Re: Votre note du Bâton de plutarque
Posté : 30 déc. 2018, 01:01
Prologue : (toute) petite histoire d’une rupture temporaire
Le Bâton de Plutarque occupe une place à part dans ma relation avec Blake & Mortimer, et pas des plus glorieuses. Depuis que je me suis constitué la collection durant mon adolescence, il était admis que je me devais d’acquérir chaque nouvel album dès sa sortie. Cet impératif était d’abord simplement celui de lire des albums dont la qualité me semblait garantie, les premières reprises ayant été de véritables réussites. Et puis, depuis Le Sanctuaire du Gondwana, pour des raisons peut-être à la fois conjoncturelles et structurelles, le niveau s’est très désagréablement dégradé à mes yeux. Des albums au mieux moyens-bons, pas palpitants, voire carrément ratés.
La goutte d’eau qui fit déborder le vase fut la lecture en prépublication des 23 ou 25 premières planches du Bâton de Plutarque. Pourtant, l’idée de situer un scénario en amont du Secret de l’Espadon avait toujours constitué l’un de mes fantasmes. Mais ce début a été à ce point décevant qu’à la fois par refus de m’infliger une nouvelle lecture insipide et par acte de militantisme silencieux, j’ai décidé, pour la première fois, de me passer non seulement d’acheter un Blake & Mortimer, mais même de le lire en entier.
Cette première lecture remontant à 4 ans, je n’en avais pas gardé de souvenir précis en dehors de ce sentiment pour le moins désagréable. Et puis sont venus, en 2018, les premiers teasers de La Vallée des Immortels. Un début d’enthousiasme est né, que je n’avais pas connu depuis longtemps. Suffisamment pour me dire que cette fois, je le lirais et l’achèterais. Mais Le Bâton de Plutarque était resté en travers de la gorge et se présentait comme un compte à solder avant de lire ce nouvel album. En partie parce qu’il me semblait illogique de continuer d’ignorer la préquelle de Sente au Secret de l’Espadon avant d’en lire la suite. Mais surtout, parce que je culpabilisais quelque part de m’être fait un jugement définitif sans avoir lu l’album en entier.
Arrivé à la librairie pour me procurer La Vallée des Immortels, il était devenu très clair que je n’en sortirais pas sans Le Bâton de Plutarque, histoire d’en finir une bonne fois pour toutes.
Ma critique
Dès les toutes premières planches, j’ai soldé mon rapport à cet album par des sourires. Les raisons de ma déception irritée de 2014 me sont revenues très vite, mais sous une forme adoucie. Oui, cet album est particulièrement médiocre. Oui, mon fantasme d’une préquelle à la hauteur du Secret de l’Espadon est enterré. Certes, je vois mes personnages favoris évoluer sous une forme qui m’est étrangère, dans une intrigue dont le manque de sérieux et d’ambition m’échappe à bien des égards. Mais après 4 ans, à tort ou à raison, je m’en tire avec un bon vieux : « est-ce si grave ? »
Le principal souci que je vois dans cet album réside dans la sensation de voir à l’oeuvre un scénariste qui n’a jamais été plus soucieux de « boucher les trous jacobsiens » et de faire étalage de la documentation qu’il a consultée, et en même temps jamais aussi peu préoccupé de raconter une histoire ; ou plutôt, de chercher à construire une histoire qui se raconte par elle-même. Car en lieu et place d’un album guerrier de Blake & Mortimer, préquelle d’un mythe absolu de la BD franco-belge, je crois lire un manuel pompeusement pédagogique sur les rudiments de l’espionnage. J’ai à ce point le sentiment d’être pris par la main tout du long (et maladroitement), que cet album me semble écrit pour un autre âge que le mien.
Le plus désagrable est que tout cela s’accompagne très régulièrement d’improbabilités et de lourdeurs d’écriture, parfois même de véritables bévues. Tout cela resterait comme de petits bémols marginaux si le récit était palpitant, mais finit par empoisonner ce dernier et m’en faire sortir presque constamment, à l’exception peut-être d’une deuxième moitié où la narration prend timidement un peu plus d’ampleur.
Pourtant, le choix de commencer par un combat aérien en plein coeur de Londres est censé nous embarquer immédiatement. Mais outre le talent limité d’André Juillard pour une telle scène, elle est préparée par un dialogue laborieux. Quelques exemples :
- planche 1 : Sente nous annonce le débarquement par la voix de Blake, ce qui paraît complètement artificiel dans un échange entre deux gradés ;
- planche 1 : quelle crédibilité peut-on accorder à un commandant qui dévoile spontanément à un capitaine des éléments qu’il annonce lui-même comme étant « top secrets » ?
