Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Scénario : E.P. JACOBS
Dessin : E.P. JACOBS
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Kronos
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Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

Chers Amis, en ce début d'une année qui sera très certainement mémorable, je vous propose de découvrir les textes suivants
Vous tous, qui aimez les saines lectures, vous vous régalerez, j'en suis sûr, avec ce mini-roman dont la trame historico-archéologico-policière vous emmènera sur des chemins non balisés à la re-découverte d'un secret bien gardé...


Le piège d’Uxellodunum

« Seules deux choses sont infinies : l'Univers et la bêtise humaine ; mais, en ce qui concerne l’Univers, je n'en ai pas acquis la certitude absolue »
Albert Einstein
« Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants »
Antoine de Saint-Exupéry


Après plus d’un an de travail, et grâce à l’implication de Tioo, Nanou 78, Vaco 6 et Pladetain, voici une Nouvelle écrite à plusieurs mains dont les sites géographiques sont intimement liés à la région parisienne et, surtout, à un site majestueux et d’une historicité authentique.

L'histoire se déroule sur deux zones distinctes : l’une, autour de Saint-Germain-en-Laye, l'autre plus en aval de la Seine, à La Roche-Guyon.
Cependant, pour la zone Saint-Germain, il est possible de faire une seule randonnée (10 km) sans pratiquement croiser une voiture.
Le même trajet peut se faire en VTT, grâce aux pistes cyclables. Bien entendu ceci nécessite alors de bien calculer son parcours.
Cette histoire est le fruit d’un travail de recherches habilement mêlées à une trame intimement tissée d’Archéologie mystérieuse, d’Histoire véritable, de Géographie et de cryptologie.

Le « héros » de cette Nouvelle est bien la Guerre des Gaules écrite par Caius Julius Caesar.
Il n'est bien sûr pas nécessaire de l'avoir lue. Pas indispensable non plus.
Laissez-vous au contraire porter par les méandres de ce récit dans lequel vous reconnaîtrez forcément des sites bien connus de vous, lecteurs de Blake et Mortimer

Dans ses « Commentaires sur la Guerre des Gaules », César décrit le site d’Alésia avec une précision rare (trop, même !). Pourtant, encore aujourd’hui, la controverse fait rage concernant la localisation de cette bataille oh combien historique, et oh combien décriée !
Genoffa, jeune historienne italienne pense avoir trouvé la clef de ce paradoxe. Décidée à confirmer sa théorie, elle entreprend un voyage en France et y fait la rencontre de Julien.
Immédiatement, l’hypothèse de Genoffa va agir comme un liant entre les deux êtres ; d’abord source de conflit, puis de rapprochement, elle deviendra vite une menace.
Loin des collines de Bourgogne, les boucles de la Seine leur dévoileront une tragique évidence : la plus grande partie des victimes de la Bataille d’Alésia n’a pas encore pris les armes...

Nous vous convions à nous suivre à la recherche de la « véritable » Alésia sur les traces de César et de Vercingétorix, empruntés de nos jours par Genoffa et Julien.


Prélude

52 avant Jésus-Christ, quelque part entre la Seine et les territoires arvernes.

La lourde porte basculante du camp romain vient de se refermer sur un cavalier. Il s'enfonce dans la nuit tombante, en direction du Nord.
Au centre du camp, six hommes portant de riches armures attendent devant la tente qu'il a quittée il y a moins d'un quart d'heure.
On reconnaît parmi eux Marc-Antoine, Brutus et les quatre Caius : Trebonius, Antistius Reginus, Caninius Rebilus et Fabius.
Ils savent que la situation est grave. Toute la Gaule s'est révoltée, César a envoyé Labienus à Lutèce « calmer » les Parisii pendant que lui se chargeait des Arvernes.
César a échoué devant Gergovie. Quant au sort de Labienus, il est l'objet du message qui vient de parvenir au Consul.

La tenture révèle l'aide de camp qui les invite à entrer. Six regards graves se croisent. Caius Trebonius est le premier à rompre le silence.
- Aléa Jacta…
- Ils roulent déjà, Caius, l’interrompt Brutus !
- C'est notre dernier espoir, la nouvelle de Gergovie est connue des peuples du Rhône, ils bloquent déjà notre retraite.
- Messieurs, ce qui va se jouer derrière cette toile, ce n'est pas la victoire ou la défaite, c'est notre vie à tous.
D'un geste viril et amical, chacun frappe la cuirasse de l'autre, puis ils entrent dans la tente et saluent.
César se tient au fond, dans un fauteuil pliant. Sa main soutient son menton, dans une attitude de réflexion. Son regard est fixé sur eux mais il semble ne pas les voir.
Sans les inviter à s'asseoir, il tourne son regard vers Julius, son aide de camp.
Julius se racle la gorge deux fois puis annonce :
- Un messager de Labienus sort d'ici.
- Merci Julius, nous avons des yeux. Par les dieux, viens-en aux faits, tonne Marc-Antoine.
Julius se tourne vers César, mais celui-ci regarde ailleurs. Julius regarde le long texte qu'il a rédigé, l'offre à la flamme qui brûle à son côté et improvise un résumé.
- Les Parissii sont en déroute, Camulogène est mort, Labienus poursuit les débris de son armée le long de la Seine...
Les six hommes se regardent, cherchant confirmation de ce qu'ils avaient compris puis tombent dans les bras les uns des autres.
Des compliments qu'un civil prendrait pour des insultes jaillissent au sujet de ce général qu'ils admirent mais jalousent un peu.
- César qu'attendons-nous ?! Joignons-nous à lui et retournons mettre une raclée à ce poltron de Vercingétorix.
- Oui, trouvons-le avant qu'il ne se cache au fond d'une autre place forte.
- César, mes troupes peuvent être prêtes dans deux heures, donne l'ordre et je marche vers le Sud en avant-garde...
Le regard de César a peu changé, il reste impassible mais on y décèle de l'irritation ; ses yeux se tournent vers Julius qui reprend la parole :
- Vercingétorix n'est pas au Sud.
L'attitude de César achève d'inquiéter Brutus.
- César, qu'as-tu ? Que nous complote ce diable de Gaulois ? Si la situation est grave, dis-le ! Tu sais que tu peux compter sur nous.
La tête de César se tourne vers lui, il croit y voir de l'amitié, presque de la reconnaissance. Sans bouger la tête il fait un signe de main à Julius.
Celui-ci prend appui sur son glaive, comme pour se rassurer.
- Après notre défaite, Vercingétorix est parti avec un fort contingent d'Eduens pour apporter son soutien aux Parissii.
- Par les dieux, cela peut tout changer !
- Ils sont arrivés trop tard. Constatant la défaite, les Eduens, pour apaiser notre colère, ont livré Vercingétorix. Il est aux mains de Labienus.
Le puissant Marc-Antoine s'approche de Julius. Saisissant son cou pour amener son visage près du sien, il dit :
- Mon bon Julius, tu veux dire que ce chien s'est rendu ?
D'un geste vif du bras, Julius arrache la main qui le tenait.
- Tu ne m'as pas écouté Marc Antoine, il ne s'est pas rendu, il a été livré.
Le visage de Marc-Antoine s'orne d'un sourire carnassier, il relève brusquement sa main vers le visage de Julius mais termine son geste par une tape amicale sur sa joue.
Puis lui tournant le dos, il regarde ses camarades en écartant les bras.
-Messieurs, la Gaule est à nous !
Brutus accuse le coup, se tourne vers César, frappe sa poitrine et tend le bras :
- Gloire à toi, ô César !
Les autres l'imitent et tous crient.
- Gloire ! Gloire ! Gloire !
César les observe, fronçant les sourcils à chaque cri comme si le bruit l'insupportait. Il tend une coupe que Julius, en l'absence de serviteur, accepte de remplir.
Tous regardent le Consul y tremper les lèvres, attendant une réaction. Elle est violente.
César jette la coupe et se lève d'un coup de reins, faisant choir le tabouret.
- Gloire !!
Il sort son glaive et d'un geste rageur le plante profondément dans le coffre qui lui avait servi de repose-pieds.
- Quelle gloire ?! Celle de ramener un barbare pouilleux vendu par trois comploteurs ? Quelle gloire voyez-vous là ?
César s'approche d'une sorte de pupitre sur lequel est posée une tablette de cire, d'autres étant entassées dessous. Il frappe le plateau du plat de la main.
- Ceci est la gloire ! Quatre ans de commentaires, quatre ans de batailles, de victoires. Des fortifications formidables, des flottes construites, des vies perdues...
- Nous le savons, César.
- Vous le savez mais le monde, lui, le lira et il commencera par la fin, par un voleur de poule donné par des lâches. C’est tout ce qu’il retiendra, c’est ce qu’il retiendra de moi.
Il avait terminé ses mots dans un soupir, l’œil fixé sur les tablettes de cire. Brutus s’avance.
- Qu’attends-tu de nous César ?
César relève la tête, sonde le regard de chacun d’eux puis, d’un coup de pied bref et ajusté frappe le pommeau richement orné de son glaive. Le mouvement de l’arme fait pivoter le couvercle du coffre sur ses charnières, révélant six rouleaux de papyrus.
Les hommes se regardent puis, chacun à son tour, posant un genou à terre, s’emparent d’un rouleau. Sans détourner leur regard de leur général, ils reprennent leur place, puis commencent à lire.
Caius Trebonius est le premier à réagir.
- Tu ne peux nous demander cela, César !
Caius Fabius jette le rouleau :
- Jamais je n’exécuterai un tel ordre.
Stupéfaits, ses voisins regardent leur chef, craignant d’être associés à cette insubordination. Le regard de César apparaît pourtant bienveillant. Il se retourne et enfile son manteau rouge.
- Ce n’est pas un ordre Caius, c’est un augure. Je ne te demande pas de le faire, je sais que tu le feras.
Pour Marc-Antoine, la question ne s’était pas posée, César avait dit, donc, il ferait mais un autre souci le taraudait :
- Et Labienus, comment crois-tu qu’il prendra la chose
César tourne légèrement la tête :
- Je me charge de convaincre Labienus que ceci est bon pour César et pour Rome.
Réajustant son manteau il se dirige vers la partie privée de la tente. Avant de disparaître derrière la tenture, il ajoute :
A vous de lui faire comprendre qu’il en va aussi de son intérêt...
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

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Aujourd'hui, le Chapitre I. On entre dans le dur !

I - Le regard de l’Arverne

Après dix ans de Marine, Julien Dorval avait réussi sa reconversion : créer une société de rénovation de statues qui lui permettait de continuer à parcourir le Monde.
Il ne connaissait rien à cet art mais avait su s’entourer de « mains d’or » en publiant l’annonce suivante : « Cherche sculpteurs réfractaires à l’autorité et à la paperasse».
Il s’était fait une clientèle à l’international dans le créneau des statues de chefs d’Etat, en privilégiant le prix à la fidélité au modèle.
Pour la pérennité de son entreprise, il avait mis en place un système de formation interne dans le genre de celle des compagnons. Ainsi l’accompagnait aujourd’hui sa dernière recrue, une petite blonde de dix-sept ans. Il n’aurait pu la décrire plus avant, son « look » et sa personnalité changeant au rythme des programmes de télévision.
Parys, c’était son prénom du mois, montrait cependant d’étonnantes capacités à reproduire les gestes précis de ses anciens. Bientôt Julien pourrait lui donner un salaire à la hauteur du projet qu’elle avait en tête : abandonner sa blondeur naturelle. Le choix de la couleur était passé du roux au noir la semaine précédente.
Tout deux traversaient le parc du château de Saint-Germain-en-Laye à la rencontre d’une des équipes de Julien. Il était assez rare qu’il accepte des clients en France mais, s’agissant de sa propre Commune, il avait fait une exception...

- Je crois qu’il y a un problème patron.
- Qu’est-ce qu’ils foutent, ils draguent ?
- Non patron, ils s'engueulent.
Toute l’équipe s’était arrêtée de travailler et regardait une élégante jeune femme qui semblait les accabler de reproches. Sa voix stridente se faisait entendre à une cinquantaine de mètres. A vingt, elle devint intelligible, déversant un flot de paroles qui semblait interminable. Le langage restait poli mais était entrecoupé de termes italiens qui ne l’étaient certainement pas.
Pour l’instant, son équipe restait tétanisée par la surprise. Julien n’intervint pas immédiatement, il était fasciné par cette fille que la colère embellissait. Les pommettes avaient foncé au lieu de rougir sur ce visage bronzé, auquel des reflets dorés donnaient un aspect soyeux. Mais Julien fut surtout hypnotisé par ses yeux. D’un noir profond, leur iris emplissait tout le globe oculaire. Ils disparaissaient parfois sous un élégant mouvement de paupières pour réapparaître avec une brillance d’où semblaient sortir des éclairs.
- Si j’peux me permettre patron, vos gars sont plutôt bourrins, et là j’en vois deux que ça commence à gonfler.
- Ok Parys, essaie de la calmer pendant que j’éloigne les autres.
Julien prit son contremaître par le bras pour lui demander de quitter provisoirement les lieux avec son équipe. Ils commençaient à charger leur matériel dans le camion lorsqu'un cri strident retentit. Parys venait de jeter tout le contenu d'un seau d’eau sur la jeune femme.
- Ben patron, vous m’aviez dit de la calmer. Elle est pas calme, là ?
- Dégagez avec les autres, on verra ça plus tard. Et passez-moi votre sac.
- Mon sac, mais pourquoi ?
- Faites ce que je vous dis, vous avez besoin de vous faire oublier.
La jeune fille obtempéra et rejoignit les autres en grommelant:
- Faire ce qu’il dit… il dit « calme-la », je fais et je me fais engueuler. J’en ai marre de cette boutique de m…
Julien se dirigea vers la jeune fille trempée :
- Je suis désolé de ce qui est arrivé madame, la petite s’excuse, vous avez la même taille elle a proposé de vous prêter ses vêtements pour rentrer chez vous.
La jeune femme ne semblait pas écouter, elle se regardait en restant sans voix, figée dans la position dans laquelle elle avait été douchée. En situation de détresse, elle restait charmante. Julien ne put s’empêcher de sourire… ce qui ne passa pas inaperçu.
Il vit deux petits sourcils se froncer et encaissa une gifle sur la joue gauche.
- Hé ! Je n’y suis pour rien moi.
- Donnez-moi ce sac et indiquez-moi un endroit où me changer.
- Heu, il y a des toilettes dans le petit bâtiment juste derrière, je vais vous y accompagner.

