Mini-roman librement adapté...

Scénario : Jean Van HAMME
Dessin : Antoine AUBIN et Etienne SCHREDER
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Kronos
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Mini-roman librement adapté...

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Au cours de mes recherches tous azimuths dans le dark web, j'ai trouvé une petite pépite que j'ai mise en forme pour plus de commodité de lecture, et que je vous propose par chapitres

La Malédiction des 30 deniers
Ce récit est librement inspiré par et de la bande dessinée éponyme de Jean Van Hamme - René Sterne/Chantal de Spiegeleer et Antoine Aubin (tome second)

Préambule
Après quelques mois de maturation, quelques journées de terrain et quelques longues heures de conception, nous sommes heureux de proposer enfin à votre sagacité ce mini-roman La malédiction des trente deniers dont l'écriture se fit à plusieurs mains ; en espérant que vous éprouverez autant de plaisir à résoudre cette série d’énigmes que nous en avons eu à la concocter. Même si nous avons eu le souci de respecter une relative unité géographique, la lecture vous conduira sur deux Départements différents.
Au fil de sa construction, l'énigme a pris des proportions telles qu’il nous est apparu important de vous en faire profiter… Tous !
Nous vous en souhaitons donc une très bonne lecture, à la découverte des mystères du sous-sol du layon/saumurois.
Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Les Auteurs

Chapitre I : Le secret de l’Ordre
Vendredi 13 octobre 1307. Quelque part entre Saumur et Montreuil-Bellay.
Les lueurs de l'aube illuminaient la douce blancheur des murs de la Commanderie. Une grande effervescence semblait régner à l'intérieur.
La disgrâce de l'Ordre avait eu le temps de se répandre depuis quelques mois et les consignes du Grand Maître allaient hélas devoir être scrupuleusement appliquées.
C'est donc un convoi de chevaux et de mulets lourdement chargés qui franchit la porte principale. Le grincement des chariots s'ébranlant lentement, l'éclat des croix de gueules, rien ne semblait cependant mis en œuvre pour tenter d'échapper aux hommes du bailli qui étaient certainement déjà en route pour appliquer l'ordre royal, bien au contraire.
C'est qu'il fallait donner le change, sacrifier les hommes et les coffres, pour sauver l'essentiel.
Tandis que la bruyante cohorte des fuyards montait vers l'église, par une petite porte piétonne, trois hommes vêtus de sombre, portant camail sous la capuche, sortirent furtivement…
Ce qu'ils voulaient sauver n'était pas très volumineux car ils ne s’étaient chargés d'aucun bagage hormis les lourdes épées que l'on devinait sous leurs capes. Les trois chevaux attachés à la porte étaient parmi les plus rapides et les plus endurants de l'écurie, dignes descendants des pur-sangs arabes ramenés des Croisades.
Soulevant un nuage de poussière, les trois hommes s'éloignèrent d'un trot rapide vers le Nord.
Dès le premier croisement, deux des cavaliers choisirent la direction de l'Ouest pendant que leur compagnon continuait seul tout droit.
La première consigne du Maître était catégorique :se séparer pour éviter que l'entité du secret ne tombe entre les mêmes mains !
Cependant, tout à leur hâte précipitée, les moines n'entendirent pas le bruit de la chute d'une petite boîte qui fut couvert par le claquement des sabots de leurs chevaux.
Une heure plus tard, les deux premiers Templiers atteignirent une destination depuis longtemps choisie. Ils n'avaient plus besoin de se cacher ; ici, personne ne pouvait les voir. La solennité de la mission exigeant qu'ils quittent leurs capes, leur manteau blanc de chevalier de l'Ordre frappé de la croix de gueules resplendissait à présent de toute son aura dans le clair halo de la torche que tenait le Commandeur Hugues. Le frère Baudoin, agenouillé au-dessus de la terre fraîchement retournée, traça le signe sur la paroi. Quand il se releva, Hugues l'étreignit silencieusement, l'embrassant avant de murmurer : « Puisse ce secret rester scellé à jamais... J'aurais préféré qu'il disparaisse avec nous, mais le Maître en a décidé autrement pour qu'il reste propriété du Temple quand celui-ci renaîtra. Baudoin, je ne sais ce qu'il adviendra de nous et de notre Ordre. L'affreuse épreuve que nous allons affronter autorise que je te délie de tes vœux. Va, quitte l'habit... Et sois digne de la lourde mission qui guidera désormais ta vie : transmettre à un cœur noble l'héritage du Temple ».
Silencieusement, les deux chevaliers regagnèrent la sortie, éteignirent leur torche, et se débarrassèrent de tous les signes distinctifs de leur vie désormais révolue qu'ils enfouirent profondément en terre. Fouettant alors leurs montures qui trahiraient plus sûrement que l'habit leur noble appartenance, ils s'évanouirent dans la brume naissante après un ultime adieu, dans un discret habit de gueux.
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Chapitre II : Le trésor perdu

Samedi 14 octobre 1307
Le troisième cavalier, lui, n'attendit pas de mettre à l'abri son précieux fardeau pour quitter vêtements et armes compromettants. Ayant parcouru plus de sept lieues le premier jour de sa fuite, en se cachant soigneusement et en évitant les chemins fréquentés, il comprit, en arrivant en vue de Saulgé, qu'il n'y avait plus personne pour l'aider à la commanderie. La porte béait, grande ouverte, le bâtiment désert. Un paysan du lieu lui apprit alors que des soldats arrivés hier la veille, avaient emmené avec eux les frères qui n'avaient opposé nulle résistance.
Geoffroy choisit alors de cheminer à pied, plein Nord, vers la commanderie de Brain. Il savait qu'une ferme fortifiée pourrait lui offrir asile pour la nuit, et chapelle pour prier, avant de traverser la Loire. Arrivé à la lisière du petit bois qui le séparait encore de cette halte, il emprunta la voie qui montait.
La fraîcheur du crépuscule l'enveloppa dans l'étroit chemin et Geoffroy frissonna en regrettant la chaude cape qu'il avait dû abandonner. Presque parvenu au sommet de la butte, il entendit soudain un craquement de branches sur sa gauche.
Geoffroy avait l'oreille exercée de ceux qui font métier des armes. Il comprit immédiatement, que ce craquement, qui n'était pas suivi du bruit de la fuite d'un animal, ne disait rien qui vaille. Il savait aussi trop bien la contrée infestée de malandrins, cottereaux, larrons et pillards de la pire espèce. En temps normal, le soldat templier chargé de protéger la route des pèlerins aurait facilement mis en déroute ces brigands.
Mais aujourd'hui, il en allait tout autrement...
Geoffroy s'était délesté la veille de ses armes, hormis son coutelas, et ce qu'il transportait exigeait qu'il préférât la fuite au combat. Le bruit d'une cavalcade dans les feuilles, accompagnée de hurlements, le fit bondir sur la droite du chemin. Il franchit le talus tout en se demandant ce que ces soudards pouvaient espérer trouver sur un gueux aussi pauvrement vêtu que lui. Il n'eut pas le temps de se questionner d'avantage, pas plus que de dégainer l'arme blanche cachée dans ses chausses, qu’une silhouette, tapie derrière un bloc de rocher, se dressa brusquement devant lui ; aussitôt, une douleur fulgurante lui déchira la poitrine. Un flot de sang envahit sa bouche.
Geoffroy aurait pu songer à l'ironie de trépasser dans un bois de l'Aubance sous la dague d'un misérable routier de grand chemin, se souvenir aussi des combats de Saint Jean d'Acre où il avait occis tant de Sarrasins…
Mais ses derniers instants de lucidité furent uniquement consacrés à son devoir : cacher le secret que lui avait confié le Commandeur. Au plus vite, il se débarrassa de son fardeau, juste avant de perdre connaissance.
Le lendemain, les paysans du lieu le découvrirent, agonisant. Malgré son triste état, il réussit à chuchotant distinctement trois mots. Trois mots bien dérisoires au regard des gigantesques trésors des Templiers, mais qui représentaient pourtant le secret le plus important de l'Ordre. En rendant son âme à Dieu, Geoffroy savait qu'il avait failli dans sa mission et qu'une part de ce secret était désormais aux mains d'une bande de paysans incultes.
Sept siècles plus tard, l'endroit a conservé pour nom les trois mots chuchotés par le Templier sans que personne ne sache qu'ils correspondent très exactement à la moitié du trésor perdu, évanoui en ce jour fatidique.
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Chapitre III : Le testament de Baptiste

