En décrivant le Jacobs de "
SOS Météores", au dessin plus précis et dense que jamais,
François Rivière et Benoît Mouchart (*) écrivaient :
Sous la plume de Jacobs, le réalisme est à son comble. (...) Sa graphie n'a, semble-t-il, jamais été aussi minutieuse et fouillée que dans cet épisode.
C'est un peu le sentiment que j'ai eu instantanément en découvrant cette nouvelle planche (même si sa taille ici ne permet pas de bien apprécier les détails en toute netteté). Bien sûr, la "
graphie minutieuse et fouillée" s'exprime particulièrement dans les plans d'ensemble, riches en décors que notre œil passionné peut 'visiter' longuement, sans se lasser.
Dans le même temps, le dessin des personnages offre une synthèse alliant élégance, clarté narrative et efficacité romanesque, ce qui illustre bien ce qu'on attend d'une certaine "Ligne Claire", fidèle à la
tradition.
Mais je ne suis pas certain que tout le monde réalise pleinement à quel point cet exercice d'
équilibriste graphique est délicat, ultra exigeant et, pour tout dire, très difficile à réussir.
La
case 6 est un bel exemple de la rigueur requise pour obtenir ce résultat dont l'apparente "simplicité" est en fait l'expression d'une maîtrise impressionnante.
Le contraste entre le visage "classique et parfait"
de Blake et celui du personnage au second plan est saisissant. Ce dernier est émacié, anguleux, quelque peu "ténébreux" et paraît plus âgé, plus marqué.
Or, graphiquement parlant, hormis les nombreux effets de plume/pinceau pour les cheveux bruns soigneusement coiffés, Aubin n'a pas utilisé plus de traits pour le second que pour le premier. "L'économie" est la même.
Ce qui compte - et dont le résultat dépend - , c'est l'extrême précision des lignes et des courbures, les fragments de traits qui ont été choisis puis tracés au quart de millimètre près.
Enlevez ne serait-ce qu'un demi millimètre de la légère
cassure du menton ou reculez un tant soit peu la ligne qui indique le relief osseux de la pommette... et ce sera un tout autre personnage !
Mais pour que des tracés aussi synthétiques puissent en arriver à être aussi évocateurs et harmonieux
(et ressemblants : Blake, en l'occurrence, toujours ardu à reproduire), cet encrage final ne peut être que l'aboutissement de tout un travail préparatoire, de crayonnés généreux, d'une élaboration progressive qui nécessite énergie, technique, patience, réflexion et... inspiration.
Un processus dont l'intensité et la complexité resteront bien souvent "invisibles" aux yeux de pas mal de lecteurs.
Alors quand on a l'occasion (et l'envie) d'examiner les choses de plus près, grâce au travail de très bons auteurs, il ne faut surtout pas s'en priver !
(*) Dans "La damnation d'Edgar P. Jacobs", récemment rééditée en tant que "Edgar P. Jacobs - Un pacte avec Blake et Mortimer"