Ce n’est que lorsque Genoffa ressortit qu’il se rappela que Parys était en période gothique. La jeune Italienne en avait adouci le look en gardant ses propres chaussures et en plaçant judicieusement certains accessoires. Cette fille était capable d’être jolie dans toutes les situations. Il avait envie de le lui dire, mais ce n’était pas le moment de passer pour un dragueur. Il chercha quelque chose de plus neutre :
- C’est la première fois que je vois quelqu’un de bronzé porter ce type de tenue.
- Je sais que je suis hideuse ainsi, vous auriez pu avoir la délicatesse de ne pas le remarquer.
- Mais non je…
- Je déposerai les vêtements à la mairie, vous vous débrouillerez pour les récupérer. Au plaisir de ne plus vous revoir, monsieur.
Elle semblait très fâchée, Julien essaya de détourner la conversation :
- Vous vous intéressez beaucoup à Vercingétorix ?
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Chap 1.jpg (11.49 Kio) Vu 7064 fois
Elle sembla déconcertée par la question. Elle laissa tomber le sac portant ses affaires mouillées.
- Je m’intéresse à l’Histoire, à la vie des gens, leur culture, leurs mœurs, mais les batailles et les généraux m’ennuient.
- Pourtant Vercingétorix…
- Lui est différent. J’aime sa façon de voir les choses, son esprit précurseur en matière de liberté et d’idée de nation. Dommage que l’on raconte n’importe quoi à son sujet.
Son visage s’était adouci, c’était la bonne voie ; Julien s’y engouffra :
- Par exemple ?
- Par exemple ceci : toute la Gaule est en révolte, César attaque en Auvergne, et Labienus, son second, attaque Camulogène à Lutèce. Vercingétorix bat César à Gergovie. A sa place, que feriez-vous ?
- Eh bien, prévoyant que César se regrouperait au Nord avec Labienus avant de fuir la Gaule, j’essaierais de mobiliser le maximum de troupes au Sud-est pour lui bloquer la route de Rome.
Elle sortit une cigarette de son sac à main. Louis Vuitton s’y connaissait en waterproof !
- Moui, à Alise Sainte Reine en Bourgogne par exemple ? C’est bien ce qu’on m’avait dit sur les Français... Si on excepte Napoléon, la stratégie n’est pas votre truc !
Vexé, Julien détourna la tête, réfléchit un instant puis la fixa à nouveau :
- Exact, Napoléon n’aurait jamais laissé son ennemi regrouper ses forces. De plus, son armée étant libérée par sa victoire, il l’aurait envoyée à l’aide de celle qui combattait Labienus.
Il ne comprenait pas pourquoi elle n’allumait pas sa cigarette. Elle la regarda puis lui jeta un regard hautain avant de l’écraser du pied avec un soupir d’ennui.
- Ah, excusez-moi, vous vouliez du feu ?
Elle haussa les épaules.
- Et vous ? Vous auriez fait quoi ?
- Pour ? Ah oui… Hé bien la même chose. J’aurais envoyé ma meilleure arme sur Lutèce.
- La Cavalerie ?
- Oui, j'aurais profité ainsi de sa rapidité.
- Et le reste ?
- Je lui aurais demandé de suivre le mouvement de l’armée romaine en la flanquant à l’Ouest. Ainsi, j’aurais obligé César à suivre la route qu’il avait empruntée à l’aller : Allier, Loire puis éventuellement Seine.
- Pourquoi ?
- Premièrement parce-que ça l’aurait forcé à repasser par des endroits déjà pillés et où nous avions pratiqué la politique de la terre brûlée, et deuxièmement, parce-que ça aurait protégé ma cavalerie.
- Par où aurait-elle pu passer si la route la plus rapide avait été prise par César ?
- Il y avait peu de cartes à l’époque, donc les armées suivaient les rivières : Cher, Loir, Eure, puis remonter la Seine pour arriver sur les arrières de ce chef gaulois qui avait un nom de médicament.
- Camulogène ?
- Oui.
- Mais pourquoi ne pas attaquer Labienus dans le dos ?
- Si, malgré la longueur du chemin, j’avais été certain d’atteindre Camu-truc avant César, je n’aurais eu aucun moyen de savoir si je serais arrivé avant la fin de la bataille. Il aurait donc fallu que je me sois mis en position de recueillir les survivants en cas de défaite.
- ...Je serais arrivé ?
- Si Vercingétorix avait effectué cette manœuvre, il aurait certainement accompagné la Cavalerie. C’est là qu’il y avait le plus de décisions à prendre.
- C’est à mon avis exactement ce qu’il a fait. Et il est venu se placer à l’endroit où se trouve aujourd'hui sa statue. C’est pour cela qu’elle regarde en direction du lieu de la bataille de Lutèce.
- A la Défense ?
- Son visage fait face à la Défense mais nos yeux sont mobiles, il regarde en direction de l’Ile aux Cygnes.
- Ah bon, il a des yeux ? Je n’avais pas remarqué.
- Et il est trop tard pour ça puisque vos bricoleurs les ont effacés.
- Ça m’étonnerait, leur boulot consistait à étudier la possibilité de lui remettre des mains et une épée.
- Pourtant quand je suis arrivée ils travaillaient sur son visage, et depuis il n’a plus d’yeux.
- Ou il n’en a jamais eu.
- Comment osez-vous me traiter de menteuse !! …Ou alors ? Mais oui, vous êtes complice ! Vous voulez aussi cacher la vérité !
- Mais non, calmez-vous, je vous promets de les interroger sur leur travail Et puis, quelle vérité voulez-vous qu’on vous cache ici ?
- Alesia n’a jamais existé…
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II – De bello Gallico

Genoffa avait passé une nuit agitée. La veille, elle avait quitté brusquement cet homme qui, à ses arguments sur la bataille d’Alésia, avait simplement répondu :
« Je sais que les Français ont une certaine tendance à célébrer leurs défaites, mais de là à en inventer une…?! ».

Elle était certaine d’avoir, face à cet affront, eu la bonne réaction, mais il lui était insupportable d’imaginer qu’il puisse continuer à croire qu’elle n’était qu’une illuminée.
Aussi, ce matin, décida-t-elle de traverser le parc sous prétexte de rapporter le sac de Parys. Elle espérait secrètement une rencontre fortuite lui permettant d’assener à cet ignare les arguments qui avaient perturbé sa nuit.

- Vous êtes très élégante aujourd’hui.
Ce murmure lui était parvenu dans son dos, mais elle eut le plaisir d’y reconnaître la voix de Julien. Désarmée par la surprise et le compliment, elle répondit en lui adressant un sourire avenant.
Elle ne réalisa qu’un temps plus tard que, jusqu’alors, il ne l’avait vue que dans des vêtements trempés ou appartenant à une autre. Alors que son humeur redevenait noire, il fit l’erreur de poser la mauvaise question.
- Je vous ai vue regarder autour de la statue, vous vouliez me revoir ?
- Vous revoir ? Mais… Non !… Pour qui vous prenez-vous ! Et qui êtes-vous pour remettre en cause mes recherches sur Alésia !
- Alésia ? Je ne comprends pas, je parlais juste de votre robe.
Elle n’avait pas songé que lui avait pu passer une nuit tout à fait normale.
- Ah ! Ne changez pas de conversation ! Et puisque vous êtes si malin, dites-moi, selon vous, où s’est déroulée cette bataille ?
Julien tenta de s’en sortir par une pointe d’humour.
- Tout près du métro Alésia.
- Pardon ?
- C’est un vers d’une chanson de Renaud.
- Votre chanteur est bien inspiré, savez-vous pourquoi la station porte ce nom ?
- Beaucoup de stations portent des noms de batailles.
- Oui, mais c’est la seule qui porte un nom de défaite.
Elle déplia une carte.
- Vous vous souvenez de ce que j’ai dit concernant le regard de la statue ?
- Oui, Vercingétorix regarde en direction de la bataille de Lutèce que l’on situe sur la Seine, aux environs de l’Ile aux Cygnes.
- Eh bien, si vous voulez connaître l’endroit exact, il suffit de tracer une ligne entre la statue et la station Alésia.
Julien imagina le tracé, il passait en effet au sud de l’île.
- Etonnant ! Le tracé s’aligne même sur la rue qui mène à la station.
- Exact, et c’est la rue d’Alésia.
- Vous voulez dire que les noms de la rue et de la station de métro ont été choisis pour nous faire réfléchir sur la position d’Alésia ?
- Ou simplement pour qu’il reste une trace de la vérité. C'est-à-dire qu’il y a un rapport entre Vercingétorix, Alésia et la bataille de Lutèce.
- Sa dernière bataille serait donc Lutèce ?
- Non, il n’y a certainement pas pris part directement. Je pense qu’après avoir constaté la fuite des Gaulois depuis ce promontoire, il a choisi près d’ici un point favorable où il a recueilli les troupes en déroute.
- Et alors ?
- Les Romains ont dû l’assiéger et, voyant la situation sans espoir, ses alliés l'ont livré à Labienus. C’était une attitude fréquente chez les Gaulois, lorsqu’ils choisissaient de se rendre, ils livraient leur chef vaincu pour obtenir la clémence du vainqueur.
- C’est un peu vache pour leur chef !
- Il n’avait qu’à vaincre...
- Pas faux. Ils avaient du bon sens… et vous beaucoup d’imagination.
Ces mots emplirent Genoffa de fureur et de vexation. Elle fouilla nerveusement dans son sac et en sortit une feuille imprimée. Julien fut à nouveau captivé par ces yeux très noirs qui semblaient lancer des jets incandescents.
- Peut-être qu’avec ceci vous arrêterez de me prendre pour une idiote.
- Qu’est-ce ?
- La traduction d’une tablette de cire d’époque romaine.
- Où est l’original ?
- En lieu sûr.
- Chez vous ?
- Lisez au lieu de poser des questions.
Julien s’exécuta.

«« Cette place était située au sommet d'une montagne, dans une position si élevée qu'elle semblait ne pouvoir être prise que par un siège en règle. Au pied de cette montagne coulaient la Seine et deux rivières de deux côtés différents. Devant la ville s'étendait une plaine d'environ trois mille pas de longueur ; sur tous les autres points, des collines l'entouraient, peu distantes entre elles et d'une égale hauteur. Sous les murailles, le côté qui regardait le soleil levant était garni, dans toute son étendue, de troupes gauloises ayant devant elles un fossé et une muraille sèche de six pieds de haut. La ligne formée par les Romains occupait un circuit de mille pas. Notre camp était assis dans une position avantageuse sur l’autre rive de la Seine, et l'on éleva trois forts, dans lesquels des postes étaient placés pendant le jour pour prévenir toute attaque subite ; on y tenait aussi toute la nuit des sentinelles et de fortes garnisons »».

- C’est étonnant, de mémoire, le texte est le même que celui de César pour Alésia, pourtant il y a quelques différences. César ne mentionne pas la Seine et son dispositif était plus important je crois.
- Exactement, vingt-trois forts dans le récit de César au lieu de trois ici, et onze mille pas au lieu de mille.
- En effet, en ajoutant simplement les mots vingt et onze, il change complètement l’ampleur de la bataille.
- Oui et en ajoutant « circonvallation » César introduit un exploit nouveau pour son armée. Mais le plus important est qu’en enlevant les deux allusions à la Seine, le texte perd toute référence géographique.
Genoffa donna son exemplaire de la Guerre des Gaules à Julien qui compara les deux textes.
Chap 2.jpg
Chap 2.jpg (89.42 Kio) Vu 7064 fois
«« Cette place était située au sommet d'une montagne, dans une position si élevée qu'elle semblait ne pouvoir être prise que par un siège en règle. Au pied de cette montagne coulaient deux rivières de deux côtés différents. Devant la ville s'étendait une plaine d'environ trois mille pas de longueur ; sur tous les autres points, des collines l'entouraient, peu distantes entre elles et d'une égale hauteur. Sous les murailles, le côté qui regardait le soleil levant était garni, dans toute son étendue, de troupes gauloises ayant devant elles un fossé et une muraille sèche de six pieds de haut. La ligne de circonvallation formée par les Romains occupait un circuit de onze mille pas. Notre camp était assis dans une position avantageuse, et l'on y éleva vingt-trois forts, dans lesquels des postes étaient placés pendant le jour pour prévenir toute attaque subite ; on y tenait aussi toute la nuit des sentinelles et de fortes garnisons »».

- Il est vrai qu’ainsi modifié, le texte peut représenter n’importe quel endroit en France.
- D’où les 20 sites étalés sur 100.000 kilomètres carrés qui revendiquent le nom d’Alésia.
- Et pour vous quel est le bon ?
- Et en plus, vous ne m’écoutez pas ! Je vous ai dit que pour moi Alésia n’avait jamais existé.
- Mais ce texte ?
- Il raconte un autre siège, celui mené par Labienus près d’ici, et je veux découvrir où.
- Et pourquoi ne l’avez-vous pas trouvé avec une telle description ?
Genoffa se trouva sans voix devant ce qu’elle prit pour de l’ironie. Tendant la main elle répondit d’un air las.
- Parce que je suis une stupide affabulatrice, rendez-moi mes documents, j’ai assez perdu de temps avec vous.
Julien chercha à rattraper la situation en faisant diversion, il prit délicatement la main qui lui était tendue.
- Laquelle de ces jolies bagues est votre alliance ?
Feignant de ne pas être surprise Genoffa leva le menton d’un air de défi et répondit en souriant.
- Si j’étais mariée, je n’en porterais qu’une.
- Ah !… Donc vous n’êtes pas …
Genoffa retira sa main brusquement et lui arracha les documents.
- Et si je cherchais un homme, je n’en porterais aucune.
Se retournant à la manière d’une actrice, elle le laissa ainsi, sans un au-revoir.
- Attendez !
Il n’eut pas de réponse. Il chercha rapidement un moyen de la retenir, puis se décida :
- Mademoiselle, vous ne trouverez rien tant que vous chercherez si près de Paris !
Genoffa s’arrêta brusquement. Elle avait inconsciemment espéré qu’il lui donne une raison de rester et voilà qu’il lui donnait l’impression de vouloir l’aider. Mais il était hors de question qu’elle revienne, elle tourna la tête pour lui assener un regard en coin, rejeta ses cheveux en arrière et s’assit sur le banc le plus proche. Comme elle l’avait espéré, il vint la rejoindre. Ainsi, c’était lui qui restait le demandeur.
- L’attitude que vous prêtez à Vercingétorix n’est pas digne de lui. On ne laisse jamais une troupe en déroute rejoindre une troupe maîtrisée, la panique est contagieuse.
- Et qu’aurait fait le chef avisé que vous êtes ?
- J’aurais laissé fuir les troupes et me serais placé entre eux et les Romains. Se voyant moins menacés, ils auraient pu être repris en main par certains de mes officiers qui auraient guidé leur retraite vers un lieu protégé.
- Pendant que vous vous faisiez massacrer.
- Rappelez-vous que, selon ma théorie, je ne serais qu’avec des cavaliers. Pouvant facilement fuir, je simulerais des charges sur l’ennemi pour le forcer à se déployer le temps de laisser du champ aux fuyards ; puis je harcèlerais ses colonnes pour le ralentir. Quand mes fantassins seraient en lieu sûr, il ne me resterait plus qu’à les rejoindre au galop.
- Et la Cavalerie romaine ?
- Vous devez savoir qu’elle n’était pas au niveau de la Cavalerie gauloise, César ne pouvait s’y attaquer qu’en engageant des mercenaires Germains.
- Effectivement, je me souviens que, dans son texte, César fait dire à Vercingétorix ; «« Quant à leurs cavaliers, aucun d'eux n'osera seulement s'avancer hors des lignes ; on ne doit pas même en douter »».
- Donc pas de bataille ici ?
- Peut-être pas de bataille du tout... Rattrapant leur retard, les Romains auraient assiégé cet endroit, et Vercingétorix aurait été livré avant que l’assaut ne soit donné.
- C’est tordu, mais ça me fait penser à la bataille de cavalerie qui est censée avoir précédé Alésia.

