L'élégance dans Blake & Mortimer
Posté : 17 déc. 2017, 03:52
Bonjour à tous,
Il existe peu voire pas d’études chez B&M sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’élégance masculine.
L’œuvre de Jacob est pourtant assez souvent louée pour sa vision de l’élégance et son atmosphère si particulière. J’ai donc décidé de me lancer dans la rédaction de ce dossier.
J’ai bien conscience qu’il ne va pas nécessairement susciter beaucoup d’intérêt dans la mesure où l’élégance masculine est un sujet qui n’est pas exactement contemporain.
Il suffit pour s’en convaincre de mettre un pieds dehors voire pire, d’aller dans un magasin de « prêt à porter ».
Avant de commencer je pense qu’il est nécessaire d’apporter quelques précisions.
Tout d’abord, l’élégance n’est en rien un sujet élitiste. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil à cette photo de fermiers dans les années 1950:
Ces deux hommes sont objectivement plus élégants que 95% des gens qu’il m’est donné de croiser dans la rue au quotidien.
L’élégance n’est pas une question d’argent, mais une question d’attitude. Privilégier la durabilité à l’éphémère, la profondeur à la vacuité, la discrétion à l’exubérance…. Il s’agit donc d’un état d’esprit.
Par ailleurs, j’ai eu envie d’attaquer ce dossier sous un angle qui, je l’espère, sera original et plaisant.
En effet, je n’ai pas eu la chance de connaitre les éditions originales de B&M. Pendant longtemps j’ai donc été limité aux albums post recolorisation.
Il y a quelques années je me suis intéressé de près à Tintin et j’ai découvert le fantastique site bellier.org Ce dernier m’a donné accès aux albums de B&M en version journal de Tintin, et cela a été une révélation.
Du point de vue vestimentaire, la recolorisation a été assez destructrice et je vais m’attacher à démontrer pourquoi.
Ensuite, il est nécessaire de savoir que l’élégance vestimentaire est guidée par des règles.
On considère souvent qu’un homme qui désire être élégant doit connaitre ces règles par cœur avant de pouvoir s’oser à les briser. C’est ce qui fait tout le charme de l’élégance masculine.
Néanmoins certaines règles, notamment celles qui commandent les couleurs et les proportions ont tendances à être pratiquement immuables.
La théorie des couleurs est un vaste sujet et il est possible de théoriser dessus pendant des pages et des pages. Pour faire simple, nous allons parler de ce qui est élémentaire.
En matière de couleur et de contraste, nous pouvons isoler trois grandes catégories de personnes.
Il existe en effet des gens qui présentent un contraste fort (cheveux foncés, peau claire), un contraste moyen (cheveux foncés, peau foncée) et enfin un contraste faible (cheveux clairs, peau claire).
Il est de bon ton de faire correspondre son propre taux de contraste avec celui de ses vêtements.
Une personne qui présente un fort taux de contraste doit donc choisir des vêtements qui vont avoir un fort taux de contraste entre eux.
Il est possible d’aller plus en profondeur, mais dans un soucis de clarté nous allons nous arrêter là, je recommande de consulter le travail d’Alan Flusser sur la question pour les plus curieux.
Enfin, en guise de conclusion à cette longue introduction je vous propose un exemple pratique.
Voici une photo d’un homme à fort contraste (cheveux foncés/peau claire).
À votre avis, quelle photo est la plus attirante?
Si vous avez sélectionné, celle de droite bravo.
La tenue à fort contraste est effectivement un meilleur choix que celle à faible contraste.
Si vous avez sélectionné celle de gauche, il n’est pas trop tard pour tenter d’en apprendre plus sur comment fonctionnent les couleurs.
J’ai utilisé pour mes comparaisons les planches que l’on peut trouver sur le site de bellier.org pour ce qui concerne la prépublication dans le journal de Tintin.
Pour les albums recolorisés, j’ai simplement utilisés les PDFs qu’on peut trouver sur internet, en sélectionnant toujours les versions publiées par les éditions B&M.
Je m’excuse d’avance si la qualité de ces scans n’est pas parfaite, c’est tout ce que j’avais à ma disposition.
I) Le Secret de l'Espadon
Après avoir soigneusement passé à la loupe les 3 tomes de l’Espadon ainsi que sa prépublication j’ai préféré ignorer cette histoire pour ce dossier.
En effet, le Secret de l’Espadon raconte une guerre. Il offre surtout l’occasion d’admirer des uniformes et des tenues orientales.