13 juillet 2010
La grande cloche de l'église venait de faire retentir son neuvième coup. Le soleil perça largement au travers des rideaux et vint inonder la chambre mansardée. Le bruit des passants montait allègrement à travers les fenêtres restées ouvertes toute la nuit, pour tenter de capter un peu d'air et de fraîcheur du matin.
Malgré tout, Jean n'arrivait pas à se sortir du lit. Il repensait aux blanches plages d'Espagne où il aurait dû se trouver depuis trois jours, si tout s'était passé selon ses prévisions. Si « ça » n'était pas arrivé…
Mais voilà, le grand-père était mort une semaine auparavant, et, depuis, tous les évènements s’étaient enchaînés sans que Jean ait la moindre prise sur eux. L'organisation de la sépulture, l'accueil des cousins venus pour l'occasion...; il avait ainsi fallu qu’il revoie tous les plans projetés sur des vacances d'été pourtant tellement attendues...
Et ce matin, Jean se sentit vidé, retrouvant pour la première fois un peu de temps à lui...
Son grand-père, cela faisait des mois que l'on pensait qu'il allait mourir ; en fait, depuis son accident cérébral qui lui avait ôté toute possibilité de communiquer. Jean, pourtant si proche de lui, n'arrivait plus à aller le voir à l'hôpital. Son regard insistant qu'il ne pouvait soutenir, sa main se serrant sur la sienne... Il se sentait soulagé que tout cela soit enfin fini. Et seul aussi. Irrémédiablement seul...
La sonnette de la porte d'entrée le fit alors sursauter. Jean se leva d'un bond et, sans prendre le temps de s'habiller, courut ouvrir la porte : le facteur, jovial comme à son habitude, lui lança un « b'jour M'sieur Romet, recommandé, une petite signature, s'il vous plait ! », Jean s'exécuta, et, ayant adressé un machinal « bonne journée », refermait déjà la porte, tout en regardant, circonspect, le pli qui venait de lui être remis.
C'était une grande enveloppe, épaisse, très impersonnelle. L'adresse en était dactylographiée, ainsi que le nom de l'expéditeur : Maître Olivier Soudard, Notaire.
Surpris, Jean marqua un moment d'hésitation, comme une appréhension, une intuition même que ce courrier allait bouleverser sa vie.
Un premier courrier est signé du notaire : « Monsieur, je vous prie de trouver ci-joint les documents que votre grand-père Baptiste Romet m'a demandé de vous remettre après sa mort. Veuillez agréer... ».
Jean ne prit pas même le temps de lire la fin, que, déjà, il avait décacheté la première enveloppe, reconnaissant immédiatement sur le pli qu’elle contenait l'écriture familière de son grand père.
« Jean,
A l'heure où tu liras ces mots, je serai déjà mort... J'imagine ta surprise, comme fut la mienne quand je reçus ce même courrier de mon propre grand-père. Tout ce que je vais te dire à présent, tu devras le garder secret, jusqu'à la fin de ta vie. Ta vie en dépend ; la vie de beaucoup, sinon de tous, également.
Depuis que tu es né, je savais qu'un jour j'aurais à te transmettre ce secret. Je t'ai vu grandir, développer ta personnalité, et c'est avec beaucoup de joie que j'ai découvert chez toi ces valeurs qui sont celles de notre famille : honneur, loyauté, courage, intelligence.
Notre famille, depuis des siècles, honore une mission, laissée à nos aïeux, de préserver et transmettre ce document dans le plus grand secret.
« Ces documents » devrais-je dire. Le premier te racontera l'origine de cette mission, la formidable histoire de notre aïeul Jean-Baptiste.
Quant à l’autre document, je ne sais pas moi-même ce qu'il contient, mais ne l'ouvre surtout pas ! Cela représenterait un trop grand danger !
A l'heure où je t'écris, je sais bien peu de choses de la vie ; juste qu'il est peu de choses vraiment importantes, au fond. Mais la loyauté, ça je le sais, en est une. Notre famille a été choisie pour cela. Continue, à ton tour... ».
Jean, interloqué, laissa glisser son regard d'une enveloppe à l'autre : l'une, écrite de son grand-père, l'autre, très ancienne, qu'il osait à peine toucher tant il la sentait fragile, et terrifiante à la fois.
Etait-ce un rêve ? Jean prit sa tête entre ses deux mains, et la serra, comme pour s'assurer que tout cela était bien réel.
Sans plus attendre, il ouvrit la première enveloppe, et trouva ce courrier :
« Jean, notre famille descend d'un homme, Jean-Baptiste, dont le destin extraordinaire bouleverse encore notre lignée. Le sang royal coule en nos veines, illégitimement, diront certains. Fièrement, le pensons-nous. Car tu peux en être fier, Jean ; cet homme, né de l'union d’un sang royal et d’un amour illégitime, a laissé sa trace dans l'Histoire. Tu en trouveras facilement quelques récits. Tout du moins, ce qu'il a bien voulu en dévoiler... Car c'est l'homme du mystère. Mystère de l'origine, qu'il a tenu cachée, pour mieux la préserver. Mystère surtout, car, ayant survécu à une terrible bataille, la suite de sa vie fut bouleversée par la découverte d'un secret dont notre famille doit rester garante.
Dans la région, il fut connu sous le nom de Frère Jean-Baptiste. Mais son premier nom fut Antoine de Bourbon, comte de Moret...
Tu ne trouveras pas trace de sa descendance. Jamais personne n'en sut mot. Pour mieux nous préserver, sans doute, et laisser penser que le secret s'était éteint avec lui...
Jean, nous devons préserver le secret dont il fut dépositaire, sans chercher à nous l'approprier, car il est dangereux. Juste être garant que jamais personne ne fera la découverte qu'il a faite un jour, et des ravages que cela pourrait produire. Cet homme était bon, droit, loyal, noble. Nous devons, à sa suite, respecter le mystère et protéger le secret. Pour lui, pour la grandeur de ce qu'il a fait, pour l'honneur de notre nom. Et surtout, pour ce qui arriverait si certains mettaient la main sur l'enveloppe que tu détiens. Préserve-la bien. Tu la transmettras à ton tour à ton fils, ou petit-fils, l'aîné. C'est ainsi qu'il a été décidé par Jean-Baptiste.
Il est un lieu où j'aime aller, quand le secret se fait trop lourd pour moi : au prieuré où il vécut, comme Frère, et qui porte le nom de la seule femme qu'il aima... tu sais, pas très loin de chez moi. Là où il retrouva un jour son fils pour lui avouer qu'il avait survécu à la bataille où beaucoup le crurent mort. Là où il lui confia le secret qu'il nous faut désormais protéger. Tu pourras toi aussi t'y recueillir, quand tu en auras besoin. Sois fort, Jean. Mais je sais que tu le seras ».
Deux minutes, plus tard, Jean démarrait sa voiture, incapable de réfléchir, à peine habillé, le ventre vide... Tout juste capable de se rendre à cet endroit qu'il connaît bien... Il n'avait jamais trop compris pourquoi cette vieille chapelle l'attirait chaque fois qu'il passait devant pour aller voir son grand père à Montreuil-Bellay. Maintenant, aussi mystérieux que cela puisse paraître, cela devenait une évidence.

A suivre
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Chapitre IV : L’ermite des Gardelles

Jean ne savait plus combien de temps il était resté sur place. Il avait erré, ensuite, au volant de sa voiture, sur ces routes des campagnes montreuillaises qu'il connaissait si bien. Ce n'est qu'à dix-sept heures qu'il regagna son appartement angevin qu'il louait depuis quelques mois.
Depuis qu'il avait trouvé ce travail comme documentaliste aux Archives départementales.
Jean était un passionné d'Histoire et des vieux documents. C'était d'ailleurs une maladie familiale : son père, mort alors qu’il était encore enfant, était un historien connu. Son grand-père, instituteur, s'était toujours passionné pour les faits d'Histoire locale, et avait même joué un rôle important à certaines heures tragiques de la ville de Montreuil. Jean en était fier, et avait toujours eu beaucoup d'admiration pour son grand-père, pour ce qu'il avait fait, et, surtout, pour la sagesse qu'il retirait des pages d'Histoire qu'il avait traversées. Désormais, au regard de ce qu'il vient d'apprendre, il voyait tout cela sous un nouveau jour.
Dans sa hâte à partir le matin, il avait laissé sur sa table les précieux documents reçus le matin, et, en constatant cette négligence, il sentit sa gorge se nouer. Tout cela lui parut soudain trop lourd pour ses épaules de jeune homme, tout juste âgé de vingt-cinq ans. N'avait-il pas plutôt l'âge de s'amuser, et de penser à sa vie débutante ? Allait-il être à la hauteur de la tâche qui l’attendait ?
Mais il n'était pas dans son caractère de se laisser aller au découragement. Son escapade à la chapelle avait excité sa curiosité, et, surtout, l'envie d'apprendre à connaître ce Frère Jean-Baptiste...
Il alluma l'ordinateur, et, sachant que de longues heures de recherches s'ouvraient devant lui, prit le temps de se préparer un sandwich avec ce qui restait dans son frigo.
Il partit alors à l'assaut des informations qu'Internet voudrait bien lui donner, et dont il chercherait à vérifier la fiabilité.
Qui es-tu, Jean-Baptiste ? De qui es-tu donc le fils ? Quelle bataille t'a laissé pour mort, et par quel miracle y as-tu survécu ? Et quel est donc ce terrible secret que tu nous demandes de préserver depuis plus de trois siècles ?
Les informations ne tardèrent pas à arriver, et Jean fut tout exalté par ce qu'il découvrait. Lui qui, patiemment, déjà, avait poussé ses recherches généalogiques jusqu'avant la Révolution, bouillait littéralement de curiosité et d'enthousiasme en découvrant ainsi dans son ascendance un tel mystère, et une telle destinée...
Cet aïeul, dont Jean se sentait déjà si proche, se révéla être le fils illégitime d'Henri IV ! Né en 1606, de Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret, l'une des maîtresses du « Vert-Galant », il grandit en Béarn, et devint un beau et brillant cavalier qui ressemblait à Henri IV.
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Chapitre V : Rènnas del Castèl