Elle lui tendit le livre en indiquant le paragraphe.
«« Le lendemain, la Cavalerie est partagée en trois corps, dont deux se montrent sur nos ailes, tandis que le centre se présente de front à notre avant-garde pour lui fermer le passage.
Instruit de ces dispositions, César forme également trois divisions de sa cavalerie, et la fait marcher contre l'ennemi. Le combat s'engage de tous les côtés à la fois ; l'armée fait halte ; les bagages sont placés entre les légions. Si nos cavaliers fléchissent sur un point, ou sont trop vivement pressés, César y fait porter les enseignes et marcher les cohortes, ce qui arrête les ennemis dans leur poursuite, et ranime nos soldats par l'espoir d'un prompt secours.
Enfin, les [cavaliers] Germains, sur le flanc droit, gagnent le haut d'une colline, en chassent les ennemis, les poursuivent jusqu'à une rivière où Vercingétorix s'était placé avec son infanterie, et en tuent un grand nombre. Témoins de cette défaite, les autres Gaulois, craignant d'être enveloppés, prennent la fuite. Ce ne fut plus partout que carnage. (…).
Voyant toute sa Cavalerie en fuite, Vercingétorix fit rentrer les troupes qu'il avait rangées en avant du camp, et prit aussitôt le chemin d'Alésia, qui est une ville des Mandubiens, après avoir fait, en toute hâte, sortir du camp les bagages, qui le suivirent
»».

Julien lut puis déclara en restituant l’ouvrage :
- Désolé mais, dans votre livre, la formule est inverse : Vercingétorix garde ses piétons un peu en arrière, n’attaque qu’avec la cavalerie qui, défaite, se replie sur l’infanterie...
- Qui au lieu de faire écran se replie avec elle sur Alésia... La panique est contagieuse…
- Oui, ce plan est aberrant, il aurait mieux fait d’installer ses fantassins sur Alésia dès le départ.
- Mon idée est que vous avez raison et que César s’est inspiré aussi de cet épisode pour le faire coller à « son Alésia ».
Encore une fois, elle l’avait mené où elle voulait.
- Tout cela reste très théorique...
- Hé bien soyons pratiques, essayons de trouver cet endroit sûr où vous auriez replié vos troupes.
Il hésita un instant, s’éloigna pour téléphoner, puis :
- Ok, on y va, je propose de prendre ma voiture.
- D’accord, laissez-moi juste prendre mes affaires dans la mienne...
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Chapitre III – La méthode Berthier

Julien récupéra sa camionnette au siège de la société et en profita pour déposer le sac de Parys. Il descendit la Nationale 13 et se gara dans une petite rue de Port-Marly. Un couple les accueillit.
- Que fait-on ici ?
- Si l’on doit inspecter les bords de Seine, autant le faire en bateau.
Cette perspective enchanta Genoffa. La péniche de Françoise et Alex Picard était petite et rustique mais confortable. Alors que madame l’engageait lentement le long du fleuve, monsieur prépara un barbecue avec l’aide de Julien.

Genoffa s’était assise à l’avant, une carte au 1/100.000e sur les genoux, essayant de repérer un endroit correspondant au descriptif. Julien passait la voir de temps en temps quand on n'avait pas besoin de lui à la manœuvre. A la seconde écluse, Genoffa n’avait toujours rien trouvé. Elle attendit l’ouverture de la porte aval puis recommença à scruter attentivement les falaises avec une paire de jumelles. Soudain elle s’arrêta et les posa délicatement. Elle ne savait comment, mais elle devinait toujours quand un regard amoureux se posait sur elle, fût-ce dans son dos. Elle était certaine qu’à cet instant c’était le cas. Elle tourna la tête… Gagné !
Elle n’eut plus qu’à reprendre ses observations et attendre que Julien vienne s’asseoir à son côté. Ce qui ne prit que quelques secondes.
- Je vois que vous avez fait un portrait-robot du site, vous êtes une adepte d’André Berthier et de son Alésia jurassienne ?
- Vous connaissez ?
- Oui, j’ai lu un ouvrage qui expliquait comment il avait promené sur une carte de France un schéma correspondant au texte de César, jusqu’à trouver le site de Chaux-des-Crotenay, le meilleur concurrent d’Alise-Sainte-Reine. Mais je ne suis pas d’accord avec son dessin, ni avec le vôtre d’ailleurs. Tout d’abord le fait que César…
- Labienus...
- Oui, je voulais dire que quel que soit l’auteur, lorsqu’il décrit la plaine « face à la place » tout le monde comprend « face à la partie la plus impressionnante de la place »... C’est une réaction de touriste, un guerrier arrivera toujours par le côté le plus faible.
- C’est logique, je l’admets, mais, dans notre cas, puisque la Seine est en jeu, la vallée de trois mille pas dont parle le texte sera forcément de son côté.
- Autre erreur, les textes parlent d’une plaine entourée de collines, et vous en déduisez tous que c’est une vallée alors que ce peut très bien être un plateau. Cela me fait penser à Dien Bien-Phu, sous prétexte que le site était entouré de montagnes, tout le monde croit que c’était une cuvette, c’est oublier que toutes les attaques viêt-namiennes se firent du bas vers le haut.
- Diem quoi ?
- Laissez tomber, j’oubliais que nos défaites n’intéressent que nous.
- Je vous ai quand même compris ; donc le texte me donne un côté avec la Seine, deux avec des rivières, et le quatrième côté que je n’arrivais pas à imaginer serait, selon vous, la plaine.
- Exactement, une plaine non défendue à l’Est, ce qui explique que les Gaulois y aient massé leurs troupes et construit un mur.
Elle le regarda d’un air perdu, c’était limpide, toute la logique du texte lui paraissait maintenant évidente. Comment se faisait-il qu’aucun historien n’ait vu les choses sous cet angle ? Elle réfléchit à voix haute:
- Un éperon barré…
- Pardon ?
- C’est une technique très ancienne, on cherche un éperon rocheux avec des falaises sur trois côtés et on barre le quatrième d’un mur. Les Gaulois faisaient souvent ça.
Utilisant la gomme mordillée de son crayon, elle modifia son « portrait-robot » du site.
- Voilà, il faut trouver ça avec le côté sans cours d’eau à l’Est, et donnant sur une zone plate interrompue au bout de trois mille pas.
Images Chap.3.jpg
- Pas forcément, j’ai lu une partie de votre bouquin tout à l’heure. Dans le Livre VIII des Commentaires de César, il est écrit au Chapitre 18 :
«« Les ennemis avaient fait choix, pour leur embuscade, d'une plaine qui, en tous sens, n'avait pas plus de mille pas d'étendue ; elle était entourée d'épaisses forêts et d'une rivière très profonde »».
- Mais oui ! Une plaine peut être aussi délimitée par des bois, ses dimensions de l’époque n’ont donc aucune valeur à ce jour.
- Si ce n’est de donner une taille minimale de zone plate.
- Mais pas le maximum.
- Au fait, d’où tenez-vous cette tablette de cire ?
- De mes parents. Ma mère s’appelait Luciana Labenia. Certains pensent que Labienus est notre ancêtre. En tout cas, nous avons hérité de trois tablettes contenant le rapport du général à César. Malheureusement seule la seconde est entièrement lisible.
- L’une d’elle parle-t-elle de Vercingétorix ?
- Oui, sur la troisième on peut encore lire :
«« A la tête de son camp, il fait paraître devant lui les généraux ennemis. Vercingétorix est mis en son pouvoir ; les armes sont jetées à ses pieds »».
- Il aurait donc bien été livré, c’est édifiant ! Et de son côté, que dit César concernant sa reddition à Alésia ?
- La même chose.
Elle lui tendit son livre. Julien lut le passage qu’elle indiquait.
- C’est surprenant, César aurait répété fidèlement la description de Labienus, mais en l’entourant d’un contexte qui nous conduit à imaginer une scène totalement différente.
- Comme celle du tableau de Lionel Royer. Je crains que la vérité soit beaucoup moins fastueuse.
Julien sembla songeur.
- Je vous laisse à vos jumelles, je vais lire votre bouquin... De toutes façons il faut attendre que la Seine soit orientée Nord-Sud.
- Pas forcément ! J’ai dessiné un carré, mais rien n’impose que les cours d’eau se croisent à angle droit. Considérant le débit de la Seine, l’angle sera certainement aigu, donc si l’on dessine les affluents ainsi, on peut avoir une partie plate à l’Est tout en ayant une Seine orientée Est-Ouest.
Julien plaça le dessin corrigé sur ses genoux.
- En effet, ça marche aussi, il faut simplement que l’affluent aval soit courbe et plus long que l’autre, comme ça. Ce dessin commence à être illisible…Que faites-vous avec ces jumelles ? Vous avez repéré un site plausible ?
- Non.
Elle lui passa les jumelles et ajouta avec un sourire malicieux.
- Attendez-moi ici, je dois m’absenter.

Comprenant qu’elle allait satisfaire un besoin légitime, il reprit l’observation, mais bientôt un bruit de moteur attira son regard sur bâbord. Il aperçu alors Genoffa aux commandes du petit canot qui servait d’annexe à la péniche.
Le petit esquif contourna la pointe aval d'une longue île puis aborda le ponton du bac qui reliait la rive gauche à un village de la rive droite. Les jumelles lui permirent de voir la jeune fille débarquer pour rejoindre un peintre qui officiait sur la rive. Après une petite discussion, l’artiste lui offrit son siège. Il ne réussit pas à distinguer ce qui se passait derrière le chevalet, mais dix minutes plus tard Genoffa embrassa l’homme sur le front et, emportant quelque chose sous le bras, rejoignit son esquif. Cette demoiselle en robe droite et talons hauts capable de passer d’un quai à une barque lui rappela l’héroïne des « oiseaux » de Hitchock. La principale différence était qu’elle tenait dans la main autre chose qu’une cage à oiseau. Julien dut patienter jusqu’au retour du canot pour savoir de quoi il s’agissait.
- Mais qui diable est cet homme ? Que vous a-t-il donné ?
- Il m’a donné l’occasion de montrer mes talents d’artiste, répondit Genoffa en lui donnant la toile qu’elle venait de peindre :
Constatant qu’elle avait l’air très fière de son œuvre, Julien essaya de masquer son jugement personnel.
- C’est très joli mais pourquoi avez-vous ajouté un affluent à une des rivières ?
- Pour ajouter une colline sinon pourquoi mettre « trois forts » ?
- C’est bien joué... Personnellement, je l’avais placé du côté de la plaine, mais il est vrai qu’il aurait fait double emploi avec la ligne de fortification romaine. Et pourquoi ne pas l’avoir mis sur l’autre rivière ?
- Pour justifier la courbure... Une rivière ne tourne que face à un obstacle.
- Impressionnant. Et s’il était sur l’autre rive ?
- Il suffirait de tout inverser. Il reste aussi la possibilité qu’il soit sur la rive droite à un endroit où la Seine suit un axe Sud-Nord.

Julien contempla à nouveau le tableau, sourit, puis, après avoir adressé un regard admiratif à la jeune femme, il s’assit à l’avant de la péniche et, posant la peinture sur ses genoux, reprit l’observation. Genoffa resta un instant en arrière, contemplant son dos, puis vint s’asseoir à côté de lui. Ils restèrent longtemps dans cette position, observant le paysage qui défilait lentement, interrompu parfois par le passage d’une barge venant ravitailler la Capitale. Il est des moments de complicité où l’on est si convaincu de partager les mêmes pensées que l’on passerait des heures sans s’adresser la parole. Aucun des deux n’eut envie de rompre le silence jusqu’à ce que :
- C’est là ! J’en suis certaine.
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Chapitre IV – L’oppidum

Pendant que Julien aidait l’équipage à accoster sur la rive gauche, Genoffa contemplait la falaise. Le sentant revenir elle lui dit :
- Selon Danielle Porte, le nom Alésia proviendrait de la racine « ales » qui signifierait « falaise ».
- Vous voulez dire que cet endroit aurait pu s’appeler Alésia ?
- Non, en fait je ne crois pas à ces théories étymologiques.
- Pratique, ça vous évite d’avoir à expliquer la présence d’une plaque gravée « in Alisiia » sur le site d’Alise-Sainte-Reine.
Genoffa sourit.
- Connaissez-vous le carré SATOR ?
- Bien entendu.
Sur la poussière recouvrant un coffre de la péniche, elle traça un carré de trente-six cases.
- C’est un SATOR à six cases ?
- Disons plutôt que c’est une sorte de « serrure », écrivez le nom de César sur les trois premières lignes.
- En latin ?
- Evidemment, mais en alignant à droite, pas à gauche.
Julien traça successivement, en lettres maladroites « CAIVS, JVLIVS, CAESAR »
Images Chap.4.jpg
- Et pour les autres lignes ?
- Ecrivez les mêmes mots mais en inversant l’ordre des lettres et l’ordre des mots.
- En alignant à gauche, ok ; et maintenant ?
Elle prit les jumelles et recommença à observer la falaise.
- Je n’ai rien à expliquer concernant la plaque trouvée à Alise. Alisiia et Alésia sont des mots différents, de plus, le A étant en partie effacé il est possible que IN et ALISIIA fassent partie du même mot dont deux ou trois lettres ne seraient plus visibles. Cela nous fait beaucoup de combinaisons.
- A propos de combinaisons, que fais-je de la « serrure » que vous m’avez fait tracer ?
Sans quitter son observation elle répondit :
- Déverrouillez-là : réécrivez le second CAIUS à l’endroit.
- Joli ça a formé une symétrie dans deux des colonnes.
Elle lui adressa un regard charmeur
- C’est sur une autre colonne qu’il faut porter votre attention.
Pendant que Julien se remettait de ce qu’il venait de découvrir, elle reprit son observation.
- C’est vraiment impressionnant, je suis sûre que c’est ici, on voit bien les collines de chaque côté. C’est ce que j’appelle une place imprenable.
- C’est vous qui êtes impressionnante.
Une légère rougeur apparut sur les pommettes, Julien sourit.
- Maintenant que vous avez joué les touristes, on peut peut-être passer à la phase guerrière ? Prenez ça.
- Un casque ? Vous voulez monter à l’assaut ?
- Non, sur un scooter. Nous venons de le débarquer...
- Mais pourquoi guerrier ? Ah oui, le point faible ! J’avais oublié... Je vous suis.