Il ne s’agit pas vraiment de mon domaine de compétence et bien qu’il est possible d’y repérer certains principes qui vont animer l’esprit des recolorisations, les différences du point de vue vestimentaire ne sont pas suffisantes pour justifier une analyse détaillée.
Le seul élément que j’avais envie de partager se trouve dans cette vignette de la prépublication.
Le professeur Mortimer porte une blouse de laboratoire et un nœud papillon, témoignage d’une époque où un scientifique pouvait être élégant même au travail.
Blake n’est pas un reste avec sa superbe paire de bottes et sa culotte en cavalry twill.
II) Le Mystère de la Grande Pyramide
J’ai envie de commencer cette analyse par le superbe gentleman que l’on peut voit à l’arrière plan.
Il porte un imperméable beige claire à manches raglan avec un Fedora légèrement plus foncé. Sous son imper il porte un complet bleu et une cravate orangée. Il tient un duffel bag en tissu dans sa main gauche. À première vue il donne l’impression d’être Américain.
Lors de la recolorisation ont peut voir qu’il s’assombrit considérablement (cette tendance semble se confirmer dans les albums suivants). Son imperméable et son Fedora prennent une couleur brune très foncée. Le complet passe du bleu ciel au bleu foncé. Et le duffel bag passe du tissu au cuir. Seule la cravate et la chemise restent la même. Il est intéressant de constater que si dans de la version du journal de Tintin notre personnage est parfaitement raccord avec son environnement, lors de la recolorisation il semble être un peu perdu. En effet, l’Egypte est un pays chaud, les couleurs sombres ne sont pas un choix très judicieux. L’adoption de couleurs sombres a aussi tendance à réduire le coté Américain de notre personnage.
Dans l’avion le professeur et Nasir discutent tranquillement.
Mortimer porte une veste de sport à grand carreaux d’une couleur olive pâle avec une chemise blanc cassé. Son ensemble dépareillé est très décontracté et semble parfait pour un voyage en avion. On notera le sempiternel nœud papillon. La marque des universitaires, des docteurs…
Dans l’album des éditions B&M le professeur va perdre en élégance ce qu’il va gagner en sérieux. Son costume devient gris clair, sa chemise blanche (ce qui a pour conséquence de créer un rappel avec la pochette qui était existant dans la prépublication du journal de Tintin). Dans la mesure où la couleur de cheveux de Mortimer s'assombrit aussi la règle du contraste est respectée, mais il est très dommage que le tenue du professeur qui était parfaite pour un pays chaud deviennent aussi triste.
Lors de la rencontre avec le professeur Ahmed il est possible de remarquer immédiatement que nos deux personnages ne font pas dans le même degré de formalisme.
En effet, le professeur porte une veste de sport avec poches plaquées, probablement en lin, peut être en mohair. Il a dans sa main un Fedora et il porte encore une fois un nœud papillon d’un très beau rouge. Ahmed Rassim Bey porte un costume croisé 6 boutons avec cran aigu. Sans oublier le traditionnel fez. Sa tenue est beaucoup plus formelle que celle de Mortimer, il est en effet le conservateur du musée et doit s’habiller en accord les responsabilités liées à sa position. Encore une fois dans l’album les tenues s’assombrissent. Il est vrai qu’il n’y a pas de changement brutal dans les couleurs mais la tenue décontractée de Mortimer devient tout à coup beaucoup plus sérieuse et en apparait presque ridicule. Un ensemble sport dans un gris aussi sombre avec un nœud papillon noir est en soit proche du non sens. Probablement l’influence des années 80.
Après avoir été au restaurant avec son ami Mortimer retourne au musée.
On peut voir ici son superbe polo coat qui était à l’origine de couleur brune/or. Il faut savoir que le polo coat est un manteau fait de poil de chameau, un tissu qui est à la fois léger, doux et qui isole parfaitement du froid comme du chaud. En dessous on distingue sa dinner jacket. Il s’agit d’un modèle à boutonnage croisé avec revers à pointe ce qui démontre une influence plus américaine que britannique. Un élément capital apparait dans la version album: le polo coat vert. Il semble en effet que ce soit lors de la recolorisation que le polo coat de Mortimer soit passé de sa couleur originelle à un vert probablement jugé plus « britannique ». Ce choix est en soit très intéressant puisqu’il s’agit maintenant d’un élément caractéristique de notre héros. Il n’en reste pas moins assez amusant de voir un polo coat de couleur verte. J’ai d’ailleurs entendu mon tailleur me dire que certains clients veulent un manteau « à la Mortimer ». Comme quoi un choix maladroit peut aussi être le début d’une tendance. En parlant de maladresse, la dinner Jacket de Mortimer (comme celle d’Ahmed d’ailleurs) passe d’un beau blanc crème à un blanc plus proche d’une blouse de laboratoire. Dommage.
