(mag) Bang n°4.

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freric
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(mag) Bang n°4.

Message par freric »

BANG N°4

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Couverture avec Philippe Mortimer.

Auteurs : Divers
Editions : Revue trimestrielle édité par Beaux Arts
Depôt Légal :
Dimensions :
ISSN : En cours.
Première parution : Automme 2003.
Numéro du magazine : 4
Pagination : 144 pages.
Prix de vente : 19,5€

Sommaire :
Pages 10 à 15 et 20 à 23: interview d'Edgar Pierre Jacobs par François RIVIERE
Pages 16 à 19 : Les 4 planches de Gordon L'intrépide réalisé par JACOBS.
Pages 24 à 27 : Les 4 planches en couleur du « Trésor de Toutankhamon ».
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Commandant Hamilton
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Re: Bang n°4.

Message par Commandant Hamilton »

Curieux!
Commandant au bord du porte-avions The Intrepid.
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archibald
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Re: (mag) Bang n°4.

Message par archibald »

Une retranscription de 'l'interview 'de Jacobs par François Rivière:
Bang n°4 Automne 2003
Interview Edgar P. Jacobs par François Rivière

Nombreux sont les héros de BD à connaître une seconds vie âpres la mort de leur créateur : Spirou, Achille Talon, Superman... Mais qu'en est’ il des auteurs disparus ? Bang a décidé de faire revivre le plus fantastique d'entre eux, Edgar P. Jacobs, le temps d'une interview inédite réalisée à partir d'entretiens donnés en 1971 et 1975. Dans ces propos d'un autre temps, le père de Blake et Mortimer se livre à l'écrivain François Rivière, auteur avec Benoît Mouchart d'une biographie qui vient de paraître aux éditions du Seuil, et revient sur ses années de formation, ses relations avec Hergé et son goût pour le théâtre et la littérature de science-fiction. Au moment où il sort le dernier volume des nouvelles aventures de ses héros fétiches et ou se tient, du 13 novembre au 30 avril 2004, une grande exposition au muses de l'Homme : «Blake et Mortimer a Paris». Avec l'exhumation de quatre pages de «Flash Gordon» que dessina Jacobs en 1942 dans le journal «Bravo !», ainsi qu'une histoire courte publiée dans «Tintin» en 1964 : «le Trésor de Toutankhamon».
De quoi se retourner plusieurs fois dans sa tombe.

DANS VOTRE ENFANCE, LE DESSIN OCCUPAIT-IL UNE PLACE IMPORTANTE ?
J’ai été élevé en cage, si je peux dire. Toujours dans des appariements où on ne pouvait pas faire de bruit de peur de déranger la propriétaire, les voisins du dessus ou du dessous. Nous vivions dans une atmosphère feutrée ponctuée de : «Chut ! Qu’est-ce que va dire Madame ?”. Quand nous rentrions, nous nous déchaussions et enfilions des chaussons pour ne pas abîmer les parquets. Malgré ca, je ruais dans les brancards. Enfant, j'aurais aimé sortir et courir me bagarrer dehors avec les copains, mais il n'en était pas question Le jeudi et le dimanche après-midi, il fallait rester a la maison. Je me souviens de l’atmosphère studieuse qui y régnait. Et dans ce calme, le seul plaisir et la seule recréation qu'on me laissait, c'était le dessin. Je me rappelle très bien les tout premiers dessins que j'ai faits à l'encre de Chine avec une plume. Quand mon père m'a apporte ce matériel, c'était pour moi comme l'adoubement du dessinateur; il m'obligeait à refermer il bouchon sur le flacon dès que j'y ai eu trempé ma plume, parce qu’il prétendait que ça séchait très vite. C'était un cérémonial fantastique !

