Jacobs et la science

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Erca
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Jacobs et la science

Message par Erca »

Sujet créé pour mieux cadrer les débats et poursuivre la discussion entamée ici. Je l'ai casé dans la section "sondages" sans lui en joindre un parce qu'il est dur d'en faire un sur une question aussi vaste, et parce que cette section me semble être plus globalement un espace de débat, mais si un autre endroit s'avère plus judicieux, je le déplacerai.

A vous !
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Will
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Re: Jacobs et la science

Message par Will »

Erca a écrit :
catallaxie a écrit :Ce n'est pas la science en elle même que Jacobs condamne, il y a des mauvaises pratiques c'est incontestable, pour autant il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Son héros est un scientifique, qui plus est un atomiste de renommé international, il est l'image du scientifique respectueux. La science n'est pas fondamentalement mauvaise, elle ne conduit pas toujours au mal.

Les périls que dénoncent Jacobs font ils qu'il est contre la science ?
Comme je l'ai déjà dit, il faudrait pousser cette analyse plus loin, mais c'est l'impression que j'en ai, et je me demande d'ailleurs si je n'avais pas déjà lu cette analyse sous la plume de quelqu'un d'autre... Du reste, cette position me semble tout particulièrement explicitée avec le Piège diabolique, qui nous dépeint un futur fatalement délabré par la technologie, et dont la morale nous intime quand même de nous contenter du présent : est-ce possible de faire plus conservateur ? En tout cas, il n'est pas anodin, à mon avis, que le "progrès" scientifique ne soit jamais incarné que par des savants fous, dont la machine diabolique doit être détruite à la fin pour restaurer le bon ordre des choses.
A mon avis , le piège n'est qu'une réponse aux propos des personnages à la première page : il ne faut pas glorifier le passé , ni l'avenir . Et il ne faut pas se contenter du présent , mais l'accepter comme il est . A mon avis une nuance assez importante.

et puis , est-ce que Jacobs craint la science ? Non , il craint l'humanité , ou plutôt un certain nombre de cet humanité ( il n'aimait surtout pas les masses ) .
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Largo
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Re: Jacobs et la science

Message par Largo »

Sujet intéressant. Je pense que Jacobs était assez paradoxal sur la science : il était à la fois fasciné par l'évolution technologique mais aussi horrifié par la façon dont elle pourrait changer les sociétés et l'usage qu'en feraient les hommes à des fins funestes...
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Pykov
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Re: Jacobs et la science

Message par Pykov »

D'accord avec Largo, il y a de la fascination/répulsion dans l'abord scientifique de Jacobs. A l'époque il n'était pas encore de mise de parler d'éthique et je trouve que c'est, in fine, la question sous-jacente à la façon dont Jacobs aborde les progrès scientifiques. Il aurait pu dire: ok, mais avec une charte éthique.
Il est de notoriété publique que la véritable passion des Hobbits est la boustifaille. C'est une rumeur plutôt injuste car nous avons aussi développé un intérêt certain dans le brassage de la bière et le fumage de l'herbe a pipe.
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catallaxie
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Re: Jacobs et la science

Message par catallaxie »

La position de Jacobs est très difficile à situer, en bien réfléchissant il voue autant de crainte que de fascination pour la science... La science doit servir le progrès, c'est ainsi que Blake conclut la MJ, ainsi contrairement au relativiste (Kuhn, Feyerabend) Jacobs croit encore et malgré tout à l'idée de progrès. Pourtant après l'expérience du piège diabolique, il se méfie de l'avenir, qui peur dévier de l'harmonie pour sombrer dans le chaos; ce qu'il craint le plus c'est le mauvais usage des inventions, souvent le fait de puissance totalitaire (piège futur et SOS) ou de savant fou (Septimus). C'est pourquoi je crois que le message de Jacobs ne vise pas directement la science, mais le difficile équilibre entre bonne science et mauvaise science, entre celle source de progrès et celle destructrice pour l'humanité. Mortimer incarne la première, Miloch, Septimus la seconde.
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Re: Jacobs et la science