Intéressons nous maintenant à Olrik, ce dernier est beaucoup plus proche d’un dandy que n’importe quel autre personnage dans les albums canoniques. Et cela était encore plus vrai lors de la prépublication. (Il y est assez drôle de reconnaitre Jacobs dans les premières planches où Olrik apparait, notamment lorsqu'il porte son trench coat beige).
Le colonel porte une veste de sport d’un gris clair légèrement bleuté qui accompagne très bon son nœud papillon jaune. Son fume-cigarette est une autre indication de son dandysme. À l’arrière plan Sharkey n’est pas en reste. Veste de sport brune et nœud papillon vert. Sa pochette jetée à la va-vite complémente sa couleur de cheveux, un détail qui témoigne d’un (trop) grand soin du détail. En revanche il n’utilise pas de fume-cigarette. Il est amusant de noter que lors de la recolorisation c’est pochette blanche pour tout le monde. On note encore une fois que les couleurs s’assombrissent là encore sans tenir compte du principe même de ce qu’est une tenue dite décontractée.
Un autre rapide exemple des ravages causés par « grey washing » avec ces deux vignettes:
Lors de la prépublication l’homme qui demande du feu possède la parfaite panoplie de l’Américain en vacance dans un pays chaud. Panama visé sur la tête, un costume en lin ou en mohair beige, une chemise d’un bleu très clair et une superbe cravate à motifs comme seuls les américains osent en porter. Le policer de dos n’est pas en reste avec une veste qui semble en lin d’une couleur corail/orangée. Une fois notre américain est passé en gris, il est difficile de dire si la scène se passe en Égypte ou à Barbès.
Sans vouloir faire de conclusion hâtive, je pense que Jacobs maitrisait du moins inconsciemment les règles de l'élégance. Il reproduisait aussi probablement ce qu'il voyait autours de lui mais globalement les tenues qu'il dessine font sens. Ceux qui participent à la recolorisation n'ont pas cette connaissance et reproduisent probablement ce qui leur est contemporain. Du moins en partie. Nous verrons cela plus en détails avec le prochain article consacré à la marque jaune. Je ne sais pas quand ce dernier sera en ligne, dans la mesure où je ne dispose que de très peu de temps libre.
Il existe peu voire pas d’études chez B&M sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’élégance masculine.
L’œuvre de Jacob est pourtant assez souvent louée pour sa vision de l’élégance et son atmosphère si particulière. J’ai donc décidé de me lancer dans la rédaction de ce dossier.
J’ai bien conscience qu’il ne va pas nécessairement susciter beaucoup d’intérêt dans la mesure où l’élégance masculine est un sujet qui n’est pas exactement contemporain.
Il suffit pour s’en convaincre de mettre un pieds dehors voire pire, d’aller dans un magasin de « prêt à porter ».
Avant de commencer je pense qu’il est nécessaire d’apporter quelques précisions.
Tout d’abord, l’élégance n’est en rien un sujet élitiste. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil à cette photo de fermiers dans les années 1950:
Ces deux hommes sont objectivement plus élégants que 95% des gens qu’il m’est donné de croiser dans la rue au quotidien.
L’élégance n’est pas une question d’argent, mais une question d’attitude. Privilégier la durabilité à l’éphémère, la profondeur à la vacuité, la discrétion à l’exubérance…. Il s’agit donc d’un état d’esprit.
Par ailleurs, j’ai eu envie d’attaquer ce dossier sous un angle qui, je l’espère, sera original et plaisant.
En effet, je n’ai pas eu la chance de connaitre les éditions originales de B&M. Pendant longtemps j’ai donc été limité aux albums post recolorisation.
Il y a quelques années je me suis intéressé de près à Tintin et j’ai découvert le fantastique site bellier.org Ce dernier m’a donné accès aux albums de B&M en version journal de Tintin, et cela a été une révélation.
Du point de vue vestimentaire, la recolorisation a été assez destructrice et je vais m’attacher à démontrer pourquoi.
Ensuite, il est nécessaire de savoir que l’élégance vestimentaire est guidée par des règles.
On considère souvent qu’un homme qui désire être élégant doit connaitre ces règles par cœur avant de pouvoir s’oser à les briser. C’est ce qui fait tout le charme de l’élégance masculine.
Néanmoins certaines règles, notamment celles qui commandent les couleurs et les proportions ont tendances à être pratiquement immuables.
