En ouvrant La Menace Atlante j’ai été surpris de lire en page 2 que Peter Van Dongen remerciait Isabelle Chaland de l’avoir autorisé à utiliser certains “éléments graphiques“ de l’album d’Yves Chaland, La Comète de Carthage…
Yves Chaland étant décédé un funeste mercredi de Juillet 1990, il fait malheureusement partie des artistes qui nous ont été enlevé bien trop tôt. D’où ma surprise de voir cet hommage, en plus dans un album de Blake et Mortimer, 35 ans plus tard!
Chaland ayant été un dessinateur de BD très talentueux (il fait partie de mes auteurs préférés), je ne peux bien sûr que comprendre le désir de Peter Van Dongen de lui rendre hommage, mais qu’en est-il exactement de ces emprunts d’éléments graphiques?
À la première lecture de La Menace Atlante, j’ai essayé de les découvrir mais, peut-être happé par l’histoire, je n’ai pas trouvé de clins d’œils évidents à La Comète de Carthage.
J’ai d’abord songé à cette étrange forme lumineuse qui traverse le ciel de Londres à la page 5 mais force est de constater qu’elle n’a que peu de ressemblance avec la comète de Chaland. En plus la “Météorite“ de Van Dongen s’abîme en ligne droite dans la Tamise alors que l’objet céleste de Chaland (ou du moins sa queue) fait une sorte de courbe qui lui donne l’impression de se déplacer lentement contrairement au bolide d’origine Atlante. Pour terminer, le “Météore“ est systématiquement dessinée en plongeant en biais de la droite vers la gauche par Van Dongen alors que chez Chaland c’est exactement l’inverse.
Non, décidément ça ne peut pas être ça. Alors pourquoi pas les figurines chez le marchand d’Art Tlalak? Il y en a bien une qui allait ressembler à l’une des nombreuses sculptures que l’on peut voir dans l’album de Chaland (l’un des personnages est un artiste pour le moins tourmenté).
Mais là aussi, choux blanc! Il y a certes une vague ressemblance chez certaines statuettes des deux albums mais rien qui puisse valider l’idée d’une inspiration flagrante.
Sur internet, une certain Jean-Luc Verselin (Facebook - Les Amis de Blake et Mortimer) s’est manifestement posé les mêmes questions que moi lorsqu’il a lu l’hommage de la page 2. Pour lui les emprunts sont de deux natures: d’une part la scène de la plage (lorsque Mortimer et les villageois vont voir les momies échouées de plus près) et d’autre part le sous-marin qu’utilisent nos deux héros pages 25 et 26.
Concernant la scène de la plage on peut voir une certaine similitude en effet. Chez Chaland la scène se passe dès le début de l’histoire et montre des badauds qui découvrent le corps d’une femme noyée: mêmes plans larges en plongée puis gros plans sur les cadavres. Cependant on est loin de la copie pure et pour moi les effets et cadrages sont de l’ordre de ce qui est communément utilisé par tous les dessinateurs de BD.
Pour ce qui est des sous-marins il y a manifestement un air de famille. Cependant là aussi on ne peut pas parler de copie conforme. Si Van Dongen avait vraiment voulu rendre hommage à Chaland par ce biais, pourquoi alors n’aurait-il pas tout simplement copié à l’identique le submersible de Chaland?
Lorsque l’on compare les deux on peut quand même noter un certain nombre de différences (couleur, tourelle, gouvernail, etc…). Alors oui la forme générale est la même dans les deux cas mais cela justifie t-il le terme “d’emprunt graphique“?
À noter que chez Chaland, le professeur Piccard qui pilote l’engin le qualifie de “Bathyscaphe“ ce qui est erroné. En effet ce type précis de submersible ne peut que monter ou descendre (sinon it est tracté par un navire comme les sous-marin de Blake et Mortimer en haut de la page 25) alors que dans La Comète de Carthage il se déplace tout seul dans toutes les dimensions!?
Les submersibles de Van Dongen et de Chaland ne ressemblent tous les deux pas au Bathyscaphe de Piccard (avec sa boule pressurisée sous le ventre) mais le dessinateur néerlandais en a emprunté les teintes. Le sous marin que j’ai trouvé sur le net et qui ressemble le plus à celui de La Menace Atlante et le “Biber“ conçu par le allemands à la fin de le Seconde Guerre Mondiale. Vous noterez que les deux tubes qui font certainement office de Ballast pour Blake et Mortimer étaient en fait des torpilles sur l’engin réel!
En désespoir de cause je me suis attardé sur un événement dans La Menace Atlante que l’on retrouve également dans La Comète de Carthage: un Raz de Marée qui engloutie un village de pêcheurs. Mortapple d’un côté et Cassis de l’autre.
Dans le nouvel album de Blake et Mortimer cet épisode commence au bas de la page 17 par une vague qui apparaît dans la toute dernière case de la planche et qui “invite“ physiquement le lecteur à tourner la page. Même procédé chez Chaland dans son album page 45. D’ailleurs si on inverse la case de Van Dongen en miroir, on peut constater une similitude dans la composition générale même si le cadrage n’est pas le même.
Dans une autre case (la première de la page 19), on retrouve aussi une composition similaire à celle d’une case de La Comète de Carthage même si les flots sont moins menaçants… peut-être pour laisser à Mortimer le temps de s’échapper?
La fin de l’épisode du Raz de Marée est également traité de la même manière par les deux dessinateurs (Page 19 au milieu dans La Menace Atlante et page 46 en bas dans la Comète de Carthage): les villageois se retrouvent sur les hauteurs et observent les dégâts de loin. Les personnages ne sont pas placés de la même façon mais l’esprit général est le même.
Enfin, je terminerais par la case 6 page 18 de La menace Atlante qui pour moi est celle qui justifie le plus les remerciements de Peter Van Dongen. Si on l’inverse en miroir, on retrouve une composition quasiment identique à la case 2 de la page 46 de La Comète de Carthage! L’emplacement du clocher de l’Église, les flots qui s’engouffrent de la même façon dans les rues du village, la voiture qui “nage“ au milieu du chaos aquatique… je pense qu’ici au moins le doute n’est plus permis?
Si vous n’êtes pas encore convaincu, alors prenez une loupe et observez bien la chaloupe jaune et rouge qui est bringuebalé dans les vagues et qui passe d’un album à l’autre au gré des cases...
Honnêtement, je ne pense pas que sans les remerciements de Peter Van Dongen il aurait été possible de faire le rapprochement avec l’œuvre d’Yves Chaland tellement l’hommage est subliminal. À tel point que je me pose la question des motivations réelles de l’auteur néerlandais? Ne voulait-il pas tout simplement mettre la lumière sur un auteur talentueux malheureusement disparu en profitant de la notoriété de la franchise Blake et Mortimer? En tout cas ce n’est pas moi qui le lui reprocherait!