En quelques minutes, Jean avait regagné la coquette maison de son grand-père dans les faubourgs de Montreuil-Bellay.
Outre les vues magnifiques sur le Thouet, les Nobis et le château, cette maison présentait l'avantage d'être très proche des deux lieux où le Frère Jean-Baptiste avait passé la fin de sa vie. C'était probablement pour ça que son grand-père s'était installé ici. A la lumière de tout ce qu'il venait d'apprendre depuis quarante-huit heures, Jean mesura qu'il lui serait difficile dorénavant de se résoudre à se séparer de cette demeure familiale que ses cousins et lui avaient pourtant commencé à vider en vue de sa vente.
Il s'installa dans l'unique fauteuil club laissé dans le salon. S'assurant que la live-box n'avait pas été débranchée, Jean y connecta son portable. Il ne savait trop par où commencer... Tant d'informations à vérifier. Chaque page qu'il ouvrait l'entraînait, au fil des liens, dans les méandres de la toile où il découvrait l'univers des passionnés de Rennes-le-Château. Mais rien sur la piste de l'Anjou. Ce Mazet semblait avoir gardé ses conclusions pour lui.
Alors, pourquoi s'en était-il ouvert aussi spontanément et rapidement à l'inconnu qu'il était, en l'abordant dans une église, songeait Jean dubitatif ? Habitué qu'il était à transcrire et décrypter les calligraphies anciennes, il resta cependant perplexe devant les multiples interprétations générées par chaque signe, chaque lettre, chaque pierre gravée...
Il avait hâte de revoir Mazet pour enfin démêler l'écheveau des liens confus qui avaient amené le Comte de Moret en Anjou. Et par là même, mieux appréhender la teneur du lourd secret dont il était maintenant le seul dépositaire.
La fatigue accumulée l'emportant sur l'excitation et l'impatience, il ferma les yeux et s'endormit dans le salon devant l'écran de veille de son portable.