QUELLES ÉTAIENT VOS LECTURES LORSQUE VOUS ÉTIEZ JEUNE HOMME ?
J'ai commencé par lire tout ce qui me tombait sous la main et, quand j'allais à la bibliothèque municipale, je choisissais de préférence de gros bouquins d'histoire, de géographie ou d'histoire naturelle. Ca pesait des tonnes ! Je marchais des kilomètres avec cette charge... J'aimais lire égalaient les pièces de théâtre. Or, la lecture de ces textes est souvent rebutante, car les mouvements de scène y sont indiqués.
J'aimais pourtant ces histoires et ces didascalies me semblaient mystérieuses : « il sort par le fond », « A la cantonade », « il descend ».
Ça m’emballait. Je lisais Conferencia les Nouvelles littéraires, Comedia. A la maison, il y avait aussi beaucoup de numéros anciens de « Je sais tout » et « Lectures pour tous ». Je me rappelle avoir lu l'Aiguille creuse de Maurice Leblanc (une aventure d'Arsène Lupin, NDLR) dans cette dernière revue. En lisant ce roman, j'étais persuade que le décor en était imaginaire. Je me souviens avoir été saisi en découvrant par la suite des photos retardataire où apparaît cette fameuse crête rocheuse en forme d'aiguille.

LISIEZ-VOUS ÉGALEMENT CE QUE L’ON N'APPELAIT PAS ENCORE DES BANDES DESSINÉES ?
Oh oui ! Comme tous les gosses de mon âge, je raffolais des illustrés pour la jeunesse que j’acquérais d'ailleurs d'occasion à raison de cinq numéros dépareillés. J’entends encore la voix du camelot„ dans le calme des après-midi du dimanche : « La collation complète ! Les cinq numéros différents pour 10 centimes. Demandez la collection complète !»
Il y avait là l’épatant, le petit illustré, l’intrépide, la semaine de Suzette et les belles images. Les histoires me semblaient d'autant plus mystérieuses que je ne les lisais que par fragment : je n'en savais ni le commencement ni la fin. De tous les dessinateurs de ce temps, celui que je préférais était Georges Omry. C’était un très grand artiste: il travaillait à la plume d'oie, ce qui lui permettait des pleins et des déliés d'une souplesse extraordinaire.

VOUS AVEZ DIT UN JOUR QUE VOTRE PÈRE VOUS RÉGALAIT PARFOIS, A LA VEILLÉE, D'HISTOIRES QUI ONT PROFONDÉMENT MARQUE VOTRE CONCEPTION DU RÉEL ET DU FANTASTIQUE...
Oui, j’adorais écouter les histoires que racontait mon père. Je me souviens en effet plus particulièrement de l'une d'entre elles. Un soir où il faisait une tournée dans les villages de la région de Forest avec sa petite charrette a deux roues de boulanger, il avait eu l'impression, en descendant dans un chemin creux qui se rejoignait par les buissons, que quelqu'un courait derrière lui. II fouetta son cheval pour gagner de la vitesse mais, en même temps qu'il accélérait, il pouvait sentir l'invisible coureur précipiter ses pas. Enfin, alors qu'il s'apprêtait dans un galop éperdu à assommer de son fouet son mystérieux suiveur, il s’aperçut que le bonhomme qui s’était accroché a sa charrette ne cherchait pas a l'attaquer mais était lui-même terrassé par la peur : il avait voulu profiter du passage de la voiture de mon père pour sortir de cet endroit... Ce genre d'ambiance épouvantable me ravissait C'est curieux, mais lorsqu'on est jeune, on se sent très à son aise avec le macabre, la mort, les choses sinistres…. J’avais d’ailleurs, une tête de mort sur ma table de travail. J'aimais dessiner des scènes oùIa mort apparaissait. J'ai fait une série de dessins sur ce thème. Les pendus m'inspiraient beaucoup. Je m'essayais à un autre style, à un autre genre.

IL Y A DANS L’ESCALIER QUI MÈNE A VOTRE ATELIER UN TRÈS BEAU PORTRAIT DE VOUS, PEINT PAR VOTRE AMI JACQUES VAN MELKEBEKE DANS LES ANNÉES 1920...VOUS Y ARBOREZ L'ALLURE D'UN ADOLESCENT PÉTRI DE ROMANTISME...
Ô combien ! Je portais alors un large feutre et me drapais d'une longue cape... Et j'avais ils cheveux longs ! Je crois que j'ai toujours été non-conformiste. Mais mon père aurait voulu faire de moi un fonctionnaire, parce qu'il avait trime trop dur dans sa vie. Mon plus grand plaisir et ma plus grande joie, ce fut le sentiment de liberté que j'éprouvais à être dehors à l'heure des bureaux. Errer en ville... Voir le va-et-vient des voitures et des passants sans être moi-même claquemuré dans un bureau ! Je ne me voyais pas m'établir à la campagne à ce moment-là. L'aventure se passait en ville. J’étais fondamentalement un citadin.