Le petit scooter grimpa la route qui contournait le site par l’aval. La conduite de Julien était douce et prudente, mais Genoffa estima pouvoir se serrer contre lui sans qu’il l’interprète comme une avance. Alors qu'elle regardait le paysage, quelque chose la troubla. Elle cria pour couvrir le bruit du moteur.
- Il n’y a pas quelque chose qui vous gêne ?
- Non, restez comme ça, c’est plutôt agréable.
- Non, je voulais dire qu’il n’y a pas de rivière.
- En effet mais il y a une vallée encaissée. La rivière a pu disparaître avec le temps, ceci ressemble bien à un lit. Nous arrivons près du point faible, je vais tourner.
- Zut, il y a un grillage !
- Ah oui, et ça semble bien plus qu’un grillage... C’est une zone militaire ! Vous avez vu les pancartes, il vaut mieux ne pas rester là.

Genoffa et Julien firent quelques sondages sur les routes avoisinantes, mais comprirent très vite la situation. Tout le site était devenu un camp militaire. Entamant un second tour, ils remarquèrent un large chemin montant sur l’oppidum en longeant le grillage. Un panneau « sens interdit » en ornait l’accès. Julien lut le panonceau qui était dessous :
- « interdit sauf véhicules militaires »…
- …J’en déduis que c’est autorisé aux piétons.
Ils abandonnèrent le scooter et se retrouvèrent bientôt sur un promontoire calcaire dominant la Seine.
- Quelle vue magnifique !
- Oui, c’est ce que j’appellerais un point stratégique, on y contrôle le fleuve sur des kilomètres. Malheureusement il y a ce grillage derrière nous.
- Vous savez, mademoiselle, si ce site plaisait aux militaires de l’époque, il n’est pas illogique qu’il attire ceux d’aujourd’hui.
- Certes, mais comment vérifier ma théorie si nous ne pouvons pas entrer ?
- Effectivement, il va falloir vous contenter de théorie. En tout cas le paysage correspond bien à votre tableau.

Genoffa contempla son dessin avec l’air boudeur d’un enfant privé de manège. Julien pensa que cet échec lui donnait l’occasion de basculer vers un objectif plus romantique.
- Puisque nous ne pouvons pas aller plus loin, je propose de poursuivre notre promenade en péniche. Nous pourrions continuer à descendre la Seine jusqu’à Rouen, c’est un très beau parcours, ça vous changera les idées.
Concentrée sur sa peinture, Genoffa ne semblait pas avoir entendu, pourtant elle releva la tête et répondit d’un air enchanté :
- Vous avez raison !
- A la bonne heure, nous arriverons à Rouen au coucher du soleil, un bon moment pour un dîner sur le pont en version « fly boat ».
- Rouen ? Que voulez-vous faire là bas ? Non, comme vous le dites, la solution est dans mon dessin.
- La solution ?
- Oui, la petite colline que j’ai ajoutée au Nord. Dans la description de la bataille d’Alésia on parle d’un combat qui s’est déroulé sur une colline au Nord. Il est dit que ses dimensions ne permettaient pas de l’inclure dans les lignes romaines. Peut-être César s’est-il encore inspiré d’un des événements qui ont eu lieu ici ?
- Je croyais que votre hypothèse était une reddition sans combat ?
- Peut-être y a-t-il eu des préliminaires? On y va ?
Julien ne répondit pas et se dirigea, déçu, vers le scooter. Ils durent bientôt le laisser à nouveau pour continuer à pied jusqu’au sommet de la colline.
- Bon, nous y sommes. Vous voulez que j’aille chercher des outils pour commencer vos fouilles ?
- Ah non ! Je ne fais jamais de fouilles moi-même, j’aurais trop peur de tomber sur des ossements humains. Il me faut juste un indice pour justifier des fouilles officielles.
- Je vois une bouse de vache, c’est un indice ?
- Mais non ! Nous ne sommes pas au bon endroit. C’est sur le coteau Sud qu’il faut chercher.
Genoffa avait prononcé ces mots en montrant le livre qu’il avait gardé dans sa poche et, déjà, commençait à dévaler la pente. Julien qui essayait de la rattraper tout en feuilletant l’ouvrage ne la vit pas s’arrêter et faillit la percuter.
- Que se passe-il ? Nous sommes déjà à flanc de colline ?
- …Il n’y a plus de flanc de colline.
Etonné, Julien s’avança, mais elle le retint à temps. Devant lui se trouvait une paroi à pic, toute une partie de la colline avait été dévorée par une carrière.
- Ces criminels ont concassé tout un pan de notre Passé, je suis furieuse !
- N’ayez pas de regrets, de toutes façons vous ne colliez pas au texte.
- Pourquoi ? Il est bien dit que le fort était sur le flanc de la colline ?
- Oui, à cause des dimensions de celle-ci.
- Et voilà, parce-qu’elle était trop petite.
- Non, trop grande, écoutez :
«« Les Gaulois tiennent conseil sur ce qui leur reste à faire. Ils ont recours à des gens qui connaissent le pays, et se font instruire par eux du site de nos forts supérieurs et de la manière dont ils sont fortifiés. Il y avait au Nord une colline qu'on n'avait pu comprendre dans l'enceinte de nos retranchements, à cause de son trop grand circuit ; ce qui nous avait obligés d'établir notre camp sur un terrain à mi-côte et dans une position nécessairement peu favorable »».

Genoffa regarda sa carte.
- Vous avez raison, en fait la bonne colline est celle-ci, celle qui est en aval du site.
- Elle n’est pas exactement au Nord.
- Vu son étendue, si. Et puis il est écrit « une colline au Nord », et pas « la colline qui est était au Nord » ; c’est une indication générale. Je peux conduire le scooter ?
- Non.

Vingt minutes plus tard une Genoffa hors d’elle déversait un flot d’insultes italiennes à une série de panneaux blancs.
- C’est quand même incroyable ! Toute cette colline est encore un site militaire !
- Calmez-vous, nous allons nous faire remarquer. Regardez, face à la carrière il y a un chemin qui semble autorisé. Voyons s’il conduit plus haut.
- Autorisé ? Vous n’avez pas vu la barrière ?
- Elle interdit les véhicules, nous irons à pied. Faites semblant d’être en promenade amoureuse.
- Mais bien sûr, je vous vois venir. Je propose plutôt des frères et sœurs cherchant des champignons.
- Ce n’est pas la saison.

Le couple passa devant une seconde carrière, puis suivit un chemin bordé de panneaux d’interdiction. La pente était légère mais constante. Soudain Genoffa poussa un cri ; quatre hommes étaient apparus à une centaine de mètres, semblant surgis de nulle part. Surpris par le cri, ils hésitèrent, puis avancèrent en direction du couple. Genoffa, rassurée, les identifia comme des promeneurs. Précédant Julien, elle avança le visage droit, s’attendant à subir les regards que pose tout garçon croisant une jolie fille en pleine forêt. Pourtant, arrivé à sa hauteur, le premier détourna les yeux et les suivants eurent la même attitude. La jeune fille eut l’impression humiliante d’être transparente. Julien revint à sa hauteur.
- Ils sont bizarres, ils n’ont pas répondu à mon salut. Ils parlaient une langue des pays de l’Est il me semble, qu’en pensez-vous ?
- Je pense que j’en ai assez de ces voyages en scooter, j’ai une coiffure horrible avec votre casque.
- Oh ! Regardez, je vois d’où ils sortaient, il y a une grotte là à droite.
Ils pénétrèrent tout deux dans le creux que Julien balaya de sa lampe.
- Il n’y a rien de particulier ici, si ce n’est que le fond est muré.
- Que sont-ils venus voir ? Il n’y a pas un chien ici.
- Pourquoi voudriez-vous qu’il y ait des chiens ?
- C’est une expression, en Italie « il n’y a pas un chien » signifie qu’il n’y a personne. Je croyais que vous disiez la même chose en France.
- Vous n’êtes pas tombée loin. Il y a d’autres grottes plus haut, allons voir.
Mais Julien stoppa la jeune femme à l’entrée de la seconde, elle était fermée par une grille…
- Il y un panneau, cette grotte est en terrain militaire.
- Oui, il y avait un panneau aussi à la première.
- Ah ? Il m’avait échappé. Il vaut mieux que nous n’entrions pas.
- Ça n’a pas l’air gardé.
- Nous n’en savons rien, et quand bien même, nous sommes près du pont.
- Et alors ?
- L’endroit à été énormément bombardé lors de la dernière guerre, par mesure d’économie seules les parties autorisées au public ont été soigneusement déminées, il en va de même concernant la solidité des grottes.
Genoffa se déplaça quand même jusqu'à la grille.
- Elle est verrouillée.
- Bien entendu, qu'allez-vous faire maintenant ? La forcer ?
- Non...De toute façon, nous perdons notre temps sur ces collines.
- On va à Rouen ?
- Non, au camp.
- Quel camp ?
- Celui de Labienus. Réfléchissez, nous ne savons pas s’il y a eu des combats et, même si c’était le cas, ce n’est pas sur un des lieux d’affrontement que nous trouverions le plus d’armes.
- Je suis votre raisonnement, vous pensez au lieu de la reddition. Quand les Gaulois se sont rendus, ils ont déposé les armes au camp romain ; donc celles qui n’ont pas intéressé les vainqueurs peuvent y être encore. Où est-ce ?
- Labienus dit : «« le camp était assis dans une position avantageuse sur l’autre rive de la Seine »».
- Oui, mais il n’y a pas de colline en face !
- Donc ce sera la première colline en amont. Labienus n’aurait pas laissé les Gaulois entre lui et ses lignes de ravitaillement.
- Allons-y et remettez ce casque, nous allons passer en ville.
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V – La seconde mort des Mandubiens

Le couple s’arrêta dans un commerce pour acheter une carte plus précise de la région.
Regardez, voici la première colline en amont du pont...
- Je pense plutôt que le camp était sur la suivante.
Pourquoi ? Parce qu’elle est plus haute ?
- Non, à cause de son nom.
- Nom de D… ! Je n’avais pas vu ça ! Je vois aussi quelque chose qui va vous énerver...
- Quoi donc ?
- C’est aussi un site militaire.
Genoffa se saisit de la carte.
- Ah non ! Cette fois ça suffit, je vais acheter ce qu’il faut, mais aucun grillage ne m’arrêtera plus.
- Attendez, souvent ils ne placent pas leurs clôtures en bord de falaise pour pouvoir faire des rondes extérieures. Regardez ce chemin, il est en dehors du périmètre. Vous voyez le Point 94, c’est depuis cet endroit que la vue sur l’oppidum gaulois doit être la meilleure.