15 juillet
Devant son bol fumant, Jean songeait encore à son étrange rencontre de la veille.
Curieux type que ce Mazet. Le côté décontracté et sportif du baroudeur, portant bien sa quarantaine avenante. Avec l'érudition d'un rat de bibliothèque. La curieuse impression aussi que le bonhomme avançait ses pions méthodiquement en ne livrant que ce qu'il avait choisi traverse soudain l'esprit de Jean.
Qu’allait-il apprendre aujourd'hui sur son noble aïeul ? C'est donc avec un bon quart d'heure d'avance que Jean se gara devant le restaurant de Montreuil où Mazet l'attendait déjà...
Jean songea soudain à cette valeur de ponctualité que lui avait transmis son grand-père : « la politesse des rois »… Encore des paroles qui prenaient un sens nouveau.
- Bonjour Jean. Alors, bien dormi ? Pas trop impatient d'apprendre la suite ?
- Si ! tu penses ! J'ai rêvé toute la nuit de Templiers et d'Arche d'Alliance...
- Tu vas voir, tu ne seras pas déçu par le lieu où je vais t'amener cet après-midi ! Où en étais-je resté, hier, dans mes explications ?
- Tu parlais de la trace du trésor de Rennes-le-Château en Anjou.
- Ah oui, c'est vrai. Comme je te le disais, j'ai imaginé que, par l'intermédiaire du Roi René, une partie de ce trésor aurait pu être amenée en Anjou. J'ai donc étudié avec un œil neuf les indices laissés par l'abbé Saunière. Une pierre gravée de Rennes-le-Château, la fameuse dalle de la Dame de Blanchefort cristallise toutes les interprétations les plus variées depuis qu'on sait que l'Abbé a fait buriner les inscriptions qui la recouvraient...
- Oui, j'ai vu une reproduction de cette pierre tombale sur le Net, hier soir. Mais cette dalle, elle est bien postérieure à l'époque des Templiers ?
- Certes ! Mais cette marquise, morte en 1781, est issue de la descendance directe du Grand Maître de l'Ordre du Temple, Bertrand de Blanquefort... On peut donc penser que le secret a pu se transmettre en ligne directe jusqu'à elle. Jusqu'à présent, on n'a interprété cette dalle qu'à la lumière des lieux qui entourent Rennes-le-Château.
Tout d'abord, cette inscription : PS... Depuis longtemps, une des interprétations possibles est qu'elle pourrait désigner le Prieuré de Sion (dont le Roi René fut le Grand Maître). Il y a ensuite la phrase : « Et in arcadia ego » qu'on a souvent associée à la commune d'Arques, près de Rennes... Tu vas voir plus tard qu'on peut l'appliquer à l'endroit où je vais t'amener tout à l'heure.
Prenons maintenant les quatre mots REDDIS REGIS CELLIS ARCIS.
- Oui, Reddis, désigne Rennes, c'est bien cela ?
- On l'a en effet toujours cru ! Mais en latin, ça signifie : rendre, offrir, retourner à... REGIS signifie roi, et l'araignée gravée en bas de la dalle peut signifier « a régné ». J'ai maintes fois remarqué que les cryptographes d'antan savaient manier l'humour et les jeux de mots. CELLIS signifie cave en latin, et ARCIS, citadelle ... mais aussi peut être Arche, Arc, Arceau…
- Le rapport avec l'Anjou ??
- Regarde : un roi (le Roi René !) a RENDU ou OFFERT à la CAVE de.... mais je ne t'en dis pas plus, tu verras toi même sur la carte I.G.N. tout à l'heure !
- Décidément, tu ramènes tout au Roi René...
- C'est qu'il est un personnage capital de son siècle, grand prince, protecteur des Arts et initié... Tu dois connaître son poème le Cuer d'Amour espris ?
- Tu penses ! Un chef d'œuvre qu'on vient d'exposer au château d'Angers pour le six-centenaire de sa naissance en 2009...
- Tu as dû y voir cette énigmatique illustration de Van Eyck : La fontaine de Fortune ?
- Bien sûr ! Elle est l'illustration centrale du texte et on y a cherché un message caché. On l'interprète comme une allusion à la fontaine d'Arphays, l'endroit où fut assassiné Dagobert. Le Prieuré de Sion étant un Ordre fondé pour rétablir la descendance de la Dynastie mérovingienne sur le trône, ça se tient...
- Mouais... Moi j'en fais une lecture beaucoup plus directe et prosaïque ! Il y a effectivement un sens caché dans ce tableau... et il nous conduit tout droit au trésor !
- Ah bon ?
- Oui ! Réfléchis, une fontaine...
- Des fontaines il en a des centaines en Maine et Loire !!
- Oui, mais pas des centaines dans les noms de communes...
- Non, en effet, Fontaine-Guérin, Fontaine-Milon...
- Non, beaucoup plus près d'ici...
Jean se frappe soudain le front.
- Mais oui, suis-je bête... et alors ? Cette appellation de Fontaine n'a été accolée au nom de la commune que très récemment, au XIXème Siècle, tu sais ! Et en référence à la superbe fontaine lavoir du centre ville, je crois.
- Attends, tu vas voir la suite ! Ouvrons la carte I.G.N.... Regarde, les ronds bleus désignent des points d'eau... Tu ne remarques rien ?
Jean laisse errer ses yeux sur la dizaine de ronds bleus. Rien ne semble en distinguer un plus particulièrement... Excepté pour celui qui est collé à la rocade sud. Jean explose de rire.
- Tu as vu le nom de celle-là !!! Pas vraiment ta Fontaine de Fortune... tout le contraire, plutôt !
- Détrompe-toi... Et encore une fois, n'oublie pas le sens de l'humour et de la dérision de nos aïeux. Ou leur volonté de nous égarer ! Ca fait trop de coïncidences ... Maintenant, rayonne autour de cette fontaine et regarde... A moins de 3 km au sud.
- Je vois pas...
- Si ! Regarde, là : CELLIS ARCIS... Mazet désigne du doigt un rond noir sur la carte.
- Bon sang ! Extraordinaire... Mais un peu tiré par les cheveux quand même ! rigole Jean.
- Je l'ai cru aussi. Mais quand on est un chercheur persévérant et méthodique, on se doit de vérifier toutes les pistes... Je suis donc allé explorer cette CELLIS ARCIS...
- Et alors ?
- Alors ?! Et bien, c'est coton à trouver sur place... Mais tu vas voir que mon hypothèse n'est pas si farfelue qu'elle y paraît...
- Tu veux dire que tu as trouvé le trésor ?
- Tu es bien impatient encore ! Tu es prêt à m'accompagner ? Je t'emmène... C'est à douze ou treize kilomètres tout au plus !
Jean songe que décidément, son grand-père a vécu toute sa vie au cœur de tous les lieux qu'il découvre depuis deux jours... Les rêves de trésor, à moins que ce ne soient la bonne table et les vins de la Grange à Dîme, commencent à lui tourner la tête.
- On y va ! On prend ma voiture, j'ai tout le matos... intime Mazet.
Jean reprend place dans le break pourri. Au bout de quelques kilomètres, Mazet se gare à flanc de coteau, au pied des vignobles.
- Va falloir finir à pied. On ne peut aborder la cave que par le haut du plateau.
- Dis-donc ? On n'est pas sur du tuffeau, là ? Halète Jean, moins rompu à l'exercice physique que son compagnon.
- Oui, bien vu ! La roche est calcaire, mais très dure... Ceux qui ont creusé ce plateau devaient vraiment avoir de très bonnes raisons pour se donner autant de mal. Ils voulaient probablement que leur secret soit à l'abri pour des siècles !
Au sommet, Mazet se dirige vers un taillis de broussailles qui semble impénétrable et s'engouffre dans un sentier à peine dessiné que la végétation referme.
- Pas très fréquenté, ce coin... Comment tu te repères ?
- J'utilise le yucca. A se demander si les Templiers n'ont pas planté cette espèce exotique ramenée de Terre sainte pour nous guider vers la cache, sourit Mazet.
Au bout d'une centaine de mètres de progression délicate dans les broussailles, les deux hommes débouchent sur une plate-forme exigüe, à flanc de coteau. De là, ils dominent le Layon et aperçoivent leur voiture restée en bas. Mazet pose son sac et en sort deux casques à lampes frontales.
- Il faut vraiment entrer là-dedans ? souffle Jean en désignant l'ouverture qui se dessine dans la paroi.
- Tu vas pas me dire que tu crains les chauves-souris ? plaisante Mazet.
- Ben, tu sais, moi... je suis un peu claustro...
- Ne crains rien, tu verras, inutile d'aller très loin et d'ailleurs, ce n'est guère profond.
Mazet s'engouffre dans la cavité. A sa suite, Jean découvre d'abord une petite pièce sur la gauche qui semble avoir servi de bergerie. Il frissonne. Le monde souterrain ne l'a jamais rassuré. Ressortant de ce réduit, Mazet l'entraîne maintenant au-delà du portillon de bois, dans un couloir plus sombre. Il allume les lampes et la fraîcheur transperce Jean. On est passé en quelques minutes de l'étouffante chaleur du plateau, du crissement des cigales, à l'humidité glaciale et aux frôlements d'un ballet de chiroptères qui fait sursauter Jean. Un corridor dont l'extrémité semble se perdre dans les ténèbres, plonge brusquement sur la gauche.
- Faut descendre ? demande Jean.
- Non, rassure-toi, c'est inutile, j'ai déjà exploré. Il n'y a plus rien et c'est très casse gueule. Mais je suppose que ce couloir si long devait mener à la chambre du trésor.
- Comment peux-tu en être aussi certain ?
- Tu n'as rien remarqué en entrant ?
- Non, confesse Jean.
- Sur la pierre tombale de la Dame de Blanchefort, « Et in Arcadia ego » est écrit en deux colonnes : « Et in arc » et « adia ego » !
- Et alors ?
- Il faut lire - à dia ego - je suis à gauche, - Et in arc - et dans l'arc ! Ressortons...
A la suite de Mazet, Jean retourne explorer la voûte, à gauche en entrant, et là, il voit...
- Mais qu'est ce que c'est que ce truc ???
- La preuve que j'ai vu juste !!!
- C'est quoi ce charabia ??
- Une grille remplie de signes du code des Templiers ! Signe que cette cave qui ne ressemble à nulle autre est leur œuvre et qu'elle détient un secret.
- Mais quel secret ? Et ça signifie quoi, tous ces signes ?
- Ha, quel secret ! Vu le nom du lieu, j'ai eu l'espoir d'y trouver l'Arche d' Alliance ! Mais je pense qu'il devait s'agir d'autre chose et que cette « chose » a été déplacée...
- Pourquoi ?
- Ça, je l'ignore encore ! Mais les Templiers, où les hommes du Roi René, ont placé là ce carré pour indiquer la nouvelle cache et je bloque pour le décodage... Une fois traduits, les signes Templiers donnent un carré de lettres, grand classique de l'antiquité et que l'on retrouve curieusement gravé dans le château du Roi René à Tarascon (encore une coïncidence !). Laisse-moi te parler maintenant des derniers signes de la dalle de Blanchefort. Les lettres PS, qu'on associe volontiers au Prieuré de Sion peuvent aussi être l'abréviation de psaume puisqu'elles sont reliées par une flèche à PRAECUM qui signifie prière... Associées aux chiffres romains du bas de la dalle (LIXLIXL ) qui donnent 51, 41 et 40, ces lettres PS m'ont amené à relire les psaumes 51 et 40 (41). J'ai d'abord remarqué que le Psaume 51 évoque la ville de Sion, confirmant que le Prieuré de Sion serait l'instigateur du déplacement du trésor en Anjou. Quant au psaume 40 ou 41, (il existe une double numérotation des psaumes selon qu'on utilise une traduction grecque ou latine de la bible ou bien la traduction hébraïque) il est très célèbre, car Jésus le cite au Cénacle lors du Jeudi Saint : « Même l'homme qui était mon ami, qui avait ma confiance et qui mangeait mon pain, lève le talon contre moi ». Il exprime, par là, sa profonde tristesse au moment de la trahison de Judas.
- Qu'est-ce que Judas vient faire dans tout ça ???
- Ça, c'est toi qui va me l'apprendre Jean... Puisque lorsque j'ai rendu visite à ton grand père, c'était trop tard, il ne pouvait plus parler !
L'expression du visage de Mazet est passée de la bonhommie à la haine à l'instant où il sort de sa veste une arme qu'il pointe en direction de Jean. Celui-ci, médusé, mesure en quelques secondes que toute la défiance dont il avait songé faire preuve à l'égard de Mazet était justifiée. Il comprend que l'homme l'a amené ici dans l'unique but de lui extorquer le secret qu'il ignore, mais dont il est le nouveau dépositaire... Il pense aux deux enveloppes qu'il n'a pas mises à l'abri, juste rangées dans sa serviette restée dans la maison de Montreuil. Il faut gagner du temps, Mazet a besoin de lui, vivant !
Jean n'a pas le temps de gamberger d'avantage. Un son mat venu du sommet de la voûte, une expression de stupeur sur le visage de Mazet, une tache rouge qui explose sur son front puis son corps qui s'affaisse mollement dans un froissement de feuilles. Tout n'a duré qu'une fraction de seconde, sans que Jean ait eu le temps de pousser un cri. Une silhouette souple et longiligne tombe du plateau, s'agenouille aux pieds de Mazet en rangeant son arme munie d'un silencieux à sa ceinture. La jeune femme brune empoche rapidement le portefeuille, les clés et le portable de Mazet et se relève en soufflant :
- Il a son compte... Vite, aidez-moi à transporter le corps.
Comme un automate, Jean s'exécute et prends le corps de Mazet sous les aisselles tandis que la fille le saisit par les pieds, conduisant l'équipage irréel vers la cavité... Arrivée à la hauteur du corridor qui plonge dans les entrailles de la terre, elle murmure :
- On va le balancer en bas, d'ici à ce qu'on le retrouve là-dedans, il coulera pas mal d'eau sous les ponts.
Joignant le geste à la parole, la fille imprime un mouvement de balancier au cadavre en comptant, un, deux et trois... A l'unisson, la fille et lui lâchent le corps que Jean regarde rouler et glisser vertigineusement dans la fange avant de disparaître dans le sombre toboggan. Jean s'écroule alors en sanglotant nerveusement, tentant de dévisager la fille brune dont il n'entrevoit que la silhouette dans le contre-jour. Il réalise peu à peu l'absurdité et l'horreur de la situation dans laquelle il s'est fourré malgré lui.
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par Alhellas »