QUELLE ÉTAIT VOTRE AMBITION EN ENTRANT A L’ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS DE BRUXELLES ? VERS QUEL STYLE DE PEINTURE SOUHAITIEZ-VOUS VOUS ORIENTER ?
Je me suis découvert un temps la vocation de peintre Je m'imaginais en train de faire ces grands machins : la Prise de Jérusalem par les croisés, le compromis des nobles, la Révolution de 1830, etc. Maintenant, on appelle ça «pompier», mais, moi, je me voyais bien peindre de grandes batailles. Je faisais par exemple des croquis des massacres de la Saint Barthelemy, qui m'inspiraient beaucoup. Mais cette manière de peindre était évidemment déjà démodé depuis la fin du XIXème siècle, avec Neuville et Messonnier. Une fois entré à l’Académie, j'ai tout de suite senti quels étaient les maîtres qui m'influenceraient : Durer et Holbein, des artistes au dessin rigoureux et parfait sur le plan artistique. Il est certain que ces gens m'ont influencé, en dehors des artistes modernes.

VOUS DITES SOUVENT QUE LE GRAPHISME QUE VOUS AVEZ DÉVELOPPÉ DANS VOS BANDES DESSINÉES EST ASSEZ ÉLOIGNÉ DE VOTRE TEMPÉRAMENT NATUREL..,
Oui, je suis tiraillé entre la rigueur du trait et, en même temps, la liberté d'expression. J'aime le lavis, le fusain et le crayon. Ingres disait que le crayon est la probité. Il avait raison : on ne peut pas tricher. Voila une façon de dessiner qui m'intéresse beaucoup plus que la discipline qui m’est imposée par le mode de reproduction dans les bandes dessinées. Je déteste la plume ! J'ai essaye mille fois de reprendre le crayon, mais je me faisais estourbir par les imprimeurs. Dans l'Espadon, j'ai tout de même dessiné des pages entières au crayon : les nuages de poussière, certain décors, etc.

AU DÉBUT DE VOTRE VIE D'ADULTE, VOUS AVEZ ENTAME UNE CARRIÈRE DE BARYTON A LILLE ET BRUXELLES, COMMENT EN ÊTES-VOUS VENU A LA BANDE DESSINÉE ?
En fait, quand les cachets à l'Opéra se faisaient rares, je dessinais pour subvenir à mes besoins. Par exemple, j'ai travaille pour un négrier qui avait la clientèle de tous les grands magasins de Bruxelles. C’était une excellence école de dessin et de modestie. Je devais prendre la peine de dessiner par exemple un escabeau, un verre, une soupière... Je devais y mettre autant de soin que si j'avais dessine une Vénus de Milo. C’est contraint et forcé que j'ai repris le crayon. J'ai rencontre quelqu'un qui était directeur artistique à Bravo !. Cet hebdomadaire était l’équivalent de Tintin, il tirait à 300 000 exemplaires avant- guerre, ce qui était une chose fantastique. Il était très couru. Alors on m'a engage pour faire des illustrations de contes et de nouvelles et, comme je connaissais bien l'histoire du costume, je me trouvais très à l’aise dans ce rôle d'illustrateur.... A un certain moment commença à paraître dans cet hebdomadaire une histoire de science-fiction qui était une des premières en Europe et qui s'appelait Flash Gordon d'Alex Raymond. C'était une fameuse série américaine qui avait connu un très grand succès, mais elle a été subitement arrêtée par l’entrée en guerre des États-Unis. On m'a demande à ce moment-la, comme il avait ire interrompu, de prendre la suite de Flash cordon, ce qui était tout de même assez culotté. Pour apprécier le piquant de l'affaire, je dois préciser qu'on n'avait pas la moindre idée du scenario original : les tirés a part en noir a blanc nous arrivaient par petits paquets avec le texte anglais, un point c’est tout.