Message par MacQuarrie »

J'ai l'impression que Jacobs voyait la science un peu comme quelque chose de magique, pour laquelle on éprouve une fascination pleine d'humilité et d'incompréhension d'un phénomène qui nous dépasse, mis aussi pour laquelle on éprouve tout autant de crainte...
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Re: Jacobs et la science

Message par Mitsugoro »

Dans tout ça il ne faut pas oublier que Jacobs a assisté à la montée du totalitarisme et aux horreurs de la guerre, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'humanité, et surtout les masses, l'effrayent un tantinet...
Qui ose souiller de ses souliers la loge du grand Mitsugoro ?
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catallaxie
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Re: Jacobs et la science

Message par catallaxie »

Ce qui est remarquable c'est que, sauf erreur de ma part, Jacobs nous a montré Mortimer dans son laboratoire que pour la conception de l'espadon, et qui est plus dans les premières pages.
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Re: Jacobs et la science

Message par axelborg14 »

Pour moi, Jacobs n'est pas foncièrement contre la science ni le progrès technologique.
Mais il est pessimiste sur la façon dont l'homme utilise les découvertes scientifiques.

On le voit à travers les personnages de Septimus, de Miloch, les détournements politiques et militaires notamment le réseau Cirrus utilisé par l'Union Soviétique pour envahir l'Europe ...
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Mitsugoro
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Re: Jacobs et la science

Message par Mitsugoro »

Je pense aussi que Jacobs, dans le Piège Diabolique, évoque le cycle de naissance et mort des civilisations. Il en parle d'ailleurs dans un bouquin, à propos de sa vision du futur (lequel ? Je ne me souviens plus bien, peut-être celui de mme Quittelier).
Qui ose souiller de ses souliers la loge du grand Mitsugoro ?
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Re: Jacobs et la science

Message par herisson »

Concernant ce sujet "Jacobs et la science" je vous signale ce "hors série de Science et Vie" de près de 150 pages sur ce sujet.
Fichiers joints
Science et Vie.jpg
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catallaxie
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Re: Jacobs et la science

Message par catallaxie »

Il y a un temps où on le trouvait facilement sur ebay. Depuis que je le recherche il est devenu rare. :(

Autrement il parle aussi des Blake et Mortimer par les repreneurs, leur vision de la science...
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Re: Jacobs et la science

Message par Will »

L'année passée , j'ai signalé que j'avais vu 8 exemplaires dans la vitrine de Little Nemo ( j'ai retrouvé mon message) . 5 euro/pièce . Le libraire envoyait en France . Contacte :

Little Nemo - boulevard Maurice Lemonnier 25 - Bruxelles
(BD d'occasion /tweedehandsstrips)
T 02/514.68.04
jonathan.crochelet@freegates.be
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Re: Jacobs et la science

Message par abbas »

Très bon opuscule, qui montre bien comment Jacobs "sautait" sur de petites idées qui sont devenues grandes par la suite et combien il est difficile pour les repreneurs d'en faire autant, puisqu'ils travaillent sur le passé (on sent d'ailleurs que ce n'est pas le domaine de JVH ). Pas facile d'être un visionnaire quand tout a été inventé....
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Re: Jacobs et la science

Message par Erca »

Sujet déplacé dans la section "Edgar Pierre Jacobs", plus appropriée.
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Will
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Re: Jacobs et la science

Message par Will »

Pykov a écrit :D'accord avec Largo, il y a de la fascination/répulsion dans l'abord scientifique de Jacobs. A l'époque il n'était pas encore de mise de parler d'éthique ...
Extrait d'un article sur Albert Einstein , publié sur Wikipédia :