J'ai commencé la lecture de cette histoire, ma foi bien écrite. Le premier chapitre m'a fait penser à un épisode de Jacques Legall : " Le secret des Templiers"...
Merci du partage Kronos !
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par Kronos »

Chapitre VI : Rencontre avec un ange

Jean ressort de l'antre terrestre, et s'assoit pour tenter de reprendre ses esprits. Encore secoué par ce qui vient de se passer, il parvient malgré tout à bredouiller :
- Sans vous, je ne sais comment tout ceci aurait fini....
- Je ne sais pas bien pour quelle raison il s'intéressait à vous, mais certainement une bonne à ses yeux, pour qu'il prenne ce risque fou de se faire démasquer....
- Ce n'est pas qu'il me trouvait beau ? plaisante Jean, presque machinalement et sans grande conviction.
La jeune femme réprime difficilement un sourire, et Jean remarque tout de suite la délicieuse fossette prête à creuser sa joue.
- Vous ne devriez pas plaisanter... Je ne sais quel est votre secret, mais je ne peux que vous conseiller de faire attention... Ils ne vont sans doute pas en rester là...
- Ils ? s’étonne Jean. Mais de qui parlez-vous... Je ne comprends rien !
- C'est une longue histoire... En dehors de laquelle, sans doute, vous devriez rester... Mais j'ai bien peur que vous ne soyez déjà très impliqué dedans, ajoute-t-elle, assombrie.
- J'aimerais bien savoir ! s'indigne Jean. J'ai failli me faire tuer par un fou-furieux, j'ai été miraculeusement tiré d'affaire par une ravissante jeune femme sortie de nulle-part, qui me fait comprendre maintenant que je cours un danger... Je suis assez curieux de savoir comment va se dérouler la suite de mes congés d'été !!!
- Je ne sais s'il est bon que vous en sachiez plus... Je dois y aller.... Tenez, si vraiment vous voulez en apprendre d'avantage... Mais je vous assure, prenez garde...
Elle lui tend un papier sur lequel elle vient de griffonner, hâtivement, quelques lettres et chiffres.
- Vous savez où est né Vauban ? Rendez-vous au point commun cet après-midi, à 17 heures.
- Euh... il me semble que ce n'est pas tout près... Vous partez là-bas ? s'enquiert Jean, perplexe.
La jeune femme, amusée, ne répond pas, mais son regard pétillant traduit le plaisir à semer le mystère. Elle s'éloigne, sans un mot.
- Dites-moi au moins votre nom ! Que je sache à qui je dois d'être encore en vie !
- Je m'appelle Ange-Lisa Teredelpech, mais vous pouvez m'appeler Lisa...
Puis se retournant :
- Pensez à vous débarrasser de la voiture. Voici les clés, moi, je garde le portefeuille.
Puis, plus doucement :
- Nous sommes liés par un secret, désormais...
Elle disparaît bientôt, aussi furtivement qu'elle était apparue, laissant Jean abasourdi par tous ces évènements.
Il pose alors ses yeux sur le bout de papier :
 ALT 52 57 49 50 49
Une première lecture l'amène à quelques suppositions :
Cette suite de chiffre ressemble fort à un numéro de téléphone. Peu commun, il est vrai... Et les lettres.... Ses initiales sans doute. N'a-t-elle pas dit s'appeler Ange-Lisa Teredelpech ?
Mais qu'en est-il de cette mystérieuse phrase :
- Vous savez où est né Vauban ? Rendez-vous au point commun.
Jean croit se rappeler que Vauban était Bourguignon.... Il lui faut rentrer au plus vite, pour éclaircir ce mystère....
Jean s'inquiète alors de la voiture... Que va-t-il bien pouvoir en faire ?
Pour le moment, elle va lui servir à rentrer, mais il ne peut la garder.... La jeter dans le Thouet, lui semble la meilleure solution…
Les mots prononcés par Christophe tournent en boucle dans la tête du jeune homme :
- Ça c'est toi qui va me l'apprendre Jean... Puisque lorsque j'ai rendu visite à ton grand père, c'était trop tard, il ne pouvait plus parler !
Jean repense alors aux terribles heures qu’a dû traverser son grand-père, condamné au mutisme par son accident vasculaire, recevant la visite du chercheur de trésor, comprenant ainsi le lourd héritage qu’il transmettait à son petit-fils. Les yeux de Jean s’embrument ; il se reproche amèrement de n’être pas retourné voir son grand-père, de l’avoir laissé seul dans cette angoisse…
Une profonde colère le saisit alors :
- C’est pas juste, grand-père, pourquoi as-tu attendu pour me dire tout cela ? Pourquoi ne t’es-tu pas confié, depuis longtemps déjà, puisque tu savais qu’un jour je partagerais ce secret ? On aurait été plus forts, à deux… Tu ne me faisais pas confiance ? Moi, je suis là comme un con, maintenant, dans une situation que je ne comprends pas, et seul, tellement seul…
De colère, il donne un coup de pied violent dans l’arbuste tout près de lui qui vient s’affaisser à côté de l’entrée de la cave. Son regard se posant à nouveau sur la mystérieuse inscription lui fait reprendre ses esprits, regarder sa montre, et prendre conscience de l’urgence de rentrer pour tenter de retrouver l’unique personne pouvant peut-être encore l’aider : l’énigmatique Lisa, qui vient sans doute de lui sauver la vie…
En d’autres circonstances, il aurait été sensible au charme de la jeune femme, l’esquisse de son sourire, son visage mat aux traits réguliers, l’expression de son regard, sa silhouette svelte et féminine. Pour l'heure, c’est surtout le sang-froid et le professionnalisme de son geste qui l’ont fasciné et inquiété tout en même temps.
Jean, quittant l'inquiétante cave, redescend jusqu’au break de Mazet.
Une rapide inspection de la voiture ne lui permet pas d’en connaître plus sur la mystérieuse identité de son agresseur, qu’il a eu la folie de suivre jusqu’ici… Il démarre, se rend machinalement là où son grand-père allait pêcher, sur cette berge tranquille du Thouet où Jean sait l’eau profonde. Pressé de se débarrasser du véhicule, il desserre le frein à main, et donne l’impulsion nécessaire au plongeon sourd et massif du break.
Il est 15h30, et il reste bien peu de temps à Jean pour identifier l’endroit du rendez-vous… Empoignant le téléphone, il compose l’improbable numéro, en espérant tomber sur une messagerie lui donnant quelque indice…
- Bonjour, ce numéro n'est pas attribué. Veuillez consulter l'annuaire ou le centre de renseignements.
L’ultime espoir de Jean réside désormais dans son unique compagnon d’aventure : Internet… qui ne tarde pas à lui confirmer ce qu’il pensait : Vauban est né dans l'Yonne ! Cela fait trop loin pour un lieu de rendez-vous ! Où l’attend donc Lisa, et pourquoi ce mystère ?
Jean pianote sur son ordinateur, à cours d'idées, et pourtant bien décidé à retrouver cette femme qui peut l'aider à en savoir plus... Il décortique chaque information trouvée sur la naissance de Vauban, sans y voir le moindre point commun avec sa terre d’Anjou...
Désappointé, ses yeux se posent alors sur son ordinateur, comme une ultime tentative pour percer ce ténébreux mystère... C'est alors qu'il comprend ! Mais oui ! Des initiales, peut-être, mais pas seulement !
Exalté, Jean voit apparaître petit à petit sur l'écran le message contenu sur ce papier griffonné ! En quelques clics, recoupant les différentes informations qu’il a désormais en sa possession, il découvre le lieu exact où la jeune femme mystérieuse l’attend... Il est déjà 16h30... Jean a tout juste le temps de s'y rendre pour espérer être à l'heure au rendez-vous. La ponctualité est pour lui comme un principe, et aujourd'hui plus que jamais...
- Vous êtes d’une ponctualité étonnante, entend-il derrière lui.
- Je n’envisage pas une seconde d’être en retard… et encore moins quand j’ai rendez-vous avec une mystérieuse inconnue au milieu des bois ! lance Jean, soulagé d’avoir retrouvé la jeune femme.
- Dites, vous utilisez souvent les messages codés et les énigmes ?
Elle sourit, assez satisfaite.
- Ne m’en veuillez pas. J’avais besoin d’être sûre de votre perspicacité, et de votre résolution à en savoir plus… Je viens quand même de tuer un homme, et je ne connais pas celui qui s’est trouvé être mon complice. Personne ne vous a vu pour la voiture ?
- Il vaudrait mieux pour moi que non. Lisa, j’ai mille questions à vous poser.
- Je me doute, oui… Sans doute saurai-je répondre à certaines… Mais... Je peux vous appeler Jean ?
- Volontiers.
- Alors, Jean, je me dois de vous redire que cela vous fera courir un danger…
Jean éclate de rire :
- Il me semble que c’est déjà le cas, non ? Mais si je suis dans votre camp, c’est déjà un bon atout pour moi ! dit-il, moqueur.
Lisa se contente de sourire doucement, et Jean comprend par son silence qu’elle est prête à lui révéler ce qu’elle sait.
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par Kronos »