A LA SUITE DE CETTE EXPÉRIENCE, VOUS VOUS ÊTES LANCE DANS UNE AVENTURE PERSONNELLE, « LE RAYON U », EN UTILISANT DES LECTURES ANTÉRIEURES ET DES ÉLÉMENTS DIFFÉRENTS DE CEUX DE L'HISTOIRE D'ALEX RAYMOND.
A ce moment-là, j'ai songé très fortement à Conan Doyle et au monde perdu; mais je n'avais aucun scrupule, si vous voulez, à m'inspirer de ces thèmes puisque je considérais cette histoire-là comme une façon de gagner ma vie. C'était une expérience un peu biscornue puisque la rédaction de Bravo me demandait tout de même d'imiter Alex Raymond...
En 1944, lorsque j'en étais au tiers de l’histoire, mon ami Van Melkebeke m'a présenté à Hergé, face au Théâtre des Galeries, au moment où l’on créait Tintin aux Indes, la pièce qu'ils avaient écrite ensemble... Après m'avoir demandé des conseils pour ses mises en couleurs, Hergé m'a engagé en tant que principal collaborateur. Le travail avec Hergé fur aussi amusant qu'instructif ; je faisais ses décors et ses coloriages. Ainsi, j'ai refait entièrement les décors du sceptre d'Otokar. Je lui avais fait remarquer que ses gardes royaux, ceux qui gardaient le trésor, étaient trop anglais. C’étaient des Beefeaters. Or comme ca se passait dans les Balkans, j’ai dit : « il faudrait balkaniser les costumes. »
Et je lui ai dessine ses costumes, ses gardes, ainsi que la salle du trône, et tout a été refait d’ailleurs. J'ai également commencé à collaborer à la conception scénario des sept boules de cristal et du Temple du soleil!. Je n'ose pas trop employer le mot «collaborer», mais pourtant c'est un peu ça. Nous discutions et, c'était fatal, j'émettais certaines idées qu’il a développées ensuite...

EN 1946, VOUS PARTICIPEZ AU LANCEMENT DU JOURNAL « TINTIN» AVEC «LE SECRET DE ESPADON», PUBLIE DES LE PREMIER NUMÉRO DE CET HEBDOMADAIRE. C’ÉTAIT UNE GRANDE AVENTURE : LE SCENARIO ÉTAIT A PEINE ÉBAUCHÉ ET C'EST UNE HISTOIRE QUI COURT SUR 140 PLANCHES ! .
Oui .D'ailleurs, mes débuts à Tintin furent extrêmement difficiles, je travaillais à mi-temps pour Hergé, le reste, c'est-à-dire l’après-midi et bonne partie de la nuit, pour le journal Tintin. Et comme si l’Espadon ne suffisait pas, j'étais également chargé d'illustrer la Guerre des Mondes de Wells et de faire des quantités de dessins annexes auxquels s'ajoutait la réalisation d'une couverture toutes les quatre semaines... Ace moment-la, c'était encore le grand roman, la haute époque où l'on pouvait vraiment tout se permettre !
On ne s'intéressait pas au rendement financier. On ne pensait pas à l'album, mais au déroulement de cette affaire qui était comme une histoire sans fin. On allait de rebondissement en rebondissement et on ne s'occupait que du suspense et de l'écho de l'histoire auprès des lecteurs...

PUIS VOUS AVEZ DESSINE «LE MYSTÈRE DE LA GRANDE PYRAMIDE» OU L’ON CROISE L'UN DES PERSONNAGES LES PLUS INTRIGANTS DE VOTRE ŒUVRE : LE CHEIK ABDEL RAZEK... C'EST UN PEU UN RÊVE INCARNE, C'EST LE DESTIN...

