Tomes 1 & 2, par Philippe Pelaez (scénario) et Javi Casado (dessin-couleurs) Dargaud 2023, 2024, … (série en cours)
Venant d'un type dont le CV semble se résumer à déserteur et ancien tueur d'apaches,
le sarcasme est quand même culotté.
D'autant plus que, loin de ne s'en remettre qu'à de saintes prières dans le désert, la nonne n'a besoin de personne…Un exemple détonnant du mordant graphique de Javi Casado, accentué par son art du montage choc et des cadrages ad hoc.
Avec Quintus et les trois autres, on a déjà les deux tiers d'une brochette de « héros » bien coriaces...
Mais pour arriver à "SIX", il faudra encore que viennent s'y épingler Elsie et le petit Kid, une prostituée et un gamin borgne (!), celui-ci détenant le secret d'une fortune « OR norme » qui va devoir les faire s'entraider, les réunir, à défaut de les unir…
Tous survivants d'un certain nombre d'enfers sur terre – car attention, ce n'est pas un Ouest terne – ils sont traqués sans pitié par d'immondes personnages sans foi ni loi... et même pires.
©2023 Dargaud-Lombard S.A.Pires, parce que sans filtres. Sans les limites bien calibrées du classicisme, sans les arrangements qui glamourisent la réalité, sans le vernis flatteur du lissage hollywoodien.
En injectant beaucoup de recherches et de réel dans son imagination, le scénariste Philippe Pelaez s'impose en démanteleur des mythes trop établis sur les westerners, les « hommes de l'Ouest ». Il les aborde frontalement, armé jusqu'aux dents de connaissances historiques pointues, puis s'attaque sans trembler aux clichés bien garnis que le cinéma a charriés de long en large depuis la première création américaine du genre (The great train robbery – 1903).
Extrait du tome 2... ©2024 Dargaud-Lombard S.A.
Planche 12 du tome 2... ©2024 Dargaud-Lombard S.A. S'il les dépouille férocement de leur panoplie romantique, c'est pour mieux enrichir sa propre vision, brute et documentée à la source, de ce qu'était ce fameux Far West : un espace-temps erratique, rude et tourmenté.
Une période fascinante et puissante par la grandeur de ses décors, de ses mystères et de ses enjeux, mais rarement glorieuse et souvent détestable par la bassesse et la violence de ses protagonistes…
©2023 Dargaud-Lombard S.A. Dès les premières cases, saisissantes, cette vision prend corps et... ça tue.
Sans préam'bulles, sous les crayons de Javi Casado (*), on se prend même un uppercut : compositions coup de poing, cadrages élastiques qui s'entrechoquent, traits jetés-contrôlés, réalisme flirtant subtilement ou cruellement avec la caricature, sans oublier une petite touche picaresque...
Planches 1 et 2 du tome 1, "Le massacre de Tanque Verde". « Oubliez les foutaises qu'on a pu vous raconter. L'Ouest n'a rien d'épique ou de romantique ; c'est un monde d'une violence incroyable »... Bref, oubliez Laura Ingalls, le ton est donné et ce n'est pas beau à voir.
©2023 Dargaud-Lombard S.A.

L'étonnant savoir-faire du dessinateur intensifie la dynamique viscérale de séquences qui ne se contentent pas d'introduire les personnages. D'emblée mémorables, parfois fulgurants, les éléments audacieux du récit et les énergies percussives du dessin illustrent les propos tenus à un journaliste fébrile par un narrateur plongé dans l'ombre :
C'est un bréviaire du conflit : la ville contre la nature, le blanc contre l'indien,
l'esclave contre le maître, la loi contre le chaos."
©2023 Dargaud-Lombard S.A. Et Pelaez d'enfoncer le clou dans une postface passionnante qu'il a titrée d'une formule volontairement provocatrice :
Le western n'existe pas »…
Provocateur ou pas, le propos et le style des auteurs provoquent en tout cas des réactions admiratives - ce que les couvertures des deux premiers tomes n'induisent pas forcément... Mais une fois qu'on s'est pris un coup de jus électrisant au contact des planches, on comprend vite l'enthousiasme de l'éditeur. Six nous entraîne bel et bien sur des pistes assez peu empruntées par les nombreux explor'auteurs du western BD, ciné ou télé.
©2023 Dargaud-Lombard S.A. D'ailleurs, au jeu des références BD inévitables, qu'on ne s'y trompe pas : dès qu'on s'attarde sur n'importe quelle case du Massacre de Tanque Verde (T.1) ou d'Une montagne d'or (T.2), la sempiternelle comparaison avec Blueberry, par exemple, devient presque hors de propos et n'a que peu d'intérêt.
Marque évidente d'un dessinateur de grand talent et soucieux du moindre détail : chacun des figurants en uniforme a sa propre posture, son allure spécifique. Le trait des silhouettes est fluide et savoureux mais sait se faire discret pour donner la vedette au combat qui se prépare, aidé en cela par les couleurs qui distinguent chaque « étage de l'image », de l'avant à l'arrière-plan.L'essentiel à retenir est que jusqu'ici (car Six comptera 4 tomes), Pelaez et Casado, avec leurs envies et leurs outils très personnels, ont réussi un petit miracle d'originalité captivante.
La quadrilogie complète sera-t-elle « haletante, déroutante et totalement inattendue » jusqu'au bout, comme on nous le promet ?
Le titre du nouvel épisode sonne en tout cas comme un engagement, aussi intrigant que solennel :
« Le Serment de Gabaldón » ! Contrairement à certaines des sales trognes qui ont déjà été « refroidies » par les Six au cours de leur quête, ce tome 3 (paru le 29 août dernier) est encore tout chaud, ce qui maintient la série en bonne place dans notre Bulle de chroniques et d'Actualités BD.
La recette sauvage, préparée et assaisonnée à l'acide par ces deux auteurs franc-tireurs, a vraiment bien pris.
Malgré son arrière-goût de poudre et de sueur (bon appétit), elle a un sacré goût de revenez-y… Vous m'en direz des nouvelles. Après dégustation imminente, le livre 3 sera donc évoqué aussi dans cette rubrique, foi de rédacteur gourmand, qui vous en fait ici le Serment...
Autrement dit : à suivre…

©2023 Dargaud-Lombard S.A.
(*) Javier Sánchez Casado