Chapitre VII : Les adorateurs

- Vous allez commencer par m'expliquer qui vous êtes et ce que ce Mazet me voulait ?
- Ce qu'il vous voulait est clairement lié à ce « trésor » dont il vous a parlé. Mais je ne connais ni la forme, ni la valeur que celui-ci avait à ses yeux. Considérable, visiblement puisqu'il semblait prêt à vous tuer pour ça... Mais cette valeur n'est peut-être pas seulement vénale comme il a tenté de vous le faire croire. Car Mazet était un Parfait dans la secte des Adorateurs de Caïn ! Et j'ai tout lieu de penser que la piste du secret qu'il traquait doit être plus spirituelle...
- Les Adorateurs de Caïn ??
- Oui, un courant gnostique du Christianisme aux dérives sectaires. Selon eux, préexistant de tous les temps, il y a dans les hauteurs invisibles et innommables un Eon parfait, l’Etre sans mélange, Premier Principe radicalement transcendant et ineffable. De cet être dérivent des éons, émanations divines. Le premier éon produit, réplication spontanée du Principe par réflexion dans sa propre lumière qui l’entoure, est un androgyne appelé Barbélo. De ce premier couple émanent finalement trente éons. Le dernier éon produit, Sophia, développe une passion pour le Père, qui résulte en la production d’un avorton difforme le Démiurge.
- Eh ben dis-donc, vous en connaissez un rayon ! Moi qui suis du genre sceptique, je suis servi, fait Jean un peu abasourdi.
- Et encore, je résume ! sourit Lisa ...Poursuivons. Ce Démiurge (identifié au Dieu de l’Ancien Testament) crée l’Homme psychique, d’après un reflet du Père dans les eaux. Mais cet Homme psychique est incapable de se mouvoir. Le Christ (né de Barbélo après qu’elle a intensément contemplé le Père) suggère au Démiurge de souffler sur l’Homme, ce qui l’anime : ainsi naît le pneumatique.
- Ainsi naquit Bibendum ! pouffe Jean...
-Ne riez pas : « pneuma » signifie le « souffle » et par extension « l'esprit » en grec ! Et cessez de m'interrompre si voulez comprendre qui est l'homme qui vous a agressé !
- Pardon. Excusez-moi... J'ai toujours été un peu en froid avec les religions...
- En soufflant de son Esprit, le Démiurge se vide de la puissance que sa mère lui avait léguée par ignorance et le transmet à l’Homme. Réalisant que sa création le dépasse en connaissance, le Démiurge précipite alors l’Homme au plus profond de la matière. Là, le Père intervient, donnant à l’Homme « vie », qui se cache au fond de lui et l’illumine sur l’origine de sa déficience, lui montrant le chemin de l’élévation. En guise de représailles le Démiurge emprisonne l’Homme dans un corps de matière.
- Eh bé, merci pour l'exposé...
Jean regarde vraiment stupéfait cette fille qui l'intrigue de plus en plus. Capable de descendre froidement un homme hier pour lui sauver la vie, de lui filer un rendez-vous codé que n'auraient pas renié les barbouzes de la D.S.T., et de lui donner aujourd'hui, avec une aisance naturelle, une conférence sur une secte pré-chrétienne oubliée.
- Mais pourquoi existe-t-il donc chez les gnostiques un courant qui vénère Caïn ?
- Plusieurs sectes antérieures au Caïnisme expliquent que les deux principes du Bien et du Mal ont produit Adam et Eve. Puis, chacun d'eux ayant revêtu un corps, a eu commerce avec Eve ; de cette union sont nés les deux enfants, héritant du caractère de la puissance à laquelle ils doivent la vie. D'où la différence du caractère de Caïn et d'Abel et de tous les Hommes. Comme Abel se montre très soumis au Dieu créateur de la Terre, il est regardé comme l'ouvrage du Démiurge, le Dieu imparfait de la Bible. Au contraire, Caïn, le meurtrier d'Abel, est l'ouvrage de la sagesse et du Principe supérieur ; il doit donc être vénéré comme le premier des sages. Les partisans de cette doctrine, honorent tous ceux que l'Ancien Testament condamne : Caïn, Esaü, Coré, les Sodomites... Les Caïnites prétendent même que la perfection consiste à commettre le plus d'infamies possibles !
- Mais pourquoi ces tarés sont implantés en Maine et Loire ? Ils cherchent quoi, par ici ?
- Jean... J'ai entendu Mazet dire que votre grand-père était détenteur d'un secret, c'est ça qu'ils cherchent ! Les Adorateurs de Caïn ont toujours vécu au plus près de ce secret. Ils sont présents sur le territoire d'Anjou depuis autant de siècles qu'il y est arrivé. Comment ont-ils suivi sa trace ? J'aimerais bien le savoir ! Cette secte a toujours eu des ramifications dans les sphères influentes de la Société. Avant que le « trésor" ne quitte l'Aude, par l'entremise de René d'Anjou, comme Mazet vous l'a démontré, certains courants gnostiques s'étaient développés là-bas au grand jour. Cette imprudence leur a valu un destin tragique. Vous avez sûrement entendu parler de la répression contre les Cathares ?
- Bien sûr ! Mais pour ce que j'en connais, les Cathares n'étaient pas vraiment portés sur la débauche, ni sur la recherche de richesse !
- Vous avez raison. C'est que la gnose a, selon les courants, pu conduire à l'ascétisme le plus rigoureux (comme pour les Cathares) ou aux plus abjectes immoralités ! Les Adorateurs de Caïn considérant que le corps charnel est asservi dans ses actes et passions à la souveraineté des planètes, se croient aussi pourvus d'une grâce d'en-haut qui les délivrera des actes d'ici-bas quand ils auront atteint le stade d'élus. Ils n'ont donc pas vraiment de notion de moralité individuelle. La chair appartient à la matière, peu importe qu'elle soit souillée puisque l'esprit seul saura participer au Salut... Chez les plus extrémistes des Caïnites on accorde même une valeur mystique aux comportements immoraux !
- Mais comment ce courant a-t-il pu échapper aussi longtemps dans notre région aux persécutions de l'Eglise catholique ?
- En se cachant, en cultivant le secret ! Persécutés dès la naissance de l'Eglise, les Caïnites ont appris à ne plus afficher au grand jour leur foi considérée comme hérétique. Ils ont donc construit des temples souterrains réservés à leurs rites initiatiques. On connaît l'un d'entre eux qui a été découvert par hasard pas très loin d'ici ; je pense que vous avez certainement déjà dû le visiter ?
- Vous voulez parler de cette cave sculptée ? Vous savez, j'ai beau habiter à quelques kilomètres, je n'y ai jamais mis les pieds, confesse Jean, un peu honteux.
- Comme la plupart des gens du coin, je suppose, dit Lisa en haussant les épaules. Je crois qu'ils seraient bien surpris de découvrir ce qui se cache sous leurs pieds, même si elle est bien révolue l'époque où le curé du village, après sa découverte fortuite, reboucha l'accès à ce temple déclaré païen. Ca vous dirait de visiter avec moi ?
- Volontiers !
Jean songe alors avec un sourire qu'il est bien loin du farniente des plages espagnoles. Depuis deux jours, il s'est découvert une ascendance royale, a hérité d'un secret mystérieux qui semble susciter quelques convoitises et voilà qu'il explore le mystérieux monde souterrain de l'Anjou en compagnie d'une jeune femme cultivée dont le charme ne le laisse pas insensible. Jean en oublierait presque le décès de son grand-père, ce meurtre et cette menace de secte qui le traque peut-être...
Quelques minutes plus tard, les deux jeunes gens pénètrent dans un boyau puis descendent la volée de marches qui conduit au « temple » troglodyte. Jean en a déjà vu maintes représentations photographiques, mais là, il reste bouche bée, absolument saisi par la licencieuse sarabande de ces centaines de personnages grimaçants. Accentués par les ombres et les jeux de lumière, les visages énigmatiques prennent un aspect inquiétant. Jean sent rapidement couler la sueur dans son dos. Il ne sait pas si ce sont la lutte contre sa claustrophobie ou les récents souvenirs tragiques de CELLIS ARCIS qui le rendent soudain si sensible à la sourde menace des regards démoniaques qui semblent émaner de certains visages difformes.
- Regardez, Jean, vous voyez cette représentation du Démiurge ? Vous vous rappelez : le Dieu véritable est caché aux yeux des Hommes par un dieu inférieur, créateur du Monde, le Dieu de la Bible, le Démiurge, un dieu mauvais, responsable de toutes les imperfections du Monde...
Lisa désigne un être griffu à tête mi-homme, mi-animal, et Jean ne peut soutenir le regard grimaçant du démon au rictus équivoque…
- Lisa ... Ça me fout les jetons...
- Allons, ressaisissez-vous ! Regardez, vous voyez les costumes ? La fraise, les caleçons, ont permis aux historiens de dater assez précisément ces sculptures de la seconde moitié du Seizième Siècle, l'époque de Catherine de Médicis en gros. Vous voyez ? Ce n'est pas d'hier que la secte est implantée en Saumurois ! Car si on se perd en conjectures pour savoir à quoi pouvait servir ce lieu, moi je suis intimement persuadée qu'il s'agit d'un temple Caïnite !
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
- Vous voyez, ces deux femmes qui tiennent chacune le sexe du même homme ? Il s'agit d'un rite de mariage initiatique très répandu dans cette secte. Celle de gauche a les seins nus et symbolise la luxure, l'autre, la vertu. Il y a aussi cette représentation d'un enfant mort sur les cuisses nues de cette femme. On voit le bourreau avec sa hache qui s'apprête à commettre un second sacrifice rituel. Les Caïnites ont dû pratiquer ici ce genre de sacrifices. Pour eux, il existe trois classes d'êtres humains. Les « pneumatiques », ceux qui vous ont tant amusé tout à l'heure, les « élus » en quelque sorte ;ceux qui se savent pourvus d'une perfection innée et dont l'esprit est prédestiné au Salut. Les « psychiques », ceux qui n'ont qu'une âme et point d'esprit, mais chez qui le Salut peut encore être gagné par l'instruction, la gnose, l'accès à la connaissance qui passe par ces rites initiatiques. Et enfin, les « hyliques », êtres dépourvus d'esprit et d'âme, uniquement constitués d'éléments charnels et voués à la destruction. Ceux-là mêmes qui sont chair à sacrifier...
Jean pense avec effroi au sang d'innocentes victimes qui a peut-être inondé cette cave ! Une bouffée de chaleur accompagnée d'une sensation de nausée l'assaille. Tout se met à vaciller autour de lui.
- Lisa ! Il faut absolument que je remonte... Tout de suite, je ne me sens pas bien !
Livide, le jeune homme ressort à l'air libre et s'assoit sur un muret pour récupérer ses esprits.
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par archibald »