Une demi-heure plus tard, ils se tenaient en haut du promontoire. Genoffa reprit son souffle et dit :
- C’est certainement la meilleure vue sur le site gaulois. Labienus s’est probablement tenu ici.
- La vue est un peu gênée par les arbres.
- La France était beaucoup moins boisée à l’époque, les historiens sont d’accord pour dire que le site d’Alise lui-même était dénudé.
- Taisez-vous ! Ecoutez.
Julien s’était allongé au bord de la falaise, la jeune femme fit de même et, quand elle s’immobilisa, elle entendit quelqu’un parler juste au-dessous d’eux. Ils virent alors trois hommes s’éloigner de la paroi et rejoindre le chemin qu’ils avaient pris à l’aller. Elle chuchota :
- J'ai cru voir une arme.
- Oui, une sorte de fusil d’assaut, regardez ! Il le range dans son sac.
- J’ai l’impression que ce sont les hommes que nous avons croisés ce matin. Et s’ils montent ici ?
- Non, regardez, ils descendent. Nous allons attendre un petit peu et regarder ce qu’ils faisaient là-dessous.
Descendant le chemin en prenant toujours à droite, le couple se trouva bientôt à l’aplomb de leur point de vue. Genoffa s’arrêta brusquement.
- Encore une grotte ?
- Non, c’est une carrière. Mais elle n’est pas sur la carte.
- C’est petit pour une carrière. Et pourquoi creuser si haut, loin de toute route ?
- Ce doit être une vieille carrière de pierre. La technique utilisée jadis imposait de trouver une couche de pierre solide surmontée d’une couche friable.
- C’est effectivement une combinaison qu’on ne doit pas trouver sur toute la hauteur. Mais pourquoi ?
- Les carriers creusaient la couche friable jusqu’à pouvoir s’allonger sur la couche de bonne pierre. Après ils fendaient la couche du dessous en y enfonçant des coins de métal. Il ne restait plus qu’à faire glisser les pierres découpées sur la couche de silex que vous voyez ici. Regardez là-haut, ils avaient recommencé à creuser la couche supérieure.
- Très bel exposé monsieur, mais j’ai un autre avis.
- Allons bon !
- Une petite carrière reste une carrière, c'est-à-dire un morceau de notre terre que l’on peut réduire à néant sans rendre des comptes.
- Que voulez-vous dire ?
- Que je ne crois pas à une coïncidence ! Tous les sites liés à cette bataille sont occupés par les militaires ou ont été transformés en matériaux de construction. On nous cache quelque chose, j’en suis certaine et cela prouve que j’ai raison.
- Voyons mademoiselle, ces sites existaient du temps de la conscription. Si l’Armée y cachait des vestiges, nous aurions fini par le savoir.
- Je ne pense pas que l’Armée y entrepose des éléments secrets ; je pense que vos gouvernants y ont installé des camps militaires pour empêcher les fouilles.
- Et pourquoi ?
- Je n’en sais rien, je ne comprends pas. Au début je pensais que, pour des raisons économiques, ils ne voulaient pas remettre en question le site d’Alise-Sainte-Reine... Mais les moyens mis en œuvre sont trop importants, il doit y avoir autre chose.
- Et César ?
- César ?
- Oui, commençons par le début. Pourquoi aurait-il fait tant d’efforts pour décrire une bataille qui n’a pas existé ?
- Mais c’est évident ! Il a envahi les Gaules pour conquérir le pouvoir. Son épopée fut glorieuse mais admettez que la fin tourne un peu en queue de poisson. Son pire ennemi lui est livré sans combat et, pire, la gloire de la capture revient à son second couteau.
- Je n’avais pas vu ça sous cet angle, vous marquez un point. Mais si Alésia n’a pas existé, qu’en est-il de ses habitants ?
- Ses habitants auraient été les Mandubiens, un peuple prétendument puissant, mais dont le nom n’a jamais été mentionné avant la bataille d’Alésia.
- Et après ?
- Pour eux il n’y a jamais eu d’Après, écoutez ce qu’en dit César :
«« Les Mandubiens, qui les avaient reçus dans leur ville, sont forcés d'en sortir avec leurs enfants et leurs femmes. Ils s'approchent des retranchements des Romains, et, fondant en larmes, ils demandent, ils implorent l'esclavage et du pain. Mais César plaça des gardes sur le rempart, et défendit qu'on les reçût »».
- Ils seraient donc tous mort entre les deux lignes ? C’est affreux.
- Affreux si c’est vrai, pratique si c’est faux.
- Et les Romains eux-mêmes ? Une armée si nombreuse, comment garder le secret ?
- De toute l’œuvre de César, Alésia est la seule bataille où aucun numéro de Légion n’est mentionné. Pour Gergovie, il va jusqu’à citer des noms de centurions, ici, seuls les sept généraux les plus haut placés sont nommés.
- Justement, pourquoi n’ont-ils pas dénoncé la supercherie ?
- Précisément parce-qu’ils ont été cités. A l’exception de Labienus, César ne met pratiquement jamais ses généraux en valeur, sauf à Alésia où ils jouent tous un rôle glorieux. Je pense d’ailleurs que ce sont eux qui ont écrit la partie mensongère du livre, ce qui expliquerait pourquoi César a arrêté d’écrire lui-même à partir de cet épisode. Le Livre VIII est d’une autre main.
- Les généraux auraient menti pour glorifier César en échange d’une part des honneurs ?? Mais Labienus ?
- Hors César, c’est lui qui a le plus beau rôle dans la bataille, mais je pense qu’il a été mis devant le fait accompli.
- Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
- César n’a jamais eu d’allié plus fidèle et plus compétent. Pourtant, après la guerre, Labienus reprocha à César son « manque de reconnaissance ». Son ressentiment évolua tant qu’il finit par se ranger du côté de Pompée durant la Guerre civile. Labienus mourut à la tête d’une armée qui combattait César.
- D’accord, vos arguments sont convaincants, mais pourquoi êtes-vous la seule à les défendre ?
- Vous vous trompez, d'autres pensent comme moi, et depuis longtemps. De grands hommes ont soutenu cette thèse, mais on a toujours refusé de les écouter. Je pourrais vous en citer des dizaines.
- Citez-moi en un plutôt.
- Lionel Royer.
- Le peintre ?
- Oui.
Elle pianota quelque chose sur son i-phone puis lui confia l'appareil.
- Connaissez-vous ce tableau ?
Images Chap.5.jpg
Julien n'aimait pas être pris pour un idiot.
- Il me semble l’avoir déjà vu mais j'hésite entre la Joconde et le Radeau de la Méduse.
Il lui rendit sa tablette en ajoutant ironiquement :
- En tout cas ce n'est pas une œuvre de Royer.
Elle haussa les épaules et recommença sa saisie, Julien se plaça dans son dos pour observer l'écran. En quelques glissements de doigts elle fit apparaître une ligne diagonale sur l'image du tableau.
- Il y a en réalité deux tableaux dans le Radeau de la Méduse. En bas à gauche, il représente le désespoir, la soif, la mort. Mais au-dessus de la ligne, on voit l'autre thème, l'espoir, le sauvetage, la joie, la vie. Si l'image était plus grande vous verriez en haut à droite le navire qui les a secourus.
- L'Argus si je ne me trompe.
- Oui, maintenant, observez bien les deux femmes au centre de la photo.
- Oui, c’est une erreur de Géricault, il n’y avait qu’une seule femme sur le radeau.
- Essayez d’avoir l’esprit plus large, il a fait une œuvre figurative. Ces femmes sont le seul lien entre les personnages des deux tableaux. L’une a l’espoir et essaie d’entraîner la seconde. Cette dernière, désespérée, essaie de retenir la première. Par ces deux tableaux, il rappelle que les soixante premiers morts du radeau son tombés la première nuit ; dans un combat entre ceux qui voulaient couler l’esquif pour abréger une souffrance inutile, et ceux qui gardaient espoir.
Julien agrandit l’image par un glissement de doigts.
- Brillante démonstration mais où nous mène-t-elle ?
- A ce tronc abattu qui me paraît confortable.
Genoffa s’assit et déroula une feuille de papier qui était dans son sac, Julien s’installa à ses côtés.
- Ça c’est une peinture de Royer.
- Oui, et elle est également composée de deux tableaux mais, au lieu d’être juxtaposés, ceux-ci sont superposés. Le premier se lit du bas gauche vers le haut droit ; on y voit Vercingétorix sur son cheval blanc jeter ses armes aux pieds de César, mais que distinguez-vous derrière le Consul ?
- Ses généraux ?
- Exact ! Caius Trebonius, Caius Antistius Reginus, Caius Caninius Rebilus, Caius Fabius, Brutus et Marc-Antoine, les six généraux qui sont cités dans son récit d’Alésia.
- Il manque Labienus ?
- Non, il est présent, mais ailleurs, il y a aussi un second Vercingétorix.
- Un autre Vercingétorix ?
- Observez le guerrier Gaulois qui est en bas à droite, à votre avis que regarde-t-il ?
- Son chef bien sûr.
- Non, si c’était le cas son regard serait plus haut ; ici il vise le cheval.
- Je ne vous suis plus. Le cheval représente Labienus ou le deuxième Vercingétorix ?
- Oubliez le cheval, le cavalier, César et les six généraux, essayez d’imaginer le tableau sans eux.
Julien saisit la feuille et se concentra sur l’image.
- Je crois comprendre…
- Vous avez compris ; le premier tableau, orienté de gauche à droite et mis en lumière, c’est la légende, ce que l’on veut faire croire mais, dessous, se trouve le second tableau, la sombre réalité, qui, elle, se lit de droite à gauche.
- Donc, ce guerrier en bas à droite serait aussi Vercingétorix, mais un Vercingétorix entravé, livré à des soldats romains qui le présentent à…
- A Labienus ; c’est lui que regarde le guerrier. On le voit en sombre, derrière le cheval, à la tête de son armée, devant son camp.
Julien resta songeur devant sa page, il était impressionné par cette jeune femme, il eut envie de la pousser dans ses retranchements.
- D’accord pour les témoins, mais il existe des preuves matérielles attestant que la bataille s’est déroulée à Alise-Sainte-Reine.
- Vous voulez parler des nombreuses armes, dont quarante pilums, qui ont été trouvés sur le site ?
- Oui, celles qui sont justement conservées au musée de Saint-Germain-en-Laye. Elles viennent bien d'Alise non ?
- Bien sûr, et personne ne conteste qu'il y ait eu bataille à cet endroit. Mais ce siège n'a pas eu lieu en -52 et il n'a rien à voir avec Alésia. Ces fameux pilums, avez-vous essayé de les voir ?
- Non.
- Vous avez bien fait, c’eût été inutile. Tout le monde connaît leur existence, mais le musée n’a jamais accepté de les montrer, ni au public, ni même aux spécialistes.
- Vous affabulez !
- Hé bien allons-y, vous essaierez vous-même...
- Si vous voulez ! Pour l’instant, retournons à la péniche car il commence à faire nuit, et il est temps de manger.
Quand ils rejoignirent le bord, le couple de mariniers avait déjà dîné, mais Françoise proposa de leur préparer un repas pour deux. Alex fit à Julien un clin d’œil qui n’échappa pas à la jeune fille.
- Nous allons repartir en direction de Paris. J’ai dressé une table sur le pont avant, vous pourrez profiter de la douceur de cette soirée.
Genoffa flaira le piège lorsqu’elle vit la nappe blanche et les chandelles. Pourtant elle trouva l’attention touchante et décida de profiter du moment sans penser plus avant. En dégustant le succulent repas, elle contempla un peu plus son voisin de table, le vent relatif avait éteint les bougies, exposant son visage à la lumière dansante des lampions. Il n’était pas dénué de charme.
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

Chers Ami(e)s lecteurs et lectrices, je vous prie de m'excuser ; en verrouillant le sujet, j'étais loin de me douter que je vous empêchais (pour ceux que l'envie d'écrire l'une ou l'autre "critique" ou question) de poster un message
Je déverrouille donc ce sujet pour vous permettre de vous exprimer pleinement

D'autre part, à tous ceux qui ne connaissent pas la Région parisienne, je sais que tout cela va paraître un tantinet "lointain" et qu'il vous faudra l'aide d'un Atlas pour vous y retrouver, surtout lorsqu'on parle en plus de tous les sites qui "auraient pu" être Alésia !
Mais l'intérêt du récit devrait primer sur ces basses considérations de Géographie

Bref, voici ce jour le Chapitre VII
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

Chapitre VI - Les chavilles de Marius

La péniche accosta à son port d’attache tard dans la nuit. Le lendemain, le couple se retrouva au musée des Antiquités nationales. Julien avait fait la connaissance du Conservateur lors de la négociation du contrat de rénovation de la statue. Pourtant, ils ressortirent du musée sans avoir pu accéder aux fameux pilums.
- Il avait une bonne excuse, on ne peut pas lui faire de reproche, dit Julien.
- Ils ont toujours une bonne excuse mais, bizarrement, ce n’est jamais la même. Pourtant notre visite ne fut pas inutile je crois...
- Précisez votre pensée...
- Pendant que vous l’occupiez, j’ai pu consulter un document sur une table de son bureau, il parlait d’un souterrain reliant les deux châteaux.
- Quels deux châteaux ?
- Celui du musée et un autre que l’on nommerait le « Château Neuf ». Une gravure représentait le mur de ce dernier qui cachait l’entrée du souterrain.
- Et alors ?
- Je suis sûre de pouvoir reconnaître ce mur si je le vois, nous pourrons alors entrer dans le souterrain et accéder au château qui cache les armes.
- Impossible !
- Je sais, c’est une effraction, mais c’est tout aussi illégal de cacher des vestiges. J’irai seule si vous avez peur !
- Aller où ? Le château dont vous parlez a été rasé sous la Révolution.
- Ah ? Et il n’en reste rien ?
- Juste quelques morceaux insignifiants.
- Mais le souterrain doit exister encore, il suffit de situer où est son entrée en comparant les cartes actuelles aux plans du château. Vous avez Internet ?
Un quart d’heure plus tard, chez Julien, Genoffa pianotait...
- Regardez ! J’ai trouvé une simulation 3D du château, je vais pouvoir vous montrer l’endroit qui était sur le plan du conservateur.

Dans une rue proche, un homme retira ses écouteurs pour utiliser son téléphone cellulaire.
- Something interesting, boss.
- Parlez français au téléphone, ils ont aussi des services d’écoute, inutile d’attirer l’attention.
- Ils sont sur un ordinateur, ils parlent d’un souterrain qui conduirait au musée.
- Peut-on voir ce qu’ils consultent ?
- Non, nous pouvons capter les rayonnements du signal vidéo jusqu'à une centaine de mètres, mais ils doivent utiliser un ordinateur portable.
- Pas idiot, et il a certainement inhibé la sortie moniteur. Enregistrez la conversation quand même.
- C’est parti...

Julien avait pris une chaise et regardait l’écran par-dessus l’épaule de la jeune fille. Il se sentait bien ainsi, bercé par cette musique de fond aux accents pathétiques.
Après quelques minutes, Genoffa demanda :
- Alors ?
- Alors quoi ?
- Vous habitez ici ! Vous reconnaissez quelque chose ?
- Je crois que c’est Paris.
- Comment ça, Paris ?
- Votre parfum, c’est « Paris » d’Yves Saint-Laurent...
- Concentrez-vous. Essayez d’identifier un endroit.
- Je vous l’ai déjà dit, tout ce que vous voyez a été détruit, il n’en reste rien.
Déçu par le peu de portée de son compliment, Julien observa plus attentivement les images de synthèse sans trouver d’endroit familier. Il murmura.
- Et vous ?
- Je ne sais pas, je me suis enrhumée à cause de l’autre chipie...
- Je parlais de votre mur.
- Rien vu de ressemblant pour l’instant...

Pendant un temps, l’espion n’entendit plus que la musique, puis soudain, la voix de Genoffa le surprit.
- Le voilà ! C’est lui !…
La main de Genoffa était toujours sur la souris de l’ordinateur. Julien posa délicatement la sienne dessus, puis guida la petite main et le périphérique pour amener le pointeur sur le menu principal. Son index appuyant sur celui de Genoffa, il éteignit l’ordinateur en quelques clicks brefs.
- Que faites-vous ? J’étais au bon endroit, connectez-vous à nouveau que je repasse la vidéo !
- Inutile j’ai vu et j’ai une bonne mémoire, je sais où il faut aller.
- Vous avez aussi du flair.
- J’ai simplement déjà vu ce mur.
- Je ne parlais pas de ça...

Une demi-heure plus tard, le couple contemplait ce morceau de mur qui était un des rares vestiges de l’ancien château dit « neuf ». Genoffa alluma une cigarette et compara les lieux à l’animation 3D.
- Regardez, cette porte n’existait pas sur la vidéo, ce doit être l’entrée du souterrain.
- Ça m’étonnerait, je l’ai déjà vue ouverte, elle donne sur une remise et sur le jardin de la maison de gauche.
Ils longèrent le mur jusqu’à son extrémité gauche ; un mur plus récent appartenant à la maison le prolongeait. Julien entraîna Genoffa plus haut pour lui permettre de voir par-dessus.
- Regardez, on voit la sortie de la galerie qui vient de la porte.
- Oui, je vois mais la petite galerie qui est juste au-dessus, où mène-t-elle ?
- Grands Dieu ! Je ne l’avais jamais remarqué. Elle longe le mur, c’est peut-être ça...
- Mais comment y aller ?
- C’est simple, je récupère une de mes échelles, nous forçons la porte que vous avez vue pour atteindre la galerie du bas, et nous grimpons dans celle du haut depuis le jardin.
- Et bien sûr, tout le monde trouvera normal de voir un couple se balader pendant la nuit avec une échelle ?
- Nous n’irons pas de nuit, mais à dix-sept heures, quand le musée ferme. J’ai un petit camion qui ne porte pas le nom de la Société. Si, à cette heure de pointe, je bloque le trafic pour descendre l’échelle et que nous portons des casques et des gilets réfléchissants, tout le monde trouvera ça normal. Un de mes employés nous accompagnera, il ramènera le camion quand nous serons rentrés.