C'est vrai. II y a des choses qu'on doit sentir. J’avais contacté pour cela le conservateur du musée d'égyptologie Pierre Gilbert, qui avait fait des fouilles et qui était très calé sur la question. Il m'a reçu très aimablement, il était très coopératif, pour l'époque c’était une chose très étonnante de prendre la bande dessinée au sérieux pour en faire une histoire d'archéologie...
Pour dessiner la maison de l'archéologue Grossgrabenstein, j'ai reçu l'aide d'une jeune femme charmante. C'était une Égyptienne racées qui ressemblait à la reine Néfertiti. Elle était d'une famille très connue là-bas. Son frère s'appelait Ramsès et un de ses oncles se nommait Sésostris. Apprenant cela, Van Melkebeke m'a dit : «Si j'étais toi, je n'oserais pas leur avouer que je me nomme Jacobs... Je prétendrais m'appeler Charlemagne !» (Rires)

AVEC «LA MARQUE JAUNE», VOUS SEMBLEZ RÉUNIR TOUTES LES CARACTÉRISTIQUES DE L’ŒUVRE SAVAMMENT CONSTRUITE. C'EST A LA FOIS UNE HISTOIRE DE SUSPENSE SUR LE PLAN NARRATIF, COMPORTANT UNE SORTE D'INTRIGUE POLICIÈRE AVEC UNE ENQUÊTE LENTE, SAVANTE, QUI DÉBOUCHE SUR UNE CHUTE FANTASTIQUE. EN MÊME TEMPS, C'EST UNE HISTOIRE DE SCIENCE-FICTION FONDÉE SUR DES CHOSES TRÈS PRÉCISES QUE VOUS AVEZ LONGUEMENT ÉTUDIÉES ET QUI SONT, VERS LA FIN DE L'HISTOIRE, DÉVELOPPÉES PAR LE PROFESSEUR SEPTIMUS...
La Marque jaune développe le problème du savant omniprésent et de la puissance qu'il peut déployer. Le drame de Septimus, ici, est plus celui du scientifique ulcéré par l’incompréhension et l'hostilité que soulèvent ses théories réactionnaires, et sa première intention est de confondre ses détracteurs par des faits concrets; malheureusement, ce but atteint, il perd les pédales en quelque sorte et se trouve entraîné presque malgré lui a commettre des actes de plus en plus extravagants : sa découverte l'a véritablement déboussolé, en somme. J'avais choisi Londres comme décor parce que c'est une cite mystérieuse, qui se prête mieux que toute autre ville au monde à une histoire de ce genre. C'est crédible, les Anglais aiment ce genre de choses et acceptent cet état de mystère et d'anormal contrairement à l'esprit cartésien français. Cependant, il y avait des séquences difficiles à dessiner. Comme le décor de la bibliothèque du British Museum. C'est un endroit inaccessible si on n’est pas lecteur, si on n’est pas abonné. C'était très difficile de rentrer et j'ai épaté pas mal de monde en représentant ce «saint des saints».