La théorie des couleurs est un vaste sujet et il est possible de théoriser dessus pendant des pages et des pages. Pour faire simple, nous allons parler de ce qui est élémentaire.
En matière de couleur et de contraste, nous pouvons isoler trois grandes catégories de personnes.
Il existe en effet des gens qui présentent un contraste fort (cheveux foncés, peau claire), un contraste moyen (cheveux foncés, peau foncée) et enfin un contraste faible (cheveux clairs, peau claire).
Il est de bon ton de faire correspondre son propre taux de contraste avec celui de ses vêtements.
Une personne qui présente un fort taux de contraste doit donc choisir des vêtements qui vont avoir un fort taux de contraste entre eux.
Il est possible d’aller plus en profondeur, mais dans un soucis de clarté nous allons nous arrêter là, je recommande de consulter le travail d’Alan Flusser sur la question pour les plus curieux.
Enfin, en guise de conclusion à cette longue introduction je vous propose un exemple pratique.
Voici une photo d’un homme à fort contraste (cheveux foncés/peau claire).
À votre avis, quelle photo est la plus attirante?
Si vous avez sélectionné, celle de droite bravo.
La tenue à fort contraste est effectivement un meilleur choix que celle à faible contraste.
Si vous avez sélectionné celle de gauche, il n’est pas trop tard pour tenter d’en apprendre plus sur comment fonctionnent les couleurs.
J’ai utilisé pour mes comparaisons les planches que l’on peut trouver sur le site de bellier.org pour ce qui concerne la prépublication dans le journal de Tintin.
Pour les albums recolorisés, j’ai simplement utilisés les PDFs qu’on peut trouver sur internet, en sélectionnant toujours les versions publiées par les éditions B&M.
Je m’excuse d’avance si la qualité de ces scans n’est pas parfaite, c’est tout ce que j’avais à ma disposition.
I) Le Secret de l'Espadon
Après avoir soigneusement passé à la loupe les 3 tomes de l’Espadon ainsi que sa prépublication j’ai préféré ignorer cette histoire pour ce dossier.
En effet, le Secret de l’Espadon raconte une guerre. Il offre surtout l’occasion d’admirer des uniformes et des tenues orientales.
Il ne s’agit pas vraiment de mon domaine de compétence et bien qu’il est possible d’y repérer certains principes qui vont animer l’esprit des recolorisations, les différences du point de vue vestimentaire ne sont pas suffisantes pour justifier une analyse détaillée.
Le seul élément que j’avais envie de partager se trouve dans cette vignette de la prépublication.
Le professeur Mortimer porte une blouse de laboratoire et un nœud papillon, témoignage d’une époque où un scientifique pouvait être élégant même au travail.
Blake n’est pas un reste avec sa superbe paire de bottes et sa culotte en cavalry twill.
II) Le Mystère de la Grande Pyramide
J’ai envie de commencer cette analyse par le superbe gentleman que l’on peut voit à l’arrière plan.
Il porte un imperméable beige claire à manches raglan avec un Fedora légèrement plus foncé. Sous son imper il porte un complet bleu et une cravate orangée. Il tient un duffel bag en tissu dans sa main gauche. À première vue il donne l’impression d’être Américain.
Lors de la recolorisation ont peut voir qu’il s’assombrit considérablement (cette tendance semble se confirmer dans les albums suivants). Son imperméable et son Fedora prennent une couleur brune très foncée. Le complet passe du bleu ciel au bleu foncé. Et le duffel bag passe du tissu au cuir. Seule la cravate et la chemise restent la même. Il est intéressant de constater que si dans de la version du journal de Tintin notre personnage est parfaitement raccord avec son environnement, lors de la recolorisation il semble être un peu perdu. En effet, l’Egypte est un pays chaud, les couleurs sombres ne sont pas un choix très judicieux. L’adoption de couleurs sombres a aussi tendance à réduire le coté Américain de notre personnage.
Dans l’avion le professeur et Nasir discutent tranquillement.
Mortimer porte une veste de sport à grand carreaux d’une couleur olive pâle avec une chemise blanc cassé. Son ensemble dépareillé est très décontracté et semble parfait pour un voyage en avion. On notera le sempiternel nœud papillon. La marque des universitaires, des docteurs…
Dans l’album des éditions B&M le professeur va perdre en élégance ce qu’il va gagner en sérieux. Son costume devient gris clair, sa chemise blanche (ce qui a pour conséquence de créer un rappel avec la pochette qui était existant dans la prépublication du journal de Tintin). Dans la mesure où la couleur de cheveux de Mortimer s'assombrit aussi la règle du contraste est respectée, mais il est très dommage que le tenue du professeur qui était parfaite pour un pays chaud deviennent aussi triste.