- planche 3 : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire : Sente veut sans doute mettre en exergue la perspicacité et l’audace de Blake en prélude de son ascension, mais si la décision « s’imposait » comme il le dit lui-même, c’est plutôt l’incompétence du commandant qui se trouve ainsi mise en avant.
La scène est par ailleurs gravement démonétisée par la mort tragi-comique de Steelwell (planche 7). Comment ont-ils pu laisser une vignette tout droit sortie d’un cartoon ? C’est d’autant plus absurde que nous ne sommes pas censés éprouver la moindre émotion à l’égard d’un personnage qu’on ne connaît pas et dont les répliques faméliques ne nous ont jamais fait soupçonner qu’il était destiné à exercer un rôle de premier plan. On pourra nous rappeler la mort de Harry au tout début du Secret de l’Espadon, mais la mise en scène de Jacobs, tout en pudeur, interpelle bien davantage, et surtout le cadre de l’action rend de lui-même cette disparition bien plus dramatique.
Après avoir sans doute commis l’un des plus hauts actes de bravoure de la guerre, Blake se voit donc embrigadé par Benson qui ne donne pour cela aucune raison valable, semble-t-il déjà soucieux de remplacer un homme qui vient à l’instant de mourir sous ses yeux. Blake n’a-t-il pas plus d’un rapport à rédiger sur ce qui vient de se passer ? Ne devrait-il pas retourner sur le porte-avions auquel il était affecté ?
Nous voilà donc pris, à travers Blake, dans un cours d’espionnage qui se poursuivra sur plusieurs planches. Le récit semble enfin s’élever au moment d’évoquer la situation géopolitique et la montée de l’Empire jaune (planche 17), mais nous voilà en fait réduits à observer les tribulations d’alpinistes. Une planche et demi pauvre en informations (la présence d’ogives dans l’Himalaya), au prix d’un nouvelle improbabilité : comment le caméraman peut-il décemment continuer à filmer pendant sa fuite, après avoir fait face à des tirs ?
Après la présentation de Scaw-Fell, le récit patine : deux planches (27-28) se contentent de faire avancer les personnages d’un point A à un point B sans nouvelle information majeure. Le récit semble de nouveau décoller avec l’introduction d’Olrik et de Hasso, mais on a droit encore une fois à bien des maladresses : l’arrogance du colonel est complètement surjouée et des éléments biographiques nous sont livrés sans qu’on ait rien demandé, et surtout sans que cela ne serve à aucun moment le récit (planches 33-34). Le jeu de dupes qui s’introduit entre Hasso et Olrik a l’avantage de rendre à ce dernier des répliques et un rôle d’une plus grande subtilité (planche 38).
La seule véritable scène d’action survient après une quarantaine de planches et l’action n’est malheureusement favorisée, à nouveau, que par la grâce de l’incompétence de personnages secondaires (planches 43-44). L’histoire se conclut de façon étrangement fluide : Sente se contente de mettre en valeur les talents des protagonistes sans jamais les mettre en danger, comme pour mieux s’effacer devant l’épisode mythique à venir.
Je passe sur le dessin d’André Juillard. Ce n’était pas la raison de ma déception originale, c’est le même depuis bien longtemps et je me suis fait depuis longtemps une raison à plusieurs égards : 1) sur le fait que je ne reverrai plus le trait consciencieux et plaisant de La Machination Voronov ; 2) sur le fait que ses superbes crayonnés, qu’on a pour une fois la joie d’admirer tels quels dans l’album lui-même (planche 24), sont condamnés à perdre toute vie à l’encrage ; 3) sur le fait que les rares scènes auxquelles je trouverai un intérêt sont les scènes d’extérieur, en particulier celles de la campagne britannique qu’il affectionne tant (planches 20-21). On sait que Juillard est le dessinateur le plus rapide des repreneurs, et malheureusement cela se voit très nettement. Tant mieux pour les comptes de Dargaud.
Ce qui est peut-être plus grave pour Juillard, c’est qu’après avoir lu un très honorable tome 1 de La Vallée des Immortels, dépourvu de bien des défauts précédemment exposés, je le soupçonne d’amollir l’écriture de Sente (à son corps défendant) ; au mieux, de ne pas particulièrement embellir ses scénarios. Mais peut-être peut-on espérer que le duo le plus stable de la série retrouve un peu de peps pour leur prochain et dernier album, à la faveur d’une période de jachère et du soin propre aux adieux ?