CETTE HISTOIRE VOUS A VALU LA DÉSAPPROBATION DE LA RÉDACTION DU JOURNAL «TINTIN»... DOUTE PARCE QUE «LA MARQUE JAUNE» CONTENAIT CERTAINS THÈMES QUE L'ON N'AVAIT PAS L’HABITUDE DE MONTRER AUX ENFANTS A CETTE ÉPOQUE...
C’est vrai… Avec Hergé, nous avons eu de grandes discussions, sur la façon de voir la bande dessinée. II prétendait que je ne pensais pas à l'enfant en écrivant et en dessinant. Je lui ai répondu : «Ecoute, mon vieux, toi non plus ! Tu dessines d’une façon comique parce que tu es un humoriste et que tu as crée un type avec une drôle de bobine... Mais tu marques toi aussi les esprits !» Et il m'a rétorqué : «Oui, mais chez moi on l’acceptera parce que ce n'est pas sérieux.» Je ne suis pas sûr que le style de dessin d'Hergé suffise à le ranger parmi les fantaisistes purs. Je crois d'ailleurs me souvenir que le Lotus bleu avait été si bien pris ay sérieux en son temps qu'Hergé avait reçu une lettre d’indignation de la part de certaines autorités.
Bref, passons... Moi, je n'ai jamais écrit en pensant à un enfant, mais plutôt au jeune homme que j'étais. Je cherche toujours à me faire plaisir, parce que je suis plus exigeant avec moi-même qu’envers les autres. Le grand secret, c'est de conserver la spontanéité de sa jeunesse le plus longtemps possible : c’est ça qui permet de faire des histoires pour les jeunes. On ne peut pas tricher avec les jeunes lecteurs : ils sentent quand on fait les choses pour leur faire plaisir. Certains éditeurs se croient par exemple obligés, pour faire un succès, de publier des histoires mettant en scène des héros jeunes. L'enfant ne réclame pas ça ! Je me rappelle en avoir discute à cette époque avec l’éditeur du journal Tintin, Raymond Leblanc, qui me demandait : «Mais comment pouvez-vous rencontrer autant de succès avec ce héros barbu qui n’est même pas jeune ?» L'explication me semble simple : les jeunes d'aujourd'hui savent qu'aucun enfant de leur âge ne pourrait accomplir pareils exploits ! Ils savent qu'on leur présence ce genre de héros parce que l'auteur s'adresse des petits. Or, il n'y a rien de plus vexant, quand on est enfant, que de se faire appeler «jeune homme». Je me rappelle avoir été furieux à cause de ça, en tant que jeune lecteur ! J’évite donc de faire des babillages et je m'adresse à eux comme j'aurais aimé qu'on s'adresse à moi...

IL SEMBLE EFFECTIVEMENT QUE VOS HISTOIRES ANNONÇAIENT DEPUIS LONGTEMPS LA BANDE DESSINÉE «ADULTE». VOS BANDES DESSINÉES NE SONT PAS PRÉFABRIQUES. CHAQUE LECTEUR. PEUT SENTIR COMBIEN VOUS LES HABITEZ. VOUS VIVEZ D'AILLEURS TELLEMENT VOS HISTOIRES QUE VOUS POUSSEZ LE SOUCI D'INCARNATION JUSQU’À PRENDRE LA POSE DE VOS PERSONNAGES DEVANT UN MIROIR...
Oui, et cette façon de travailler suscite parfois des quiproquos cocasses ! Pendant que je dessinais l’Énigme de l’Atlantide, il y avait ici une équipe de peintres en bâtiment... Et ils m'ont certainement pris pour un fou le jour où ils m'ont surpris dans mon atelier, face aux miroirs, affectant une pose guerrière, vêtu d'une cape antique ! Et puis, le réel se transforme ensuite imperceptiblement. On bascule dans le fantastique. Prenons un exemple. Cet endroit où nous nous trouvons au moment où nous parlons n'a rien de fantastique. Mais changez l’éclairage, envoyez quelques bons cumulus, et tout devient plombé... Inutile de parler de l'intérieur alors, tout se modifie et nous voila en plein fantastique. Vous savez que l'insolite tient à très peu de chose. Pour moi, je n'ai pas besoin d'un changement d'éclairage ou d'atmosphère : il suffit que je me mette à dessiner à ma table de travail et que je songe à quelque chose de précis pour que je le transforme inconsciemment. Parce que je sens le coté étrange a mystérieux - c'est absolument naturel pour moi.