Pendant la guerre froide, il s’exprime contre la course aux armements et appelle, par exemple avec Bertrand Russell et Joseph Rotblat, les scientifiques à plus de responsabilités, les gouvernements à un renoncement commun à la prolifération des armes atomiques et à leur utilisation, et les peuples à chercher d’autres moyens d’obtenir la paix (création du Comité d’urgence des scientifiques atomistes en 1946, manifeste Russell-Einstein en 1954). Il s’est plusieurs fois exprimé sur sa conviction de la nécessité de créer un État mondial. Il s'est exprimé fortement contre les États-Unis en déclarant: « Les États-Unis d'Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence, sans jamais avoir connu la civilisation. »


Le 2 août 1939, il rédige une lettre à Roosevelt qui contribue à enclencher le projet Manhattan[8]. En 1945, lorsqu’il comprend que les États-Unis vont réaliser la première bombe atomique de l’histoire, il prend l’initiative d’écrire une nouvelle fois à Roosevelt pour le prier de renoncer à cette arme[9]. Après la guerre, Einstein milite pour un désarmement atomique mondial, jusqu’au seuil de sa mort en 1955, où il confesse à Linus Pauling : « j’ai fait une grande erreur dans ma vie, quand j’ai signé cette lettre [de 1939
]. »

( Sur la lettre de '39 , en.wikipedia .org : Einstein and Szilárd, along with other refugees such as Edward Teller and Eugene Wigner, "regarded it as their responsibility to alert Americans to the possibility that German scientists might win the race to build an atomic bomb, and to warn that Hitler would be more than willing to resort to such a weapon."[39]:630[45] In the summer of 1939, a few months before the beginning of World War II in Europe, Einstein was persuaded to lend his prestige by writing a letter with Szilárd to President Franklin D. Roosevelt to alert him of the possibility. The letter also recommended that the U.S. government pay attention to and become directly involved in uranium research and associated chain reaction research.

The letter is believed to be "arguably the key stimulus for the U.S. adoption of serious investigations into nuclear weapons on the eve of the U.S. entry into World War II".)
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Re: Jacobs et la science

Message par Erca »

Très intéressant Will, il serait sûrement très fécond de comparer cela avec le traitement de l'arme nucléaire dans l'oeuvre de Jacobs, et notamment Le Piège diabolique (voir ce sujet).
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Re: Jacobs et la science

Message par Erca »

Voici des points de vue hautement intéressants pour enrichir ce débat.

Ci-dessous, un extrait de l'article "Les noces de Faust et du Dr Moreau" signé Benoît Mouchart & François Rivière dans le hors-série de Sciences & Vie signalé par herisson, pp. 32-33 :
Benoît Mouchart & François Rivière a écrit :Parmi ces ambiances particulières, l'inclination paranoïaque de son tempérament se révélera, entre toutes, la plus féconde. Perpétuellement inquiet, Jacobs nourrissait pour la masse de ses semblables une défiance confinant à la misanthropie et qui s'est sans doute aggravée devant le spectacle du second conflit mondial.

A l'égard de la science, le dessinateur cultivait des sentiments contradictoires. Et, s'il se montrait fasciné par les progrès de la technologie, il s'avouait en même temps inquiet des secrets libérés par la fission de l'atome, qu'il considérait sans doute, ainsi qu'il l'a montré dans Le Rayon U, comme un substitut moderne de la pierre philosophale... Dans Les Aventures de Blake et Mortimer, les scientifiques, que leurs actions soient ou non néfastes, sont toujours des êtres solitaires abandonnés au secret de leurs laboratoires dans la spirale d'énigmatiques recherches.

Les savants qui s'agitent sur la scène du théâtre jacobsien dissimulent surtout, derrière leurs blouses blanches et leurs attirails électroniques, la défroque mystérieuse des sorciers alchimistes des légendes médiévales... Pour Jacobs comme pour Wells, la science-fiction n'est finalement qu'une forme de spéculation imaginative où la « science » n'a d'autre fonction que de masquer une conception merveilleuse, au sens féérique du terme, de la fable. « Le merveilleux, consciemment ou non, l'homme en a toujours besoin, car la vie quotidienne strictement utilitaire ne lui suffit pas, dira le dessinateur. Et comme il est difficile de croire encore de nos jours aux contes de fées, la science omniprésente s'est trouvée à point nommé pour prendre la relève... »