La manœuvre fonctionna à merveille, la rage des automobilistes se concentrant sur le camion. Genoffa s’engagea dans la petite galerie pendant que Julien y tirait l’échelle. Dès qu’une bifurcation à gauche les isola de la lumière du jour, ils allumèrent leurs torches. Le cheminement devint boueux et tortueux. Plusieurs autres galeries communiquaient avec celle qu’ils suivaient, mais le sens de l’orientation de Julien les conduisit à bon port. Après avoir forcé une serrure d’un autre âge, Julien ouvrit une porte sur ce qui ne pouvait être que la réserve du musée.
Genoffa trouva l’interrupteur, et la lumière dévoila un immense entrepôt voûté.
- C’est magnifique ! Je m’attendais à une cave plus moderne.
- Oui, nous sommes ici dans les vestiges du troisième château de Saint Germain, le plus ancien. Il fut construit par Louis VI le Gros. Le château actuel à été construit par-dessus en conservant l’ancien donjon dans son angle sud-ouest.
- C’est donc cela que j’ai vu chez le conservateur. Je me rappelle le dessin du donjon et de cette cave toute en longueur. A y réfléchir, son axe était bien orienté dans la direction où nous avons trouvé l’entrée du souterrain. Reste à trouver les armes en question.
Julien tenta d’évaluer le nombre de caisses qu’il voyait.
- Il nous faudrait des années pour fouiller tout ça.
- Un conservateur reste un conservateur, il répertorie même ce qu’il doit cacher.
- Ah ! Donc il faut trouver le mot de passe de leur ordinateur.
- Non, ils doivent utiliser un système sécurisé.
- Un pare-feu ?
- Non, des fiches cartonnées…
Genoffa se dirigea vers un magnifique meuble ancien composé d’une multitude de petits tiroirs. Sans qu’il ait compris comment elle avait interprété leurs étiquettes, elle sortit de l’un d’eux un paquet de cartons jaunis.
- Ça nous fait douze caisses à ouvrir.
Le sérieux du Conservateur se confirmait ; les caisses étaient regroupées. Par contre, leur taille variait énormément, la plus petite était presque une boîte d’allumettes et contenait de simples éclats de ferraille rouillée. C’est sur le contenu de la plus grosse que Genoffa se pencha le plus longuement. Julien prit une des armes :
- Vous voyez, ce sont bien des pointes de pilums, et il y en a une quantité impressionnante.
- Oui, en effet, mais regardez celles dont le système de fixation est intact, vous verrez qu’il est dissymétrique.
Julien fut content de pouvoir de montrer à cette jolie brune prétentieuse qu’il n’était pas ignare en matière historique.
- C'est tout à fait normal. La pointe des pilums était fixée sur le manche par deux chevilles, l’une en fer, l’autre en bois. Ainsi, lorsque le pilum se plantait dans le bouclier adverse, la cheville de bois cassait et le manche restait fixé par le fer. Le soldat romain pouvait appuyer dessus pour baisser le bouclier et frapper son ennemi.
- Et cet ennemi ne pouvait réutiliser les pilums romains puisqu’ils cassaient au premier choc. Cette invention fut étendue à toute l’armée romaine par Marius en 103 avant J.-C.
- Jules César ?
- Jésus-Christ. Je sais que pour vous je suis une sotte risible, mais comment pouviez-vous croire que j'ignorais ce détail ? Cependant la technique évolue en un siècle !

Elle ouvrit son livre sur la Guerre des Gaules, chaussa une paire de lunettes et lut :
«« Les Gaulois éprouvaient une grande gêne pour combattre, en ce que plusieurs de leurs boucliers se trouvaient, du même coup des javelots, percés et comme cloués ensemble, et que le fer s'étant recourbé, ils ne pouvaient ni l'arracher, ni se servir dans la mêlée de leur bras gauche ainsi embarrassé. Un grand nombre d'entre eux, après de longs efforts de bras, préférèrent jeter leurs boucliers et combattre découverts »».
Images Chap.6.jpg
- Les lunettes vous vont très bien.
Elle les retira nerveusement et les rangea dans leur étui.
- M’avez-vous écoutée, au moins ?
- Oui, les pilums des Armées de César se pliaient au lieu de casser, ils n’étaient donc pas les mêmes que ceux de Marius, et vous en déduisez que ceux-ci sont trop vieux pour avoir fait la Guerre des Gaules.
- Non, puisqu’il n’y a pas eu de Romain dans le nord de la Gaule avant César. Il est probable que la technique Marius ait perduré, mais que César ait fait modifier les armes de sa propre armée.
- Mais pourquoi ?
- Parce-que, comme vous l’avez vu, le pilum avait été conçu pour battre des fantassins.
- Et comme la meilleure arme des Gaulois était la Cavalerie...
- …il fallait que le pilum se plie sur un gros choc comme un bouclier...
- …mais reste réutilisable quand on l’utilise comme pique fixe contre des chevaux !
Genoffa trouvait ce garçon très intelligent et regrettait que ce ne soit pas réciproque... Lorsqu’il faisait une déduction, son visage prenait un air enfantin qu’elle trouvait par ailleurs très attendrissant.
- J’ai quand même du mal à croire que le reste de l’armée romaine n’ait pas fait de même, d’autant, qu’à la même époque, Crassus fut vaincu par des cavaliers Parthes !
Elle sourit :
- La Cavalerie parthe était composée d’archers qui combattaient de loin, et de cataphractaires dont même les chevaux portaient des armures ; les javelots modifiés de César n’auraient pas eu d’effet contre eux.
Il sourit à son tour.
- Je vous rappelle que les Romains ont perdu.
Il reçu un regard noir pour première réponse, puis :
- Vous avez raison, je manque de preuves pour étayer cette hypothèse, mais je maintiens que c’est la bonne piste. Je vais ranger ces treize fiches.
- Treize ? Mais il y avait douze caisses ?
- Oui, la treizième fiche ne donne pas de numéro de caisses, juste une rose des vents et des mots incompréhensibles.
- Une rose des vents ?
Elle lui présenta la fiche.
- Ce n’est pas une rose des vents, c’est un logo. L’insigne de l’O.T.A.N... et les groupes de cinq mots composent un message chiffré...
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

Chapitre VII - Bunker Hill

Pour quitter les lieux, ils choisirent une méthode plus discrète. Après la descente de Genoffa, Julien dissimula l’échelle dans la petite galerie, puis sauta pour rejoindre sa complice.
La nuit ayant été longue, le couple s’était donné rendez-vous le lendemain à l’heure de l’apéritif. Julien avait proposé l’élégante buvette voisine de la statue du guerrier gaulois. Sirotant sa vodka martini, il contemplait la colline qui lui cachait le champ de bataille de Lutèce.

Genoffa arriva en retard et avait horreur de ça. Julien se leva pour la saluer et lui proposer une chaise.
- Si ça ne vous dérange pas, je préférerais marcher. Je ne suis pas vêtue pour les mondanités.
Elle portait une combinaison corsaire kaki d’une pièce. Le côté pratique du vêtement avait échappé à Julien tant il était bien porté.
- Vous comprendrez que je ne souhaite pas ruiner des vêtements dans un autre souterrain.
- C’est judicieux, mais vos chaussures ?
- Je les laisserai dans votre voiture, j’ai des bottes dans ce sac.
- Allons-y.

La nuit précédente, vers quatre heures du matin, elle lui avait téléphoné.
- Vous dormez ?
- Non, j’essaie de déchiffrer le message. Mais c’est impossible, ou plutôt, cela prendrait des mois. C’est un cryptage O.T.A.N. qui date de la Guerre froide.
- Ça ne me surprend qu’à moitié.
- Ah bon ?
- J’ai fait des recherches sur Internet. Durant la Guerre froide il y avait un immense bunker de l’O.T.A.N. pas loin du musée. Plus de mille personnes y travaillaient.

C’est donc vers cette piste que ce jour se dirigeait la camionnette de l’entrepreneur.
Ils retrouvèrent vite la falaise où avait été creusée la grotte, mais son entrée demeura invisible. De nombreuses maisons l’environnaient, et elle-même faisait partie d’une propriété privée. Le propriétaire ne répondit pas aux appels de son carillon.
- Cessez d’insister mademoiselle, il est certainement absent.
- Oui, c’est rageant. Il y a peut-être moyen d’entrer tout de même ?
- Nous n’allons pas violer un domicile sur une supposition si maigre.
- Vous avez raison, je ne pensais pas ce que je disais.
- Mille hommes dites-vous ?
- Oui, c’était l’effectif.
- Alors, nous avons notre chance. Un endroit si vaste ne peut fonctionner sans aération. Il doit y avoir des cheminées qui débouchent là-haut, dans la forêt.
Ils garèrent leur voiture plus haut, près d’un petit bunker. La jeune fille chaussa ses bottes.
- Vous croyez que c’est ça ?
- Non, les ouvertures sont trop petites. C’est peut-être un vestige allemand.
- C’est étonnant, il n’a pas d’entrée.
- En effet, mais revenons à nos cheminées... Je pense que le mieux est de fouiller la forêt entre ici et les maisons.
Ils essayèrent d’être méthodiques malgré les épais buissons... Après de longues recherches Genoffa s’arrêta brusquement.
- Dites, ce n’est pas de ceci dont vous parliez ?
A ses pieds, se trouvait une dalle de béton moussu de deux mètres de côté. Noyée dans la végétation, elle ne dépassait que d’une vingtaine de centimètres.
- Oui, ce doit être cela ! Regardez, le dessous de la dalle permet le passage d’une grande quantité d’air.
- Oui mais pas d’une grande quantité de Genoffa.
- Eh oui, il fallait s’y attendre... Ces aérations étaient sécurisées.
- Votre idée était mauvaise finalement.
- Non... Ces cheminées ne sont plus entretenues depuis un demi-siècle. Je propose de chercher toutes les autres en espérant qu’une des dalles soit fêlée.
- Et comment les trouver ?
- Regardez, l’endroit où nous sommes est indiqué par un cercle sur la carte. Les autres cercles doivent être les autres cheminées.
Malheureusement, les positions indiquées sur la carte I.G.N. étaient fausses, seul leur nombre était juste.
Cependant, ils connaissaient maintenant l’apparence de ce qu’ils cherchaient, si bien qu’après une bonne heure d’allers-retours dans les ronces et les fougères, ils réussirent à localiser toutes les cheminées. Ils contemplaient maintenant la seule qui soit cassée. Julien s’agenouilla près de l’ouverture.
- Le passage serait assez grand pour nous, mais il est obstrué par une grande quantité de galets.
- Oui, je m’y attendais, ce genre de cailloux laisse passer l’air mais pas les grenades, et leur petite taille les rend indestructibles. Souvent le haut des conduits d’aération comprenait une sorte de panier de fer contenant ces pierres.
- Bon, il ne nous reste plus qu’à aller voir les cheminées qui sont de l’autre côté de la route.
- Quelle route ?
- Celle qui nous a menés dans la forêt, la carte indique d’autres cheminées sur sa droite.
- Je ne les avais pas remarquées.

Coupant au plus court, ils traversèrent la route puis fouillèrent l’autre côté. Genoffa remarqua un petit mur de parpaings d’un mètre de haut. Julien estima que la maçonnerie était trop jeune pour l’époque du bunker mais, arrivés sur place, ils constatèrent que c’était bien une cheminée. La dalle et les cailloux avaient été remplacés par un muret de béton surmonté d’un barreaudage empêchant l’accès à la cheminée. Genoffa se pencha au dessus de la grille.
- C’est très profond, mais ça serait accessible s'il n'y avait pas les barreaux. On en cherche une autre ?
- Non, nous passerons par celle-ci, je vais scier une des barres. Je vais chercher du matériel dans la voiture.
Il revint peu de temps après avec un sac à dos et des cordages. Le morceau de fer ne résista pas longtemps ; après une chute qui sembla interminable, il signala son arrivée au sol par un tintement aigu.
Julien se tourna vers la jeune fille.
- Déjà descendu en rappel ?
- Oui, au Club Med, vous avez un « huit » ?
- Je ne suis pas spéléologue, ces cordes servent à arrimer des statues. On va faire à l'ancienne.
Julien fixa une courte corde à un arbre, puis en glissa une beaucoup plus longue à l'intérieur ; arrivé au milieu, il groupa ses deux extrémités et jeta ce double cordage au fond du trou.
Il posa une autre longue corde à terre et en enroula l'extrémité autour de Genoffa.
- Hé !
- Laissez-vous faire, ça ne doit pas être trop serré.
Genoffa savait que c'était ridicule, mais le laisser faire la gênait un peu.
- Cette corde ne doit servir que si vous tombez, enjambez l'autre.
Elle vit sa main gauche relever la corde jusqu'à ses fesses, puis sa main droite la récupérer au niveau de son entrejambe et la glisser au-dessus de sa hanche droite.
- Tenez ça.
Passant son bras autour de son cou, il récupéra la corde pour la passer sur son épaule. Il fit alors glisser la corde suivant le circuit épaule - hanche - entrejambe jusqu'à ce que la partie venant de l'arbre soit tendue. Il fit alors passer l'autre extrémité sous sa fesse droite.
- Prenez ça avec votre main droite.
- Je par...
Elle avait la gorge un peu sèche...
- Je parie que vous fantasmez sur les filles ligotées.
- Prenez des gants, ça vaudra mieux pour vous.
- Vous devenez susceptible maintenant ?
- Non, je voulais dire de vrais gants, à cause de la corde.
Il lui en prêta deux qu’il avait pris dans la voiture. Il eut droit à un sourire de remerciement qui mordit la corde pendant que la petite main droite disparaissait sous un gros morceau de cuir.
Il lui expliqua alors comment, en levant son bras droit, elle pourrait freiner sa descente. Genoffa retrouva très vite les sensations du rappel classique, et entama sa progression. Passant l'autre corde autour de son épaule, Julien la laissa filer, prêt à la bloquer au moindre incident.
Soudain, il dut libérer de la corde plus rapidement, la jeune fille s’enhardissait et, au lieu de marcher sur la paroi, progressait par bonds de plus en plus longs.
- Non ! Ne faites pas ça.
- Trop tard je suis arrivée.
Julien leva les yeux au ciel.
- Mettez-vous à l’abri, je vais jeter la corde d’assurance ; vous pourrez vous détacher.
- Je croyais que vous vouliez le faire vous-même.
Julien lova la corde de rappel sur lui et fit une descente plus sage. Arrivé en bas, il sortit une lampe de son sac et la donna à la jeune fille.
- Eclairez-moi s’il vous plaît, et écartez-vous un peu.
Il saisit un brin de la double corde et tira dessus jusqu’à ce que l’autre sorte de l’attache nouée à l’arbre et retombe devant lui.
- Mais qu’avez-vous fait ! Comment allons-nous remonter maintenant ?
- Il est impossible de remonter une telle cheminée même avec une corde, elles ne nous ont servi qu’à descendre.
- Et pour la sortie ?
- Je ne sais pas, nous trouverons certainement une autre issue.
- Mais ce n’est pas vrai ! Vos lampes n’éclairent pas à plus de dix pas et vous me dites que vous allez improviser ! Mais que fais-je avec un tel cafone…? Hooooooooo !
- Que vous arrive-t-il ?
- Ma cuisse me brûle.
- Dit comme ça, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Elle frappa du poing sur son épaule.
- Ne riez pas, ça fait très mal.
- Je vous ai dit de ne pas descendre trop vite, la corde vous a brûlé, c’est classique. Mettez de l’eau froide dessus, il y a une source souterraine là.
- Merci, ça va mieux… Non, ça recommence à brûler.
- Il faut examiner ça.
- Et comment ? Je porte un vêtement d’une pièce !
- Vous pouvez regardez vous-même.
- Non, c’est trop en arrière.
- C’est vous qui voyez.
- Passez-moi votre chemise et éteignez votre lampe.
Après deux minutes d’obscurité :
- Vous pouvez rallumer.
- Mais vous êtes nu-pieds !
- Je voulais vous éviter le fantasme de la fille en chemise avec des bottes... Je les laverai dans la nappe d’eau souterraine, l’eau y est d’une limpidité extraordinaire...
- Mais vous allez prendre froid.
- Non puisque je vais poser mes pieds sur votre sac.
- Mon sac ?
- Je savais que les Français étaient galants.
- Ah... Bon... Tenez-vous droite et éteignez votre lampe, je vais regarder.
Un frisson traversa la jeune fille quand l’obscurité se fit. Elle vit alors la lampe de Julien éclairer son pied puis remonter petit à petit sur sa jambe, générant une étrange impression, comme si ce faisceau de lumière, en progressant, la dénudait lentement. Elle mit un certain temps à comprendre ce qui n’allait pas :
- Je vous ai dit la jambe gauche.
- Mais c’est la gauche.
- L’autre gauche.
- Désolé.
Elle l'observa recommencer son manège. Il était évident que c’était intentionnel. Elle tira sur le bas de sa chemise.
- Vous y arrivez oui ?!
- Minute... Ça y est. Hou laaa !
- Quoi ?!
- Ce n’est pas beau, mais vous avez de la chance ; certaines fois ça va jusqu’au sang. Vous retrouverez vite votre peau de bébé. Je vais mettre un petit cataplasme d’argile, ça vous soulagera.
Genoffa remit une tenue décente, et Julien sa chemise et son sac souillé, puis ils entreprirent la fouille de la grotte.
- Ça a l’air immense ! Par où commençons-nous ?
- C’est un bunker, où mettriez-vous ce qui est important ?
- Loin de l’entrée.
- Donc éloignons-nous de la Seine...
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par archibald »

