Damned Sixties : « American Parano » 1 & 2

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Thark
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Damned Sixties : « American Parano » 1 & 2

Message par Thark »

Damned Sixties : « American Parano » 1 & 2
de Hervé Bourhis et Lucas Varela
« Il est 10h42 sur BTMN, Bible Teen Music & News, 106.7 FM ! Hosanna, les Kids ! »
« Aujourd'hui mercredi 10 mai 1967 après JC, Jésus aime
SAN FRANCISCO (be sure to wear flowers in your hair *) ! »

Mélangé ci-dessus à des bribes du programme radio qui vient rythmer la chronologie du récit, le fameux hymne folk-rock de Scott McKenzie ouvre ainsi une playlist sacrément bien garnie... (à laquelle on accède via le QR code affiché en avant-garde de l'album).

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela

Un plan d'ensemble sur le rouge vif brumeux du Golden Gate nous accueille en majesté ; puis on se rapproche du parc national à proximité du pont pour découvrir, en même temps que la policière débutante Kimberly Tyler et le très cacochyme lieutenant Ulysses Ford, une ignoble scène de crime.
Un pentagramme inversé taillé dans sa chair, le corps mutilé d'une étudiante met sans hésiter le duo et toute l'équipe bien macho du SFPD ** sur les traces grand-guignolesques de Baron Yeval, ses messes noires à grand spectacle, son église de Satan fréquentée par le gotha et son obscur Temple de l'Indulgence, tous truffés de chausse-trappes et de pistes, vraies ou fausses…

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela

Énorme pression pour Kim, vice-major de sa promo académique en « criminelle » mais bizutée comme une pied-tendre, d'autant plus qu'elle marche malgré elle sur les pas de son flic de père, autre figure énigmatique d'American Parano, autre fil rouge sang que l'enquêtrice s'entête à démêler dans la douleur.

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela

Sa quête perturbante n'échappera pas au regard intrusif et hypnotique de Yeval, manipulateur en diable..., tout comme l'était Anton Lavey, énergumène bien réel qui a inspiré ce personnage de papier glacé à l'allure gothique, particulièrement théâtral.

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela

À ce stade d'exposition des forces (maléfiques) en présence, auxquelles se mêle un étrange organisme diocésain dédié aux activités antéchristiques, une bonne nouvelle, chers frères et sœurs : les auteurs parviennent très habilement à caractériser l’affrontement « jeune recrue inexpérimentée versus figure du mal charismatique » sans singer le schéma modèle « Clarice Starling / Hannibal Lecter ». On y pense un peu, mais le scénariste - lauréat des prix Goscinny et Lob, notamment, excusez du peu - délivre [du mal] une histoire faite de tensions successives et de scènes fortes, qui tournent autour des clichés du genre sans y sombrer.

Hervé Bourhis a amorcé son projet en 2020, pendant la "bulle" du confinement, en envisageant d'abord une autre approche :
H.B. a écrit :« ... Un début de biopic sur Anton Lavey, le pape du satanisme étasunien. Mais comme je lis pas mal de livres de John Fante, et que je re-regarde la série Mindhunter de David Fincher, je me dis que c’est plus intéressant de me lancer dans un polar, dont Anton Lavey serait un personnage. Sous un autre nom. »

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela

Et l'air de rien, porté par son sujet, il donne une fluidité remarquable à la machinerie narrative - aussi bien huilée qu'une extrême-onction - de ce diptyque très... malin. En osmose avec le graphisme à la fois séduisant et insolite de son complice dessinateur, il nous entraîne dans les recoins d'une « Black House » imprégnée d'une bonne dose de sang neuf, tout en la nourrissant de références judicieuses : chansons, films, romans, faits divers emblématiques d'un élan puis d'un désenchantement, parfois tragique, entre Sixties et Seventies.
D'ailleurs, bien qu'utilisée de manière épurée, une sérieuse documentation sous-tend la réalisation de ce qui se profile clairement comme une série.

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela
Hervé Bourhis a écrit :« Chaque tome raconte une enquête. Chaque année est représentée dans les détails. La façon de s’habiller, les modes alimentaires. Les affiches de films, les bagnoles, tout est très documenté. Sans que ça ne parasite le récit et le suspense, of course. »

Un auteur de BD qui emploie « of course » ? Welcome to the Centaur Club, Hervé !
Au passage, sans pour autant y voir un clin d'œil, notons l'affiche annonçant une représentation de Faust dans un vieux théâtre : une évocation infernale que n'aurait pas renié l'illustrateur Jacobs…

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela

Au dessin, justement, Lucas Varela impose d'emblée son trait sobre mais texturé, son talent de cadreur, sa gestion réfléchie et inspirée de la profondeur de champ. Dans ses planches bien dosées, saupoudrées de trames pointillistes à la saveur vintage, les aplats francs cohabitent avec les noirs atténués, dégradés ou mouchetés ; les arrière-plans s'estompent subtilement. Idem pour ses couleurs en gamme restreinte, bleutées-orangées, qui répandent en douceur une petite musique obsédante sur l'intrigue et ses atmosphères acides.
Une lecture avec un regard geek de graphiste BD fait venir quelques influences à l'esprit : une touche de Brüno [le dessinateur envisagé initialement], une goutte de Tardi, un zeste de Berthet, un soupçon fugace de David B.… Ainsi qu'une sorte d'ombre portée et stylisée qui émanerait de l'univers des US "Comix" underground, ce que souligne le script-writer lui-même :
« Une ligne claire américaine, avec un je-ne-sais-quoi de surréalisme sud-américain. »