VOUS ARRIVE-T-IL DE RESSENTIR VOUS-MÊME ? DANS LA VIE DE TOUS LES JOURS, CE GLISSEMENT VERS L’ÉTRANGE QUI CARACTÉRISE CHACUNE DE VOS ŒUVRES ?
Certainement. Permettez-moi de vous raconter une autre anecdote. Un soir où le chargé de presse du Lombard et moi traversions en auto la campagne brabançonne, entre chien et loup, nous sommes soudain tombes sur un panneau indiquant une déviation. Du coup, l'itinéraire bien connu disparaissait, nous obligeant à emprunter une route étroite. C'est alors qu'un engin nous apparut, quelque chose de fantastique nous regardant, qui émettait un étrange bruit. Il nous était impossible d'identifier cet engin - jusqu'à ce que nous découvrions qu'il s'agissait d'une moissonneuse-batteuse pourvue de hauts phares... mais qui ressemblait à une sorte de fabuleux robot !
Cette scène est assez proche de la fin de S.O.S. météores. En fait, c'est le souvenir d'une pluie d'orage qui a servi de détonateur. J’ai écrit cela pace que cette chose m'était arrivée : les balais d'essuie-glace étant en panne, on n'y voyait plus rien à travers le pare-brise... Tout devenait possible ! L'aventure du chauffeur de taxi emmenant Mortimer et qui se met à suivre une autre voiture a été imagine alors que j'écrivais le scenario dans mon atelier. J'ignorais alors s'il me serait possible de dénicher in situ un décor adéquat. Or, en prospectant la région parisienne, j'ai trouve à Buc une longue ligne droite menant aux grilles d'un château. Pour éviter d'entrer dans le parc, une auto devait tourner à angle droit... Près de la grille ouverte se tenait cette bonne femme dont j'ai fait une sorte de sorcière qui dit: «Qu’est ce que c'est que ces étrangers ?» Er puis aussi le grand chien qui fait «Wouah ! Wouah ! Wouah !» J'ai dû marcher sur des kilomètres pour faire le tour du parc. D'un coté, se trouvait un terrain d'aviation, de l’autre, des maisons en ruines, laissées à l'abandon depuis la dernière guerre. Alors, j'ai pris le sentier menant jusqu'aux étangs de la Geneste. Il fallait aller sur le terrain pour trouver tout cela.

VOS HISTOIRES SONT TOUJOURS TRÈS RÉALISTES AU DÉBUT. JUSTEMENT, PENSEZ-VOUS QUE L'INTRUSION DU FANTASTIQUE DANS LE RÉEL SOIT PLUS EFFICACE APRÈS DE TELLES DESCRIPTIONS ?
Je crois que le lecteur sent ce souci du réel, cette fidélité au réel. A propos du Piège diabolique, on m'a par exemple écrit de plusieurs endroits pour me demander des renseignements sur la Bove de la Demoiselle, à La Roche-Guyon. Ils me disaient : «Écoutez, j'ai le Guide Michelin, mais je ne la trouve pas... Elle n’est nullement signalée ! »
Or la maison qui a servi de décor à cette séquence existe. Je l'ai découverte juste au pied de l'église. C’est merveilleux! Je l'ai rendue crédible par des moyens tout simples. Même chose pour le Mystère de la Grande Pyramide. Il y a des gens qui sont allés au Musée du Caire et qui ont demandé où était exposée la Pierre de Maspero. Le gardien disait, paraît-il, sans doute pour ne pas perdre la face : «Je crois me rappeler qu'elle a été remisée dans la réserve...» Le critique Claude Le Gallo lui-même a été dépité d'apprendre que j'avais inventé cette pierre ! Tout était faux , mais j'étais parti de choses absolument possibles : Le Caire est en effet bâti avec énormément de débris de la Grande Pyramide, qui a été démontée en partie par les Arabes.

IL Y A BEAUCOUP DE MALICE LA-DEDANS : VOUS FAITES EN SORTE QUE. L'ON NE SACHE OU COMMENCE LA FICTION ET OU FINIT LE RÉEL.
C’EST UN PROCÉDÉ TRADITIONNEL DANS LES ROMANS SCIENCE-FICTION. DANS CEUX D'HERBERT GEORGE WELLS, PAR EXEMPLE...
Pour toute histoire de science-fiction, il doit en être ainsi. Il ne faut pas qu'on sente le décalage. II est certain que j'admirais ce coté réel chez Wells. Je me rappelle avoir cru à l'existence des tripodes, quand j'ai lu la Guerre des monde pour la première fois. Je me disais : «Mais comment se fait-il qu'on n'ait pas conserve ces engins ?» Son histoire était si crédible ! La preuve, c'est qu'elle a réussi à paniquer l'Amérique tout entière lorsque Orson Wells tire une émission radiophonique inoubliable !
Propos recueillis par François RIVIÈRE
Une page pour montrer que ce n'est pas parce qu'un journal est cher , il rétribue convenablement ses collaborateurs ! 8-)
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Une curiosité:
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Well then, Legitimate Edgar, I must have your land.
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Merci Archibald
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