Kronos a écrit :
09 févr. 2023, 15:03
.../...
- Vous voyez, ces deux femmes qui tiennent chacune le sexe du même homme ?.../...
Tu penses bien que j'ai cherché , comme Jean, sur Internet! :D
Dénezé-sous-Doué_cave_sculptée_Mariage_iniatique.jpg
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par Kronos »

Désolé, mais j'étais un peu pris par la préparation et la sortie de mes Nouveautés 2023
Voici les Chaps 8, 9 et 10

Chapitre VIII : Pour que la Loi revienne

- Dis-donc, vous-êtes drôlement sensible comme garçon, vous ! lui glisse Lisa avec un léger sourire.
- Pardonne-moi, s'énerve Jean qui refait surface, si ça te laisse indifférente de te faire agresser par un de ces fous furieux, de le butter froidement et de te balader sereinement dans des souterrains où on décapitait à la hache des gamins, moi pas !!! Je me demande bien qui tu es pour tout ça n'affecte en rien ton sang froid ?
L'agacement et l'émotion ont brusquement fait voler en éclat les conventions sociales, et Jean regrette son emportement, surpris d'avoir tutoyé cette fille inconnue et mystérieuse.
- Excuse-moi, souffle Lisa en prenant la main de Jean. C'est vrai, j'oublie parfois les horreurs de cet univers que je côtoie depuis si longtemps...
Jean vacille au contact de la main chaude, ferme et rassurante, un peu troublé aussi que Lisa, avec son désarmant sourire, accepte aussi simplement le tutoiement.
- Tu m'expliqueras un jour qui tu es vraiment ? Et c'est quoi ça ? désigne Jean en remarquant sur le bras de Lisa l'ébauche d'une ligne bleutée.
Lisa remonte sa manche et laisse apparaître un tatouage discret sur le haut de son biceps. Un chandelier à sept branches.
- Tu es Juive ?
- Non. Mais j'ai ça depuis toujours... Un souvenir de mes parents que je n'ai pas eu la chance de connaître longtemps. Je ne sais pas à quoi cela correspond, mais c'est tout ce qu'il me reste d'eux, alors c'est bête, mais j'y tiens...
En disant cela, son visage s'assombrit et son regard perd l'étincelle qui a tant ému Jean. Celui-ci se sent gêné d'avoir conduit à l'évocation de ces souvenirs apparemment douloureux pour la jeune femme et, dans un élan aussi spontané que naturel, prend à son tour la main de Lisa et lui confie d'une voix douce :
- Alors nous sommes un peu dans le même cas, toi et moi. Ma mère est morte en couches, chose pourtant devenue très rare de nos jours, et mon père quelques années après, je n'avais que sept ans. Ma grand-mère s'est alors occupée de moi, puis est morte à son tour...
- Et tu enterres maintenant ton grand-père...
- Comment sais-tu cela ? demande Jean, surpris.
- Je l'ai déduit de ta discussion avec Mazet, c'est tout, conclut Lisa, réconfortée par le geste de Jean.
- Lisa, je ne comprends pas ; que recherchent les Caïnites ? Ils imaginent être les élus, je présume ?
- Oui, c'est cela. Et ils attendent un signe fort, qui leur fera savoir qu'ils peuvent régner sur le Monde et y appliquer leur façon de voir, leurs rites, en particulier ceux qui t'ont donné la nausée, tout à l'heure... Une justification divine à leurs pratiques. Je te l'ai dit : pour eux, la perfection consiste à commettre le plus d'infamies possibles ! C'est pour cela que je crois que la quête de Mazet était plus spirituelle que vénale.
Jean... je ne sais quel secret possédait ton grand-père, mais je suis persuadée que certains sont prêts à tout pour en avoir connaissance.
- Qu'est-ce qui te fait penser cela ? interroge Jean. Le geste de Mazet, uniquement, ou bien tu as connaissance d'autres éléments ?
- Dans l'attente de ce signe divin fort, qu'ils pensent imminent, les Caïnites ont entrepris de congeler les corps de ceux qu'ils pensent être les élus, pour qu'à l'avènement de ce signe, ils puissent jouir de leur victoire sur le Monde, et de leur accession au statut divin... et s'adonner à leurs pratiques infâmes. Ça se passe dans un château de la région de Doué. La Presse s'est emparée d'un cas, il y a quelques années, un docteur qui avait congelé son épouse. L'affaire est passée au tribunal, l'opinion publique a conclu à un savant fou, inoffensif, et cette histoire est vite retombée dans l'oubli. En fait, les Caïnites continuent les congélations, plus que jamais convaincus que les Temps sont proches.
- Je me rappelle en effet de ce fait divers.... Lisa... pourquoi t'intéresses-tu à eux ?
Le visage de Lisa s'assombrit à nouveau, et le regard perdu, elle confie :
- Mes parents sont morts... à cause des Caïnites. Ce n'est sans doute pas très rationnel, mais depuis que je sais cela, je cherche à comprendre cette secte, à percer ses mystères... Dérisoires tentatives d'ouvrir les portes cadenassées de mon histoire. Je ne sais rien d'elle...
Jean, tant attaché à ses racines familiales, et combien plus encore depuis ces derniers jours, ressent le désarroi et la solitude que doit vivre la jeune femme. Mais il ne parvient à dire quoi que ce soit. Se reprochant ce mutisme, il se mord la lèvre, et réfrène le geste d'enlacement qui serait la seule réponse dont il se sentirait capable...
Il est tard, et Lisa, se lève et s'adressant à Jean :
- Je vais y aller. Voici mon numéro de téléphone. Le vrai, cette fois, dit-elle en souriant.
- J'ai encore tellement de questions... Mais tu as raison, il est tard. Merci, Lisa pour...
Mais Jean n'ose évoquer à nouveau le meurtre de Mazet, et prend place dans sa voiture. Lisa, qui a fait de même, démarre et disparaît en premier.