Le Bâton de Plutarque occupe une place à part dans ma relation avec Blake & Mortimer, et pas des plus glorieuses. Depuis que je me suis constitué la collection durant mon adolescence, il était admis que je me devais d’acquérir chaque nouvel album dès sa sortie. Cet impératif était d’abord simplement celui de lire des albums dont la qualité me semblait garantie, les premières reprises ayant été de véritables réussites. Et puis, depuis Le Sanctuaire du Gondwana, pour des raisons peut-être à la fois conjoncturelles et structurelles, le niveau s’est très désagréablement dégradé à mes yeux. Des albums au mieux moyens-bons, pas palpitants, voire carrément ratés.
La goutte d’eau qui fit déborder le vase fut la lecture en prépublication des 23 ou 25 premières planches du Bâton de Plutarque. Pourtant, l’idée de situer un scénario en amont du Secret de l’Espadon avait toujours constitué l’un de mes fantasmes. Mais ce début a été à ce point décevant qu’à la fois par refus de m’infliger une nouvelle lecture insipide et par acte de militantisme silencieux, j’ai décidé, pour la première fois, de me passer non seulement d’acheter un Blake & Mortimer, mais même de le lire en entier.
Cette première lecture remontant à 4 ans, je n’en avais pas gardé de souvenir précis en dehors de ce sentiment pour le moins désagréable. Et puis sont venus, en 2018, les premiers teasers de La Vallée des Immortels. Un début d’enthousiasme est né, que je n’avais pas connu depuis longtemps. Suffisamment pour me dire que cette fois, je le lirais et l’achèterais. Mais Le Bâton de Plutarque était resté en travers de la gorge et se présentait comme un compte à solder avant de lire ce nouvel album. En partie parce qu’il me semblait illogique de continuer d’ignorer la préquelle de Sente au Secret de l’Espadon avant d’en lire la suite. Mais surtout, parce que je culpabilisais quelque part de m’être fait un jugement définitif sans avoir lu l’album en entier.
Arrivé à la librairie pour me procurer La Vallée des Immortels, il était devenu très clair que je n’en sortirais pas sans Le Bâton de Plutarque, histoire d’en finir une bonne fois pour toutes.
Ma critique
Dès les toutes premières planches, j’ai soldé mon rapport à cet album par des sourires. Les raisons de ma déception irritée de 2014 me sont revenues très vite, mais sous une forme adoucie. Oui, cet album est particulièrement médiocre. Oui, mon fantasme d’une préquelle à la hauteur du Secret de l’Espadon est enterré. Certes, je vois mes personnages favoris évoluer sous une forme qui m’est étrangère, dans une intrigue dont le manque de sérieux et d’ambition m’échappe à bien des égards. Mais après 4 ans, à tort ou à raison, je m’en tire avec un bon vieux : « est-ce si grave ? »
Le principal souci que je vois dans cet album réside dans la sensation de voir à l’oeuvre un scénariste qui n’a jamais été plus soucieux de « boucher les trous jacobsiens » et de faire étalage de la documentation qu’il a consultée, et en même temps jamais aussi peu préoccupé de raconter une histoire ; ou plutôt, de chercher à construire une histoire qui se raconte par elle-même. Car en lieu et place d’un album guerrier de Blake & Mortimer, préquelle d’un mythe absolu de la BD franco-belge, je crois lire un manuel pompeusement pédagogique sur les rudiments de l’espionnage. J’ai à ce point le sentiment d’être pris par la main tout du long (et maladroitement), que cet album me semble écrit pour un autre âge que le mien.
Le plus désagrable est que tout cela s’accompagne très régulièrement d’improbabilités et de lourdeurs d’écriture, parfois même de véritables bévues. Tout cela resterait comme de petits bémols marginaux si le récit était palpitant, mais finit par empoisonner ce dernier et m’en faire sortir presque constamment, à l’exception peut-être d’une deuxième moitié où la narration prend timidement un peu plus d’ampleur.
Pourtant, le choix de commencer par un combat aérien en plein coeur de Londres est censé nous embarquer immédiatement. Mais outre le talent limité d’André Juillard pour une telle scène, elle est préparée par un dialogue laborieux. Quelques exemples :
- planche 1 : Sente nous annonce le débarquement par la voix de Blake, ce qui paraît complètement artificiel dans un échange entre deux gradés ;
- planche 1 : quelle crédibilité peut-on accorder à un commandant qui dévoile spontanément à un capitaine des éléments qu’il annonce lui-même comme étant « top secrets » ?