Lors de la rencontre avec le professeur Ahmed il est possible de remarquer immédiatement que nos deux personnages ne font pas dans le même degré de formalisme.
En effet, le professeur porte une veste de sport avec poches plaquées, probablement en lin, peut être en mohair. Il a dans sa main un Fedora et il porte encore une fois un nœud papillon d’un très beau rouge. Ahmed Rassim Bey porte un costume croisé 6 boutons avec cran aigu. Sans oublier le traditionnel fez. Sa tenue est beaucoup plus formelle que celle de Mortimer, il est en effet le conservateur du musée et doit s’habiller en accord les responsabilités liées à sa position. Encore une fois dans l’album les tenues s’assombrissent. Il est vrai qu’il n’y a pas de changement brutal dans les couleurs mais la tenue décontractée de Mortimer devient tout à coup beaucoup plus sérieuse et en apparait presque ridicule. Un ensemble sport dans un gris aussi sombre avec un nœud papillon noir est en soit proche du non sens. Probablement l’influence des années 80.
Après avoir été au restaurant avec son ami Mortimer retourne au musée.
On peut voir ici son superbe polo coat qui était à l’origine de couleur brune/or. Il faut savoir que le polo coat est un manteau fait de poil de chameau, un tissu qui est à la fois léger, doux et qui isole parfaitement du froid comme du chaud. En dessous on distingue sa dinner jacket. Il s’agit d’un modèle à boutonnage croisé avec revers à pointe ce qui démontre une influence plus américaine que britannique. Un élément capital apparait dans la version album: le polo coat vert. Il semble en effet que ce soit lors de la recolorisation que le polo coat de Mortimer soit passé de sa couleur originelle à un vert probablement jugé plus « britannique ». Ce choix est en soit très intéressant puisqu’il s’agit maintenant d’un élément caractéristique de notre héros. Il n’en reste pas moins assez amusant de voir un polo coat de couleur verte. J’ai d’ailleurs entendu mon tailleur me dire que certains clients veulent un manteau « à la Mortimer ». Comme quoi un choix maladroit peut aussi être le début d’une tendance. En parlant de maladresse, la dinner Jacket de Mortimer (comme celle d’Ahmed d’ailleurs) passe d’un beau blanc crème à un blanc plus proche d’une blouse de laboratoire. Dommage.
Intéressons nous maintenant à Olrik, ce dernier est beaucoup plus proche d’un dandy que n’importe quel autre personnage dans les albums canoniques. Et cela était encore plus vrai lors de la prépublication. (Il y est assez drôle de reconnaitre Jacobs dans les premières planches où Olrik apparait, notamment lorsqu'il porte son trench coat beige).
Le colonel porte une veste de sport d’un gris clair légèrement bleuté qui accompagne très bon son nœud papillon jaune. Son fume-cigarette est une autre indication de son dandysme. À l’arrière plan Sharkey n’est pas en reste. Veste de sport brune et nœud papillon vert. Sa pochette jetée à la va-vite complémente sa couleur de cheveux, un détail qui témoigne d’un (trop) grand soin du détail. En revanche il n’utilise pas de fume-cigarette. Il est amusant de noter que lors de la recolorisation c’est pochette blanche pour tout le monde. On note encore une fois que les couleurs s’assombrissent là encore sans tenir compte du principe même de ce qu’est une tenue dite décontractée.
Un autre rapide exemple des ravages causés par « grey washing » avec ces deux vignettes:
Lors de la prépublication l’homme qui demande du feu possède la parfaite panoplie de l’Américain en vacance dans un pays chaud. Panama visé sur la tête, un costume en lin ou en mohair beige, une chemise d’un bleu très clair et une superbe cravate à motifs comme seuls les américains osent en porter. Le policer de dos n’est pas en reste avec une veste qui semble en lin d’une couleur corail/orangée. Une fois notre américain est passé en gris, il est difficile de dire si la scène se passe en Égypte ou à Barbès.
Sans vouloir faire de conclusion hâtive, je pense que Jacobs maitrisait du moins inconsciemment les règles de l'élégance. Il reproduisait aussi probablement ce qu'il voyait autours de lui mais globalement les tenues qu'il dessine font sens. Ceux qui participent à la recolorisation n'ont pas cette connaissance et reproduisent probablement ce qui leur est contemporain. Du moins en partie. Nous verrons cela plus en détails avec le prochain article consacré à la marque jaune. Je ne sais pas quand ce dernier sera en ligne, dans la mesure où je ne dispose que de très peu de temps libre.