous l'avons vu se conduire jusque à présent, sinon qu'elle assure au scénario en faisant mourir le malheureux Benson de permettre "d'expliquer" pourquoi en mémoire de lui Blake et Mortimer iront habiter Park Lane.
Expliquer ! La maladie spirituelle des hommes sans imagination !
Benson est donc sacrifié sur l'autel d'une explication locative !
C'est d'autant plus idiot que, Blake et Mortimer s'ils ne sont pas dans leur profession rénumérés grassement, viennent tous deux de familles aisées, peuvent avoir reçu l'héritage de quelques vieux cousins ou avoir joui de biens transmis en donation qui leur permettent d'habiter Park Lane sans avoir eu besoin qu'un major soit exécuté par un petit traitre de pacotille sur fond de pseudo vengeance en mémoire d'un passé dont il faudra encore écrire l'histoire, nous resservant ainsi le coup de la fratrie offensée comme cela a été remarqué ce matin. Et encore une fois, était-ce si important de jouer au raisonneur comptable qui veut justifier de tout en donnant de la présence des héros à Park Lane une explication étroitement rationnelle ?
Et la poésie, et l'imaginaire monsieur Sente ? cela vous dit-il quelque chose ou bien l'écriture d'un Blake et Mortimer n'est-il pour vous qu'une affaire d'épicerie narrative ?
Qui se soucie de savoir par exemple si Hercule Poirot, ex policier belge a eu d'emblée les moyens en tant que détective étranger exilé au Royaume Uni, de s'offrir son somptueux appartement de Whitehaven Mansions ? Qui se pose la question de savoir si, même étant le meilleur détective du monde et ayant une clientèle aisée, un praticien de ce métier peut réellement vivre sur le même plan matériel et social qu'un grand chirurgien et professeur de médecine ? Madame Agatha Christie ne s'en est guère préoccupée et elle a eu raison. Mais il est vrai que tout comme Edgar P. Jacobs, Madame Agatha Christie était ce qu'on nomme un créateur et un poète.
Poirot n'habite pas Whitehaven Mansions parce que telle ou telle petite raison rationalisante de boutiquier de l'écriture le lui permet, financièrement, après analyse de son exercice comptable, mais parce qu'il
EST Poirot.
De même Blake et Mortimer n'habitent pas Park Lane à cause de la mort du major Benson et de leur lien à celui-ci, mais parce qu'ils
SONT Blake et Mortimer, archétypes de héros britanniques qui ne peuvent vivre autre part que dans un tel logement, selon la tradition poétique instaurée depuis le XIX° siècle littéraire, en un lieu central de Londres portant par exemple le nom de 99 bis Park Lane, pour cette unique raison que quand on entend : "99 bis Park Lane", on éprouve aussitôt le même frémissement musical, mémoriel et poétique qu'en entendant les mots : "221bis Baker Street" ou "Whitehaven Mansions" !
Il n'y a ni explication logique ou biographique, ni origine à cela !
C'EST UN MYTHE !
"Edgar P. Jacobs dit : Au commencement étaient Blake et Mortimer et Blake et Mortimer habitaient au 99 bis Park Lane. Edgar P. Jacobs vit que cela était bon.
Edgar P. Jacobs dit : que Mrs Benson, leur logeuse soit, et Mrs Benson fut ! Edar P. Jacobs vit que cela était bon !"
On ne créée pas un monde mythique déjà constitué, on ne l'explique pas, on ne lui trouve pas des raisons, on ne prétend pas en remplir les vides puisque par définition un mythe n'a aucun vide, seulement l'aura enveloppante de son mystère : on l'accueille, on l'accepte, on en suit la prescription et on ne se situe par rapport à lui qu'en s'y insérant, non en lui ajoutant le jeu de cube rationaliste et bancale des petites causalités creuses chères aux logiciens et rhétoriciens de l'inutile.