La fascination pour le progrès des machines ne fait cependant jamais oublier à Jacobs les dévoiements qui peuvent naître au coeur de l'homme lorsque celui-ci se persuade, avec l'impudence d'un blasphème, qu'il domine enfin la nature... Les romans de Wells illustrent à leur façon combien les avancées de la science laissent espérer que rien, demain, ne sera impossible pour l'humanité - pour son salut autant que pour sa perte. Les héritiers de Faust imaginés par Jacobs sont, à l'évidence, les enfants du Dr Moreau, ce médecin fou créateur d'êtres monstrueux qui finiront par le tuer. Comme celui-ci, ils courent à leur ruine en se croyant les égaux de Dieu, qu'ils réussissent comme Septimus à réduire leurs semblables au rang de robots dépourvus de conscience, ou qu'ils parviennent comme Miloch à dominer les éléments et la course du temps... Pragmatique, le père de Blake et Mortimer n'oublie jamais le vieil adage selon lequel « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». C'est pourquoi, filant cette idée jusqu'à la terreur, la plupart de ses récits sont hantés par l'obsession d'une imminente apocalypse.
Tirés du même magazine, des extraits ci-dessous de l'article signé Gérard Lenne et intitulé "La science du bien ou du mal" (p. 142) :
Gérard Lenne a écrit :En cet univers certes manichéen, il serait trop facile de croire que la Science selon Edgar P. Jacobs (Science à laquelle une majuscule s'impose) serait l'équivalent de la langue d'Esope, qu'elle serait manifestement « bonne » ou « mauvaise » selon l'usage qu'on en fait, et que ses serviteurs seraient eux-mêmes purement et simplement des bons ou des méchants. En dépit de quelques apparences, le monde créé par cet auteur belge aux ambitions démiurgiques n'est pas si schématique qu'on pourrait d'abord le penser. [...]

Le génie scientifique, aux yeux de Jacobs, qui rejoint par là bon nombre de ses confrères auteurs de SF, se porte donc de préférence vers le Mal. Sans occulter le fait que le principal exploit de Mortimer lui-même est de finaliser une arme de mort et de destruction massive, voyons-en comme symptôme le surgissement inopiné, au coeur de la paisible capitale britannique, de l'extraordinaire Dr Jonathan Septimus, dans la non moins délirante Marque jaune. [...]

A l'instar d'un Septimus qui, dans La Marque jaune, alors qu'il tient Mortimer à sa merci, lui déroule complaisamment les détails de ses merveilleux travaux (parce que, bien entendu, entre scientifiques on se comprend et on s'apprécie), il y a entre Miloch et Mortimer une sorte de complicité équivoque. Le besoin chez le premier de triompher, au-delà de la mort, en imposant ses vues par le biais d'une invention géniale. Le besoin équivalent et prévisible, chez l'autre, d'aller y voir !

N'y aurait-il pas ainsi une sorte de franc-maçonnerie internationale des savants, au-delà des frontières, des clans, des motivations superficielles ? Ce concept - propre à la SF - du progrès, du bien de la science surpassant les autres critères de conduite, apparaît de la sorte chez Edgar P. Jacobs, même tronqué et réduit pour les besoins de la morale.

A vrai dire, l'auteur visionnaire du Piège diabolique va plus loin en assimilant, dès l'épisode futuriste de l'aventure, la science à la sagesse au sens le plus philosophique mais aussi historico-politique du terme. Car l'autre personnage ici rencontré par Mortimer, au 51ème siècle, est encore un homme de science, le Dr Focas. Mais il est en même temps le chef des insurgés contre une anonyme dictature mondiale.