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© Dupuis 2024 Bourhis/Varela

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Quoiqu'il en soit, une fois les planches déployées sous nos yeux, peu importe le cocktail d'influences, aussi subjectif qu'hypothétique, qu'on s'imagine pouvoir identifier...
Seul compte le plaisir de la dégustation, et celui-ci est suffisamment au rendez-vous pour pouvoir se réjouir à l'avance des ingrédients qui seront au menu du tome 3.
Un opus situé en 1968, hors des diableries serial-massacreuses de ce 1er cycle, mais tout aussi sombre et psychopathique puisqu'il plongera cette fois son héroïne (et nous avec) dans les bas-fonds de la politique américaine… Décidément, le chaos traverse les époques sans jamais faiblir…

Sans faiblesse non plus, un autre parti pris transperce les décennies avec bonheur ; last but not least, c'est Bourhis qui en parle le mieux, en se remémorant sa décision scénaristique number one :
« Le flic sera une femme. Ça existait, les femmes officiers de police en 1967 ? Probablement pas, et c’est encore plus intéressant d’imaginer qui aurait été cette pionnière. »

Rendez-vous est donc pris avec la suite de cette saga pour voir Kim Tyler se rapprocher progressivement de notre XXIème siècle. L'American Parano a de beaux jours devant elle…

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* "San Francisco (Assurez-vous d'arborer des fleurs dans vos cheveux)", chanson (single) sortie en mai 1967, extraite de l'album The voice of Scott McKenzie, l'un des fleurons du « Summer of love » dont le point de départ reste grandement associé au quartier de Haight-Ashbury à San Francisco.

** San Francisco Police Department
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Bobby Cowen II
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Re: Damned Sixties : « American Parano » 1 & 2

Message par Bobby Cowen II »

Chronique éclairée, bien alléchante (et léchée), encore une fois ! Avec une bande-son bien sixties comme on les aime en arrière-plan, que demander de plus... ? Moi qui adore m'immerger dans un univers musical à chaque écriture ou lecture, je trouve l'idée de proposer une playlist intéressante : en plus de découvrir de nouvelles pépites BD, je vais découvrir des pépites musicales, chouette !

Merci Thark !!!
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Breizh Izel eo ma bro!
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Thark
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Re: Damned Sixties : « American Parano » 1 & 2

Message par Thark »

Merci Bobby pour ta lecture toujours attentive et tes feedbacks savoureux.

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Concernant la sélection musicale, si toi ou d'autres avez envie de démarrer déjà une pré-immersion very Sixties (avec des choix... d'anthologie ! (*) avant d'avoir accès à l'album, j'ai mis un lien ci-dessous.

NB : A condition d'être inscrit(e)s sur "Sp....y".

:arrow: Playlist American Parano - La série polar de Hervé Bourhis et Lucas Varela, aux éditions Dupuis
[59 titres, environ 3 h 15 min]


(*) On y entend même du "Anton Lavey"... !
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archibald
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Re: Damned Sixties : « American Parano » 1 & 2

Message par archibald »

8-)
Thark a écrit :
23 oct. 2025, 20:07
…/…Mélangé ci-dessus à des bribes du programme radio qui vient rythmer la chronologie du récit, le fameux hymne folk-rock de Scott McKenzie ouvre ainsi une playlist sacrément bien garnie... (à laquelle on accède via le QR code affiché en avant-garde de l'album)…./…
Hymne repris pas Johnny Halliday dans sa période hippie. 8-)

Magnifique présentation Thark comme tu sais si bien les faire. Bravissimo !
:chap: :chap: :chap:

Ronchon comme je suis (comme semble l’être Ulysses Ford), je regrette le manque de contour autours des bulles, qui , pour moi , nuit à la lisibilité… :cry:

Autrement je suis séduit par le minimalisme des couleurs et par le choix du personnage féminin, Kimberly Tyler, pour lequel on n’a pas exagéré le coté sexy.
Sur la deuxième couverture, le cinéma passe ‘The Graduate’ (Le Lauréat), qui reste un film mythique pour moi ; un film culte avec son célèbre titre ‘Mrs Robinson‘ de Simon et Garfunkel (qui figure, of course, dans la playlist thank you by the way) et sa non moins célèbre réplique de Dustin Hoffman : "Vous êtes la plus séduisante des amies de mes parents"!



Donc il y a beaucoup de choses qui font que je lirai certainement ces albums .
Thark a écrit :
23 oct. 2025, 20:07
…/…
Concernant la sélection musicale, si toi ou d'autres avez envie de démarrer déjà une pré-immersion very Sixties (avec des choix... d'anthologie ! (*) avant d'avoir accès à l'album, j'ai mis un lien ci-dessous.

Merci pour le lien vers la playlist ! Elle fait remonter beaucoup de bons souvenirs en moi avec des artistes que j’avais un petit peu oublié, comme par exemple Brian Auger (avec ou sans Julie Driscoll), Electric Prunes, Jefferson Airplane (je crois que j'étais amoureux de Grace Slick), Grateful Dead, les improbables Papas and Mamas, etc…
Et la mythique (je suis infesté de mythes) :lol: Janis Joplin avec Big Brother and the Holding Company, sans parler des musiques de films, Aretha , Otis ... !
Well then, Legitimate Edgar, I must have your land.
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