voici deux extraits où ils parlent de Blake et Mortimer.
1er extrait :
François Schuiten : Oui. Ce qui m’a intéressé a été de travailler sur les dimensions fantastique et contemporaine de Jacobs, dédaignées par les repreneurs. Ceux-ci ont figé l’œuvre dans les années 1950. Or la préoccupation de Jacobs ou d’Hergé était de s’inscrire dans leur époque.
Benoit Peeters : Le Londres de La Marque jaune est le Londres de l’époque de Jacobs. On a l’impression qu’il a voulu fixer un Londres mythique, mais il est allé y faire des repérages.
FS: Je m’interroge beaucoup sur la fidélité à l’œuvre. On peut reproduire fidèlement le style de Jacobs. On doit aussi rappeler qu’il est infidèle de ne pas poser la question fondamentale de la contemporanéité. Dans ses westerns, John Ford parle de l’Amérique de son époque.
BP: La bande dessinée a un côté régressif. Elle entretient un rapport émotionnel avec l’enfance et c’est un peu bizarre de voir des sexagénaires se replonger dans Boule et Bill… La bande dessinée attise la nostalgie. Or nous croyons profondément que la bande dessinée est un médium capable de dire le monde.
Antoine Duplan : C’est donc un méta Blake et Mortimer que vous préparez…
FS: Je ne sais pas si je peux prétendre à ça…
BP: Tu ne t’inscris pas dans la série classique.
FS: Non, je le fais à ma façon, en essayant de retrouver certaines préoccupations de Jacobs. La science, le fantastique… Mon regard n’est pas du tout nostalgique.
BP: Jacobs, c’est la première bande dessinée phare de François. Moi c’était plutôt Tintin. C’est rare qu’un enfant entre dans la bande dessinée avec Blake et Mortimer…
FS: Oui. Mon frère me lisait Blake et Mortimer. J’étais effrayé par Le Piège diabolique. Il faut essayer de retrouver les tensions et les forces qui animaient Jacobs et qui faisaient peur.
Antoine Duplan : L’univers de «Blake et Mortimer» est uchronique, puisqu’il repose sur une troisième guerre mondiale. Les repreneurs rajoutent aujourd’hui de l’uchronie à l’uchronie.
BP: Il est extrêmement difficile de reprendre une série et d’être cohérent avec ce que le créateur a mis en place. Quand plusieurs équipes travaillent en parallèle, c’est à peu près impossible. Blake et Mortimer, c’est un remix permanent qui ne se soucie pas de la cohérence globale. Lorsqu’on met de l’uchronie sur l’uchronie, il y a un risque de dislocation. En revanche, Les cités obscures est un système qui a été pensé comme une cohérence globale. Pièce posée, pièce jouée… J’aime l’idée que Mary ait été un phénomène paranormal dans L’Enfant penchée et devienne dans La Théorie du grain de sable une analyste de ce type d’anomalies. A la fin de L’Enfant penchée, elle dit que son histoire est devenue un conte pour les enfants, Mary la Penchée. Ce n’est pas une contradiction interne, mais un autre regard porté sur le même univers. Ces éléments créent petit à petit une logique sous-jacente.
FS: La cohérence n’était pas un souci pour Jacobs et je ne m’en suis pas préoccupé sur le Blake et Mortimer. Je suis dans mon époque, je ne me concentre que sur l’œuvre de Jacobs, pas sur le travail des repreneurs. Il n’y a pas Olrik. Il y a Blake et Mortimer…
BP: Encore heureux! (Rires.)
FS: Et Jim…
Jim: Wouf!
FS: J’espère avoir retrouvé un mystère qui était au cœur de ses livres.
BP: Il y a quand même un lien profond entre Jacobs et toi. A la fin de sa vie, tu avais songé à l’aider à finir Les 3 formules du professeur Sato…
FS: Oui. Mais ça ne s’est pas fait et je ne suis pas sûr que ça aurait été une expérience très heureuse…
BP: Mais ça aurait fait un beau chapitre dans tes mémoires.
2eme extrait :
FS: La couverture de La Marque jaune est extraordinaire. Elle est devenue mythologique. Mais pourquoi Jacobs a-t-il choisi une image qui n’est pas dans l’album? Ça m’a tétanisé quand j’ai dû dessiner la couverture du Blake et Mortimer. Je n’arrivais pas à trouver une image capable de synthétiser de façon aussi audacieuse le récit, échappant à la logique pour devenir iconique.