Kronos a écrit :
15 janv. 2020, 11:15
Chers Ami(e)s lecteurs et lectrices, je vous prie de m'excuser ; en verrouillant le sujet, j'étais loin de me douter que je vous empêchais (pour ceux que l'envie d'écrire l'une ou l'autre "critique" ou question) de poster un message
Je déverrouille donc ce sujet pour vous permettre de vous exprimer pleinement

D'autre part, à tous ceux qui ne connaissent pas la Région parisienne, je sais que tout cela va paraître un tantinet "lointain" et qu'il vous faudra l'aide d'un Atlas pour vous y retrouver, surtout lorsqu'on parle en plus de tous les sites qui "auraient pu" être Alésia !
Mais l'intérêt du récit devrait primer sur ces basses considérations de Géographie

Bref, voici ce jour le Chapitre VII
Merci de nous donner l'occasion de nous exprimer . Je suis enthousiasmé par ce récit et j'attends avec impatience la suite des aventures de Julien et Genoffa.
Pour ceux qui n'auraient pas suivi les instructions, voici le carré SATOR:
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

Chapitre VIII - Sens unique

Julien et Genoffa passèrent devant plusieurs portes rouillées dont certaines refusèrent obstinément de s’ouvrir. La plupart des locaux étaient vides, d’autres trop spacieux pour être importants. La voûte était plus vaste que la portée de leurs lampes, et ils s’éloignaient de la position des dernières cheminées.
- Hé ! Heu… Monsieur ! Arrêtez-vous.
- Je me prénomme Julien et vous ?
- Appelez-moi Dona.
- C’est un joli nom...
- Oui, ça veut dire « madame ». Où monte cet escalier à votre avis ?
- Il n’y a qu’un moyen de le savoir, madame. Je suppose que dans ces conditions, il est d’usage que je vous précède.
Après une ascension épuisante, ils aboutirent à une porte donnant sur une salle basse de plafond. Le peu de lumière qui perçait au travers de deux fines ouvertures suffit un temps à les éblouir. Genoffa jeta un coup d'œil à l'extérieur...
- Nous sommes à la surface. Ce doit être une sortie, mais je ne vois pas d’issue.
- Il n’y en a pas. Nous sommes dans le blockhaus qui est près de la voiture. Ce n’est pas une sortie, mais le poste qui est censé la protéger.
- Si c’était le cas, nous aurions vu cette sortie.
- Non, il s’agit d’une issue de secours type Ligne Maginot. Elle ne fonctionne que dans un sens. Elle est couverte à l’extérieur par une épaisse couche de terre recouverte par la végétation naturelle de la forêt. Il faut ouvrir un plafond à l’intérieur pour faire s’écrouler la surface et ouvrir ainsi l’accès. Elle ne sert donc qu’une fois mais reste jusque là indécelable de l’extérieur.
- On doit donc pouvoir trouver ce plafond mobile ?
- Oui, mais ce serait inutile, je viens de le comprendre...
- De comprendre quoi ?
- Ce bunker comprend deux meurtrières ; à votre avis, quelle est leur utilité ?
- Certainement pas d’empêcher l’accès puisque celui-ci est indécelable.
- Exact.
- Donc, elles servent à tenir l’ennemi à distance quand quelqu’un sort. Si on arrêtait les devinettes ?
- Attendez, pourquoi deux ouvertures ?
- Une pour voir que quelqu’un sort, et l’autre pour tirer sur l’ennemi.
- Bravo, si vous savez laquelle fait quoi, vous saurez où la sortie débouchait.
- J’ai l’impression que vous me posez une question dont vous avez la réponse.
Il sourit.
- Commençons par le côté ennemi, quelles sont les contraintes ?
- Voyons… L’ennemi cherchera le couvert des bois, il me faut un champ de tir profond et dégagé, si possible dans la direction la plus probable de son arrivée et à l’opposé de l’issue de secours. Donc c’est celle-ci.
- Je suis d’accord avec vous, passons à l’autre maintenant, quelles contraintes ?
- Une seule, il est difficile de protéger quelque chose sans savoir sa localisation exacte.
- Oui et il est hors de question d’y planter un drapeau. Il faut donc que vous puissiez la situer par rapport à un point de repère.
- Mais ce point de repère devra être pérenne et anodin ?
Il sourit. La jeune femme réfléchit, observa à nouveau l’ouverture, puis proposa la place à Julien.
- Le point de repère est forcément dans l’axe de l’ouverture et n’est caché par rien ; pour moi, il s’agit du gros chêne que l’on voit dans cette direction.
- Bravo, maintenant vous pouvez deviner où est l’accès, il suffit de penser qu’il est entre le bunker et le chêne, et que, pour pouvoir s’écrouler, il doit être le plus loin possible de toute racine. J’ajoute qu’il doit être en-dehors du chemin, pour le cas où l’on souhaite en faire une route.
Genoffa observa à nouveau au travers de la meurtrière.
- Mais ?!
- Vous avez compris, cette sortie a été neutralisée, certainement pour éviter des accidents. Il nous faudra découvrir une autre échappatoire, mais trouvons d’abord ce que nous sommes venus chercher.
La descente de l’escalier donnait une vue panoramique sur cette partie de la voûte. Les deux lampes balayèrent l’espace dans un mouvement erratique jusqu’à ce que celle de Genoffa se fige.
- Regardez cette porte.
- Oui... Elle ressemble aux autres.
- Sauf que celle-ci n’a pas de rouille. Elle est neuve !
Ils eurent la chance qu’elle ne soit pas verrouillée. Les gonds restèrent silencieux et n’offrirent aucune résistance.
- Regardez ! Il y a des meubles et des classeurs. Il va falloir tout fouiller Dona, et ces lampes qui faiblissent…
- Et si l’on tournait l’interrupteur ?
- Quel interrupteur ?
- Celui-ci.
La pièce s’inonda de lumière, dévoilant un grand fouillis qui paraissait récent. Sur une table de camping trônait un four à micro-ondes et une cafetière. Le sol était souillé de mégots et un Colt .45 servait de presse-papier à une liasse de feuillets estampillés d’une rose des vents. Julien observa l’arme pendant que Genoffa examinait les documents.
- Il n’y a rien d’intéressant là-dedans ; donnez-moi quand même votre sac, je vais les emporter.
- Ok, il faut que nous nous dépêchions de fouiller les classeurs, on n’abandonne jamais une arme très longtemps.
Il glissa le Colt dans son jean sous un regard réprobateur, et ils ouvrirent les tiroirs. Tous étaient vides, certains avaient été sortis de leurs logements. Julien en frappa un du pied.
- Nous arrivons trop tard, ils ont fait le ménage !
- Faites moins de bruit. Regardez ce casier, il y a un papier chiffonné au fond. Il a dû glisser du tiroir et être comprimé derrière quand on l’a fermé.
- Que représente-t-il ?
- Un dessin d’enfant, c’est mignon.
- Mignon mais inutile.
- Que regardez-vous ?
- Nous n’avons plus rien à faire ici… Si nous suivons l’alimentation électrique, elle nous mènera certainement à l’extérieur.
Genoffa plia tendrement le dessin qu'elle glissa dans sa poche, puis sortit de la pièce pour suivre Julien. Celui-ci avait atteint une autre porte quand il s’aperçut qu’elle était restée en arrière.
- Que faites-vous ? Ils vont revenir, dépêchez-vous !
- C’est ma brûlure, elle me fait très mal quand le tissu frotte dessus. Dans l’escalier, c’était insupportable.
Julien hésita un temps puis la prit par le bras pour retourner dans la seule pièce éclairée qu’ils connaissaient. Il s’agenouilla à son pied et sortit un canif multi-usage.
- Que faites-vous ?
- Ne vous inquiétez pas, je vous en achèterai une autre.
Elle le vit alors utiliser son couteau pour découper le haut de la jambe droite de sa combinaison. Elle hésita trop longtemps entre plusieurs réactions possibles, si bien que, quand elle choisit de protester, il était déjà trop tard. Elle prit le temps de se regarder, et fut rassurée d’être encore à peu près décente.
- Excusez-moi, mais nous aurons certainement beaucoup de marche à faire.
- Je vous pardonnerai si vous m’évitez au moins le ridicule.
- Comment cela ?
- En faisant la même chose sur l’autre jambe.
Julien s’accroupit puis se remit à la tâche. Il sourit quand il vit qu’elle fermait les yeux.
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par archibald »

Kronos a écrit :
17 janv. 2020, 16:23
.../.... Jean en frappa un du pied. .../...
Jean ? :roll:
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

Où, le "Jean" ? Je ne le vois pas
OK, c'est fait, c'est corrigé. Merci Archibald
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

IX – Le Secret de Le Nôtre

La douleur en moins, Genoffa progressa plus vite. Ils retrouvèrent la porte, mais durent se cacher rapidement : des bruits de discussion indiquaient que les visiteurs précédents revenaient. Ils portaient des combinaisons noires et des équipements de vision nocturne. Plusieurs étaient armés et tous parlaient anglais.
- Ils viennent vers nous !
- Non, ils entrent dans la pièce.
- Où est votre sac ?
- Nom de nom ! Je l’ai laissé là bas.
- Non, ce n’est pas vrai ! Ils vont savoir que nous sommes ici.
- Désolé, j’avais l’esprit un peu troublé. Venez !
Heureusement, la porte n’était pas verrouillée ; ils se cachèrent derrière juste avant que les autres ne donnent l’alerte. La porte fermée, Julien alluma sa lampe, ils se trouvaient à l’entrée d’un très long couloir.
- Ne faites pas ça ! Ils ont éteint la lumière de leur côté, et cette porte est pleine de trous.
Julien éteignit trop tard. Ils entendirent des pas courir dans leur direction. Julien saisit la main de la jeune femme et se rua dans la galerie. L’obscurité leur avait enlevé tout repère, mais Julien avait gardé en mémoire l’axe général du tunnel. Le souffle court, ils parcoururent une bonne distance avant de trébucher sur des outils abandonnés. A cet instant, ils entendirent quelqu’un actionner la poignée de la porte, le grincement des gonds ne fut suivit d’aucune lumière supplémentaire. Le couple était resté allongé et entendait le crissement des graviers sur lesquels des pas s’approchaient doucement. Genoffa chuchota :
- Pourquoi hésitent-ils ? Ils devraient déjà nous voir avec leurs jumelles à infrarouge.
Julien réfléchit puis, soulevant Genoffa par le coude, l’entraîna à nouveau vers le fond du souterrain.
- Ils n’utilisent pas des infrarouges mais des intensificateurs de lumière.
- Et alors ?
- Ces systèmes peuvent se contenter de la lumière d’une étoile ou de celle descendant des cheminées, mais ici nous sommes trop profondément engagés dans la grotte ; il ne reste aucune lumière à amplifier.
- Et s’ils utilisent des lampes classiques ?
-… Couchez-vous !
Comme pour donner raison à Genoffa, des pinceaux lumineux étaient apparus alors qu’elle prononçait ces mots. Elle fut éblouie par une lueur intense tandis que ses tympans explosaient. Immédiatement les lumières disparurent.
- Vous êtes fou ! Pourquoi avoir tiré ? Je ne veux pas être complice d’un meurtre.
- Ils ne risquaient rien, j’ai tiré en direction de la paroi, mentit Julien.
Ils entendirent des cris, la porte qui claque, un silence puis un discret grincement.
- Ils ouvrent la porte à nouveau, allongez-vous, ils vont riposter.
Genoffa crut devenir folle en entendant les claquements des coups de feu. Elle ne pouvait s’empêcher de sursauter à chacun d'eux. Les frémissements du corps qui était contre le sien lui indiquèrent que c’était un comportement normal.
Quelqu’un assena un ordre bref et le silence revint, bientôt suivi d’un nouveau grincement sinistre que clôtura un bruit de serrure qu’on verrouille.
Le couple attendit un peu puis reprit sa progression dans une obscurité totale. Ayant perdu leurs repères, ils se cognèrent plusieurs fois contre les parois.
- Nous ne pouvons pas continuer ainsi, il faut prendre le risque d’allumer la lampe. La porte nous cachera.
- Je l’ai perdue dans ma chute tout à l’heure.
- Quoi ??? Qu’est-ce qui vous a troublé cette fois ?!
- Calmez-vous et ne bougez pas. Je vais retourner la chercher. Vous avez votre briquet ?
- Dans votre sac, avec mes cigarettes…

Dos au mur, Genoffa trouva l’attente interminable. Dans le noir son ouïe s’améliora, encombrant son cerveau d'une multitude de bruits qu’elle n’arrivait pas à identifier. Soudain elle sentit une main sur sa peau, elle ne put retenir un cri.
- Chut ! C’est moi.
Ils retinrent leur respiration, craignant d’entendre un nouveau grincement de la porte. Après de longues minutes d'un silence pesant, Julien reprit :
- Il est impossible qu’ils n’aient pas entendu, ils doivent être partis. Vous pouvez allumer la lampe.
- Je ne l’ai pas retrouvée, j’ai juste pu récupérer une pioche.
- Une pioche ! Mais que voulez-vous en faire ?
- J’ai séparé l’outil en deux. Vous allez utiliser le manche pour sonder le sol devant vous.
- Et comment faire pour ne pas heurter les côtés ?
- Je vais marcher juste derrière vous et faire frotter le fer sur le mur gauche ; nous avancerons collé l’un à l’autre, et vous n’aurez qu’à vous laisser guider comme dans une danse.
Ils prirent un temps pour ajuster la manœuvre, et bientôt, marchant dans les pas l’un de l’autre, ils purent progresser à une allure soutenue. Ils avaient couvert une distance importante sous le crissement du fer et de la pierre quand Genoffa stoppa brusquement avant de s’écarter.
Julien ne reprit contact avec le corps de la jeune femme que sous la forme d’une gifle appuyée…
- Désolé mais je ne suis pas de bois.
- Mais bien sûr… Prenez le manche et passez devant.
- Comme vous voudrez.
Le bruit du frottement du métal reprit, Julien commença à voir un côté positif à la perte de son sac à dos, mais quelque chose ne lui convenait pas :
…Que faites-vous ? J’ai dit le mur gauche.
- Hé bien oui, je frotte la pioche sur le gauche.
- Non !
- Ah oui, excusez-moi.