- planche 3 : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire : Sente veut sans doute mettre en exergue la perspicacité et l’audace de Blake en prélude de son ascension, mais si la décision « s’imposait » comme il le dit lui-même, c’est plutôt l’incompétence du commandant qui se trouve ainsi mise en avant.
La scène est par ailleurs gravement démonétisée par la mort tragi-comique de Steelwell (planche 7). Comment ont-ils pu laisser une vignette tout droit sortie d’un cartoon ? C’est d’autant plus absurde que nous ne sommes pas censés éprouver la moindre émotion à l’égard d’un personnage qu’on ne connaît pas et dont les répliques faméliques ne nous ont jamais fait soupçonner qu’il était destiné à exercer un rôle de premier plan. On pourra nous rappeler la mort de Harry au tout début du Secret de l’Espadon, mais la mise en scène de Jacobs, tout en pudeur, interpelle bien davantage, et surtout le cadre de l’action rend de lui-même cette disparition bien plus dramatique.
Après avoir sans doute commis l’un des plus hauts actes de bravoure de la guerre, Blake se voit donc embrigadé par Benson qui ne donne pour cela aucune raison valable, semble-t-il déjà soucieux de remplacer un homme qui vient à l’instant de mourir sous ses yeux. Blake n’a-t-il pas plus d’un rapport à rédiger sur ce qui vient de se passer ? Ne devrait-il pas retourner sur le porte-avions auquel il était affecté ?
Nous voilà donc pris, à travers Blake, dans un cours d’espionnage qui se poursuivra sur plusieurs planches. Le récit semble enfin s’élever au moment d’évoquer la situation géopolitique et la montée de l’Empire jaune (planche 17), mais nous voilà en fait réduits à observer les tribulations d’alpinistes. Une planche et demi pauvre en informations (la présence d’ogives dans l’Himalaya), au prix d’un nouvelle improbabilité : comment le caméraman peut-il décemment continuer à filmer pendant sa fuite, après avoir fait face à des tirs ?
Après la présentation de Scaw-Fell, le récit patine : deux planches (27-28) se contentent de faire avancer les personnages d’un point A à un point B sans nouvelle information majeure. Le récit semble de nouveau décoller avec l’introduction d’Olrik et de Hasso, mais on a droit encore une fois à bien des maladresses : l’arrogance du colonel est complètement surjouée et des éléments biographiques nous sont livrés sans qu’on ait rien demandé, et surtout sans que cela ne serve à aucun moment le récit (planches 33-34). Le jeu de dupes qui s’introduit entre Hasso et Olrik a l’avantage de rendre à ce dernier des répliques et un rôle d’une plus grande subtilité (planche 38).
La seule véritable scène d’action survient après une quarantaine de planches et l’action n’est malheureusement favorisée, à nouveau, que par la grâce de l’incompétence de personnages secondaires (planches 43-44). L’histoire se conclut de façon étrangement fluide : Sente se contente de mettre en valeur les talents des protagonistes sans jamais les mettre en danger, comme pour mieux s’effacer devant l’épisode mythique à venir.
Je passe sur le dessin d’André Juillard. Ce n’était pas la raison de ma déception originale, c’est le même depuis bien longtemps et je me suis fait depuis longtemps une raison à plusieurs égards : 1) sur le fait que je ne reverrai plus le trait consciencieux et plaisant de La Machination Voronov ; 2) sur le fait que ses superbes crayonnés, qu’on a pour une fois la joie d’admirer tels quels dans l’album lui-même (planche 24), sont condamnés à perdre toute vie à l’encrage ; 3) sur le fait que les rares scènes auxquelles je trouverai un intérêt sont les scènes d’extérieur, en particulier celles de la campagne britannique qu’il affectionne tant (planches 20-21). On sait que Juillard est le dessinateur le plus rapide des repreneurs, et malheureusement cela se voit très nettement. Tant mieux pour les comptes de Dargaud.
Ce qui est peut-être plus grave pour Juillard, c’est qu’après avoir lu un très honorable tome 1 de La Vallée des Immortels, dépourvu de bien des défauts précédemment exposés, je le soupçonne d’amollir l’écriture de Sente (à son corps défendant) ; au mieux, de ne pas particulièrement embellir ses scénarios. Mais peut-être peut-on espérer que le duo le plus stable de la série retrouve un peu de peps pour leur prochain et dernier album, à la faveur d’une période de jachère et du soin propre aux adieux ?