On pourrait penser qu'après de nouvelles apocalypses procurées par la science militarisée, et dont Jacobs nous offre un tableau saisissant, les peuples n'auraient pas choisi un savant pour leur montrer la voie de la délivrance. Mais c'est à ce moment que l'auteur désigne sa figure du scientifique de rêve : haute silhouette et crâne rasé à l'asiatique, sans oublier la tunique jaune comme celles des bonzes, Focas est à la fois un savant et un sage - ce qui lui donne tous les atouts pour être un conducteur d'hommes, un guide. Edgar P. Jacobs dévoile ainsi sa croyance profonde, sa conception proprement sacrée d'une science assimilée à la religion. [Il ajoute les exemples d'Abdel Razek et du Basileus.]

[...] Le monarque éclairé selon Jacobs, et assurément de droit divin, est le parangon de tous les hommes de science. C'est le prêtre-guide.

Cette osmose de la science et de la religion pour le Bien de l'humanité connaît aussi ses dévoiements vers le Mal : après tout, le Dr Septimus, si fou et si malfaisant soit-il, n'a-t-il pas inventé une religion personnelle, à sa propre gloire, lorsqu'il force ses ennemis prisonniers, transformés en zombis dérisoires, à réciter une espèce de litanie qui vante ses mérites ?

Si les habituels débats de conscience de la SF, à propos des conséquences catastrophiques des découvertes les plus extraordinaires, sont ainsi escamotés dans Les Aventures de Blake et Mortimer, c'est au profit d'une dialectique philosophique qui substitue à la science réelle un rêve, très évidemment utopique, de société idéale où une monarchie douce survit grâce à un sens profondément ancré du religieux. La Belgique, peut-être ?
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Re: Jacobs et la science

Message par Erca »

A noter qu'on retrouve la peur du nucléaire dans L'Enigme de l'Atlantide, planche 20, à travers les propos d'Icare : "Ainsi, depuis des millénaires, allant de progrès en progrès, les Atlantes arrivèrent à leur grandeur actuelle, tout en observant, du fond de leur domaine souterrain l'humanité sans cesse en guerre ou en révolution !...". On a comme illustration un champignon nucléaire, et sur la vignette suivante, Icare poursuit : "J'avoue que depuis qu'elle a réussi à libérer, comme nous, l'énergie nucléaire, notre peuple est assez inquiet, car nous savons quel usage elle est prête à en faire !!!..."

On retrouve là ce que dit Gérard Lenne dans l'extrait que j'avais recopié ci-dessus :
Gérard Lenne a écrit :On pourrait penser qu'après de nouvelles apocalypses procurées par la science militarisée, et dont Jacobs nous offre un tableau saisissant, les peuples n'auraient pas choisi un savant pour leur montrer la voie de la délivrance. Mais c'est à ce moment que l'auteur désigne sa figure du scientifique de rêve : haute silhouette et crâne rasé à l'asiatique, sans oublier la tunique jaune comme celles des bonzes, Focas est à la fois un savant et un sage - ce qui lui donne tous les atouts pour être un conducteur d'hommes, un guide. Edgar P. Jacobs dévoile ainsi sa croyance profonde, sa conception proprement sacrée d'une science assimilée à la religion. [Il ajoute les exemples d'Abdel Razek et du Basileus.]
La science n'est donc pas tellement dangereuse en elle-même (les Atlantes ont aussi découvert l'énergie nucléaire) mais à cause de la folie des hommes. Les Atlantes représentent au contraire un peuple digne de cette Science (les ancêtres atlantes n'étaient-ils pas "un groupe de mages et d'astronomes parmi les plus éminents", planche 19) et capable de l'utiliser pour le bien.
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Re: Jacobs et la science

Message par Erca »

Mon dernier message est confirmé par la morale de l'histoire que tire Icare (planche 59) : « Dites aux hommes qu'ils se trouvent au seuil d'une ère nouvelle, pleine de possibilités merveilleuses, mais que jamais ni la science, ni la victoire ne leur apportera la paix et le bonheur véritable aussi longtemps qu'ils n'auront extirpé de leur coeur ces deux fléaux : LA HAINE ET LA SOTTISE ! »
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