L’étrange équipage reprit rapidement un mouvement coordonné qui paraissait presque naturel. D’abord fâchés, puis rapidement épuisés, les deux fuyards restèrent longtemps silencieux. Près d’une heure avait passé quand la machine se grippa.
- Que se passe-t-il ? dit Julien.
- Il y a des trous dans le mur, mon bâton se bloque dedans.
- Quels trous ?
- Des creux à intervalles réguliers, j’en ai compté au moins deux.
- Je veux voir ça, prévenez-moi au prochain.
- C'est maintenant le prochain... Hé ! C'est le mur qu'il faut tâter, pas moi !
- Excusez-moi, donnez-moi votre pique, je vais voir s’il débouche sur quelque chose.
- On voit de la lumière maintenant !
- C'est ce que je pensais, cette partie du tunnel n'est pas creusée, c'est une galerie en pierre. Regardez, on voit des bois et une ville plus loin.
Genoffa observa à son tour :
- La ville est loin, je ne vois pas de point caractéristique permettant de nous repérer. Excepté peut-être un immeuble bien plus haut que son environnement et surmonté d’une antenne.
- Je l’ai vu, ce n’est pas une antenne, mais la Tour Eiffel ; l’immeuble est dans le même axe par rapport à nous.
- Alors nous sommes face à Paris !
- Oui et plus exactement sous la terrasse de Le Nôtre. Je viens d’obtenir les réponses à deux questions que je m’étais toujours posées.
- Allons bon ? Expliquez-moi ça, cela nous permettra de faire une pause.
A ces mots la jeune femme s’assit au sol face au creux qui laissait maintenant entrer un trait de lumière. Julien hésita, puis s’installa à son côté. Leurs yeux habitués à l’obscurité identifièrent facilement leur environnement proche, comme s’il baignait dans une lumière tamisée. Genoffa demanda d’une voix douce et impatiente :
- Alors ?
- Nous sommes ici sous la terrasse qui est devant la statue de Vercingétorix.
- Oui, je la visualise.
- Celle-ci a été construite par Le Nôtre sur l’ordre de Louis XIV, savez-vous pourquoi ?
- Non.
- A l’époque le Roi avait une maîtresse…
- Nooooon ?
- Vous voulez que je vous raconte ou non ?
- Excusez-moi, je vous écoute, ça devient intéressant. Elle posa sa tête sur son épaule.
- La maîtresse habitait au château du Val. Pour la rejoindre, le Roi devait traverser la forêt de Saint-Germain, ce qui l’exposait à beaucoup de dangers. Il a donc fait construire une terrasse large de trente mètres, dominant la Seine en bordure de la forêt sur plus de deux kilomètres, afin de relier les deux châteaux.
- Pourquoi n’a-t-il pas simplement fait abattre les arbres sur une largeur de trente mètres ?
- C’était ma première question...
- J’imagine la seconde, ces visites n’étaient pas très discrètes.
- Non, je me disais surtout que le temps passant, le Roi devait demander à ses maîtresses de se déplacer elles-mêmes.
- Vous devenez moins romantique, d’autant que c’était les exposer à de grands risques.
- C’est pour cela que je pense…
- Ne dites rien, j’ai compris. Ce n’est pas une terrasse mais une galerie ! On pouvait passer dessus en grand attelage, ou dessous, discrètement.
- Et en sécurité. Nous sommes dans cette galerie ; regardez, elle est assez large et haute pour une chaise à porteur.
- Vous n’en avez pas une pour moi ?
- Malheureusement non et il va falloir quand même repartir.
- Oui et j’ai un peu froid. Je propose de vider quelques trous pour faire entrer de la lumière.
- Bonne idée, nous progresserons plus vite.
La pause avait fait son effet, leurs yeux se contentèrent immédiatement de cette luminosité et ils purent marcher normalement jusqu’à aboutir à une galerie perpendiculaire. Julien s’arrêta.
- A droite ou à gauche ?
- A droite, je crois savoir où nous sommes.
- Je veux bien, mais vous avez pris à gauche.
- Ce qui est important est que j’aie pris le sens descendant. Nous sommes dans le souterrain qui menait au musée.
Un peu plus tard, ils retrouvèrent l’échelle bien rangée et sortirent des lieux par la porte du mur du Château Neuf.

Julien habitait un petit logement près du château. Il indiqua la salle de bain à Genoffa, changea de chemise et se dirigea vers la porte.
- Je vais vous acheter des vêtements, quelle est votre taille ?
- Vous venez de passer deux heures à me tripoter, vous devez avoir une idée.
- De là à en déduire une taille...
- Vous peloterez la vendeuse, ça vous fera un comparatif.
Il fallut une bonne demi-heure de chinage à Julien avant de trouver précisément ce qu’il avait en tête. Dans l’appartement, une serviette nouée sur ses cheveux, Genoffa découvrait la salle de bain pendant que deux mètres cubes d'eau mousseuse s'évacuaient. Elle reboucha une demi douzaine de flacons, jeta ceux qui était vides, trouva de la pommade pour sa cuisse et en profita pour remplir la poubelle de médicaments périmés. Ce faisant, elle avait constaté « sans faire exprès » qu'il n'y avait dans les placards aucune trace de présence féminine.
La nature ayant horreur du vide, elle décida « d'oublier » une pince à cheveux sur le bord de la baignoire.
Elle aperçut alors au travers d'une vitre dépolie la silhouette indiquant le retour de Julien.
Elle s'habilla d'une serviette de bain, l'ajusta face au miroir, fit sortir une mèche rebelle sur son front et, quand elle se sentit assez belle, déverrouilla la porte, posa devant et prépara son cri le plus strident.
Deux minutes plus tard et à son grand désespoir, elle entendit frapper à la porte. Elle lui donna une seconde chance en ne répondant pas. On frappa à nouveau.
- Mademoiselle, c'est Julien, vous êtes visible ?
Elle roula les yeux.
- Non, une minute.
Puis, tenant sa serviette d'une main, elle ouvrit la porte.
- Je vous ai acheté ça...
Elle ouvrit le paquet et gronda :
- Mais c'est un combi-short !
- Oui, j'ai remarqué que ça vous allait bien.
Elle haussa les épaules, ce qui était une mauvaise idée du fait qu'elle ne tenait plus sa serviette.
Le cri strident se fit ainsi entendre, et le second réflexe de Julien fut de fermer la porte…

Quand elle sortit dix minutes plus tard, il lui demanda gentiment :
- C’est votre taille ?
Il reçut une gifle en réponse.
- Pourquoi l'ai-je méritée celle-là ?
- Parce-que c'est exactement ma taille !
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Alhellas »

Bonjour Kronos. Je suis ravi de lire cette nouvelle historique et te remercie grandement du partage ! Je me doutais que ce serait une belle histoire, bien écrite et richement documenté.

petit détail : d'après mon écran, je passe de "Chapitre IV – L’oppidum" à "Chapitre VI – Les chevilles de Marius". Pas de chapitre V ?
De plus, tu as posté deux fois le "Chapitre VII - Bunker Hill.
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

What ? Horror ! Are you sure, my Dear ?
Je verify...
Cette fois, c'est tout bon, mille excuses à mes lecteurs
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par archibald »

Je suis épaté par Julien qui a pris la bonne taille, sans se tromper. :-o
Balaise ... :p
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

Eh oui, c'est toute une technique ! Rien qu'à l'oeil, sitipli...!

Bon, c'est pas tout ça, mais voici le Chapitre X, le vrai

X – La colonne de Trajan

Pendant que Julien prenait sa douche, Genoffa sortit fumer une cigarette dans le parc. Elle avait du mal à réaliser que ce qu’ils venaient de vivre était réel. Julien, rasé de frais, la retrouva à temps pour répondre à la question qui la torturait :
- Je ne comprends pas... Qui sont ces gens, que cherchent-ils ?
- La même chose que nous.
- Mais pourquoi ce secret, pourquoi nous tirer dessus ? Pourquoi l’Armée occupe-t-elle tous les sites liés à cette histoire ?
- J’y ai réfléchi en cherchant votre tenue... Le site d’Alise-Sainte-Reine correspond à la plus importante découverte d’armes de cette époque...
- Oui. Et alors ?
- Alors, elles servent de référence pour dater les autres armes, y compris celles du Moyen-Age. Et les armes servent à dater les batailles...
- Oui, je sais tout ça, où voulez-vous en venir ?
- Si les armes d’Alise ont un autre âge que celui qui leur est usuellement attribué, une grande partie de l’Histoire européenne peut être remise en cause...
- Bien sûr, mais c’est une des caractéristiques de la Science que d’être contredite, c’est ce qui lui permet d'approcher la vérité.
- D’accord pour la Science mais…
Julien avait apporté la carte d’état-major qu’ils avaient achetée ensemble et quelques documents pris dans sa bibliothèque. Il lui présenta un livret imprimé sur papier glacé.
- Le Traité de Maastricht ?
- Oui, regardez les titres des dirigeants... 50% des pays européens sont des Monarchies. Une monarchie ne tire pas sa légitimité des urnes, ni même de Dieu, mais de l’Histoire. Changer l’Histoire peut remettre en cause un souverain ou, pire, l’indépendance d’un état par rapport à un autre.
- A quels pays pensez-vous ?
- A aucun, à tous. Impossible de le savoir sans faire des recherches approfondies, mais soyez sûre que, si votre théorie se confirmait, beaucoup les entreprendraient !
Rappelez-vous la carrière, ces hommes armés parlant une langue d’Europe de l’Est. L’ouverture du rideau de fer a réanimé des légitimités complexes assises sur des poussières d’Etats datant d’avant les grands empires.
- Ceux qui nous ont tirés dessus parlaient anglais... Pourtant rien n’est plus solide que la Dynastie des Windsor ?
- Des Saxe-Cobourg-Gotha vous voulez dire ? Ils ont inventé le nom de Windsor pour cacher le nom trop germanique de leur Dynastie. Dynastie qui doit son accession au trône à une loi de circonstance l'interdisant aux Catholiques. Rien n’est sûr dans nos monarchies européennes. C’est la clef de la boîte de Pandore que vous cherchez.
- Non, je cherche la vérité, rien à mes yeux ne justifie de l’occulter. Encore moins vos élucubrations monarchiques ! Ils feront des révolutions pour instaurer des Républiques, comme vous au dix-huitième Siècle.
- Comme nous… Pas vraiment...
- Que voulez-vous dire ?
- Notre Révolution a aboli les privilèges, pas la Monarchie.
- Vous avez pourtant guillotiné votre roi.
- Pour trahison, pas parce-qu’il était roi. Supposons que l’on s’aperçoive que les Bourbons n’étaient pas nos rois légitimes, le trône de Louis XVI reviendrait donc à une autre Dynastie qui n'aurait pas à se reprocher cette trahison...
- Et vous voulez dire que vous devriez leur redonner le pouvoir ?
- Dans le cadre d’une Monarchie constitutionnelle, oui.
- Jamais les Français n’accepteraient ça !
- Les Français forment un peuple plein de contradictions. Vous avez raison sur le fait que jamais ils ne suivront les monarchistes. Mais ils rêvent tous d’un homme providentiel, homme que le côté binaire de notre système de Partis ne leur donnera jamais. Mais, si un homme avec suffisamment de charisme, se présentait comme le descendant de Charlemagne ou d’un souverain antérieur à Saint Louis…
- …il pourrait se proclamer roi ?
- Il n’en aurait nul besoin, il se ferait élire président et après, tout serait possible.
- Vous me donnez le vertige ! J’interprète un texte ancien et vous m’accusez de détruire votre République. Pourquoi essayez-vous de me culpabiliser ?
Il lui prit la main.
- Excusez-moi, de toute façon nous sommes bloqués. S’il y avait des preuves, ils les auront prises. S’il y a catastrophe, ce sera par leur faute, pas la vôtre. Profitons-en pour nous détendre, ce château est joli, non ? Regardez, ils ont mis une réplique de la colonne de Trajan dans les douves.
- Oui, on finirait par l’oublier, vous avez un beau pays. Mais ?!
Elle lâcha sa main, et courut vers le panneau représentant le plan du château. Julien inquiet la rattrapa.
- Que faites-vous ?
- Regardez, le plan du château a la même forme que l’oppidum où les Gaulois se sont réfugiés.
Julien, surpris, déplia sa carte.
- Mon Dieu, vous avez raison, c’est étonnant, et en plus les parties vulnérables sont aux mêmes endroits.
- Les parties vulnérables ?
- Oui, le côté plaine, là où figure une route rectiligne sur la carte, venez voir à quoi il correspond sur ce château.
Ils tournèrent rapidement autour de l’édifice, puis Genoffa s’arrêta.
- Normalement, ce devrait être là. Ah oui, effectivement, ça correspond aux vitraux de la chapelle ; c’est joli mais fragile pour une forteresse. A qui doit-on la construction du château ?
- François 1er.
- Regardez le nom de votre « route rectiligne ».
- En effet ça confirme votre hypothèse. Mais pourquoi aurait-il construit ce château sur le modèle d’un oppidum ?
- Peut-être pour indiquer un endroit de cet oppidum ?
- La colonne !
- Mais oui ! C’est le seul indice romain visible à l’extérieur, et en plus, il représente des batailles tout à fait semblables à celle qui a eu lieu sur le site.
- Regardez, sur la carte de l’oppidum, l’endroit correspondant à la colonne est à l’extérieur de l’enceinte.
Genoffa regarda, compara puis leva les yeux vers Julien.
- C’est un des endroits où nous nous sommes arrêtés lorsque nous avons fait des sondages autour du site. Moi j’y vais, vous, vous faites ce que vous voulez !
- Je crois que n’ai pas le choix.
- Pardon ?
- Je voulais dire qu’il était impossible de vous faire changer d’avis.
- Exactement !
- Je vais chercher ma voiture.
- Elle est resté au bunker, je vous le rappelle. On va prendre la mienne.
- Où sont vos clefs ?
- Dans mon sac.
- …qui est resté dans la mienne. Un de mes gars va nous y déposer.
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par archibald »

Je me distractionne et en plus je me culture ! C'est-y pas merveilleux !

Image
"La colonne Trajane :
La colonne Trajane est un monument du IIème siècle situé à Rome. Le fût de la colonne Trajane est constitué de 18 blocs colossaux de marbres de Carrare, et décoré d'une frise continue en bas-reliefs de 200 mètres de long enroulée en spirale jusqu'au sommet.

Le château de Saint-Germain possède, dans l'un de ses fossés, une galvanoplastie du XIXe siècle de la partie basse du fût."
http://photos.piganl.net/2009/germain/germain.php
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Re: Nouvelle sur et autour de La Roche-Guyon

Message par Kronos »

C'est un voyage historique et culturel...
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