16 juillet
Jean, contre toute attente, a dormi d'une traite. Au matin, il tente de faire le point.
« Me voilà dépositaire d'un secret, contenu dans une enveloppe que j'ai mission de protéger sans ouvrir. Ce secret n'en est pas un pour tout le monde, et une bande de tarés sectaires semble prête à tout pour s'en emparer. En tout cas, si j'en crois Lisa. Si ce secret a pu dormir tranquillement dans notre famille pendant des générations, j'ai l'impression qu'il n'en sera plus de même désormais... Et à moins de disparaître de la circulation avec cette enveloppe, je dois me rendre à l'évidence : si je ne fais rien, les Caïnites n'auront de cesse de chercher à la récupérer, qu'elle contienne ou non les informations qu'ils recherchent. Je n'ai pas le choix : je dois en apprendre plus sur eux, sur leurs pratiques, qui ils sont, ce qu'ils cherchent. Même si c'est dangereux ».
Jean, sans plus attendre, décroche son téléphone.
- Lisa ? Je ne te réveille pas ? J'ai décidé d'aller faire un tour du côté de ce fameux château. Je dois en apprendre plus sur les Caïnites.
- Je t'accompagne. Attends-moi. Dans une demi-heure sur la place de l'église du village.
Lisa monte dans la voiture de Jean, et les deux acolytes se dirigent vers le mystérieux château. Le lieu est mal entretenu, la demeure semble à peine habitée. Les grilles, rouillées, portent les initiales du propriétaire qui avait tant défrayé la chronique. Pourtant, ça et là, quelques indices d'une présence humaine confortent les jeunes gens dans leur décision de trouver un poste d'observation de la demeure, espérant repérer quelques allées et venues des membres de la secte.
Le temps passe sans que rien ne bouge dans la propriété.
- On va y aller, décide Jean.
- Je te suis.
Lestement, les deux complices escaladent la grille de l'entrée déserte, puis, rapidement, longent l'enceinte de la propriété, pour essayer, le plus discrètement possible, de trouver un passage où se faufiler pour tenter d'approcher la base des adeptes de Caïn.
Remarquant une porte de service à l'arrière du bâtiment, Jean se dirige vers elle, tente de l'ouvrir silencieusement, mais celle-ci reste fermée. La porte est vitrée, et le jeune homme jette un rapide coup d'oeil à l'intérieur : personne, heureusement, mais des réserves : boîtes de conserves, bouteilles, qui viennent confirmer la présence d'un groupe ici.
Jean, jetant un œil vers l'endroit où Lisa était restée, aperçoit cette dernière lui faisant signe de revenir. L'ayant rejointe, Lisa explique :
- Regarde tout là-bas, dans le fond de la propriété : une descente, et une porte encastrée dans la roche. Je ne savais pas qu'il y avait des troglos ici, mais ça m'a tout l'air d'en être !
- Allons jeter un oeil.
L'endroit est désert. En s'approchant, Lisa et Jean perçoivent la fraicheur de la roche. La porte est fermée, et même verrouillée, à l'aide plusieurs cadenas. Mais la fenêtre, à droite de la porte est restée entrebâillée.
- On devrait pouvoir passer par là, suggère Lisa.
Deux minutes plus tard, les deux intrépides se retrouvent à l'intérieur d'une pièce exigüe, en terre battue, pas plus grande qu'une arrière-cuisine où quelques vieux outils ont été déposés à l'arrière d'une porte. Il y a aussi un vétuste évier, qui semble relié malgré tout aux canalisations.
Sans faire le moindre bruit, Jean et Lisa avancent vers la porte, et l'ouvrent.
Ils découvrent, ébahis, une immense salle, creusée dans la roche, qui semble sans fin, dans laquelle a été installé un alignement de ce qu'ils découvrent être... des congélateurs ! Ils ont une forme peu habituelle, allongés, et d'environ deux mètres de long. Ils portent sur le dessus des inscriptions. Avant même de s'approcher pour lire ce qui est inscrit, Jean et Lisa saisissent immédiatement ce dont il s'agit : les Caïnites congelés, chacun dans un congélateur horizontal, avec son nom dessus, dans l'attente du jour où adviendra Le signe...
les noms inscrits proviennent de toutes origines : Davineau, Bressin, Jones, Maluda, De Spiegeleer, Brawn, Mourahad, Choiseau, Deloustal, Chalumeau...
A leur lecture, Lisa s'accroche au bras de Jean, et de l'autre main se prend la tête, comme pour s'empêcher de défaillir.
- Qu'as-tu Lisa ? demande Jean, surpris.
- Jean, ce sont des cercueils, des dizaines de cercueils, de gens qui sont supposés disparus ! Certains les cherchent peut-être encore, sans savoir s'ils sont morts ou vivants. C'est horrible.
- Ah, fait Jean se moquant tendrement, je ne suis pas le seul à me montrer sensible, alors...
Soudain, un bruit de pas puis de clé se fait entendre. Jean attrape le bras de Lisa et la tire promptement dans la petite salle par laquelle ils sont entrés tout à l'heure. Il y a repéré un vieux placard et les deux acolytes y pénètrent au moment même où la porte s'ouvre.
Serrés l'un contre l'autre, Jean et Lisa retiennent leur respiration, immobiles.
Deux voix masculines se font entendre :
- Tout devra être prêt pour la cérémonie de demain soir.
-Ca le sera, Fred. Ca va être un grand jour pour Bouvet. Quand on devient Méritant dans Caïn, plus rien n’est comme avant. Que la Loi Revienne, José, que la Loi Revienne.
-Amen, que la Loi Revienne, que la Loi Revienne... scande le premier homme.
La joue collée à celle de Lisa, Jean ose à peine respirer. Il entend les deux hommes prendre ce qu’il imagine être des outils, refermer rapidement la porte et les cadenas. Quittant leur cachette inconfortable, les deux jeunes gens s’approchent de la fenêtre et prudemment observent les Adorateurs repartir.
De soulagement, Jean prend Lisa dans ses bras, et lui souffle :
- Vite, partons maintenant.
Quelques minutes plus tard, Jean tourne la clé de contact, et dans un crissement de pneus, la voiture démarre.

Chapitre IX : Better by ou, better than me…

17 juillet
Il est tard déjà le lendemain quand Jean ouvre un œil. Comme toujours, il lui faut quelques instants pour dissiper la sensation de malaise qui s'empare de lui quand il se réveille ici. L'impression angoissante de renaître dans un lieu inconnu. Le contact rêche des vieux draps de lin brodés et les odeurs familières, ancrées dans ses souvenirs d'enfance, prennent aussitôt le pas sur la surprise. Il est ici chez lui, désormais. La maison est calme et cette ville lui plaît. Loin des embouteillages angevins. Il faut qu'il pense à appeler ses cousins pour leur annoncer qu'il a l'intention de conserver la maison de Montreuil !
Jean paresse au lit. Depuis que le facteur lui a apporté cette lettre, sa vie plutôt rangée de fonctionnaire des Archives a été quelque peu bouleversée. Il a besoin de s'interroger sur la suite à donner à toute cette aventure, sur la conduite la plus prudente à tenir s'il veut se montrer à la hauteur de la mission confiée par son grand-père. Depuis trois jours, au gré des rencontres et des rebondissements, il a juste subi les évènements. Excepté hier ... Prendre cette décision de se rendre au château de la secte était une pure folie, songe-t-il avec le recul. Mais bougrement instructif ... Il ne reconnaît pas, en cette attitude, celle du jeune homme calme et sage, féru de lectures historiques qu'il était encore la semaine dernière. A croire que l'action réveille en lui, l'héritage ancestral du sang bleu du Comte de Moret ! Les paroles lourdes de menace de son grand-père lui reviennent encore en mémoire : « Tu devras le garder secret, jusqu'à la fin de ta vie. Ta vie en dépend. La vie de beaucoup, sinon de tous également ».
Le meilleur moyen de ne pas s'exposer au péril de ces Adorateur de Caïn n'est-il pas une fois de plus de les devancer ? D'aller les chercher sur leur terrain pour jauger leur force et enfin apprendre ce qu'ils cherchent ? Il leur faut absolument découvrir avant ce soir le lieu de cette cérémonie...
Avant toute chose, se levant enfin, il décide de chercher une cachette provisoire plus sûre pour les précieuses enveloppes. Il se souvient du réduit sous l'escalier. L'endroit où, muet et triomphant, il avait souvent écouté ses cousins s'époumoner à hurler son prénom quand ils jouaient à cache-cache. La sombre retraite, déjà oppressante pour l'enfant claustrophobe qu'il était, est devenue presque inaccessible à sa carcasse d'adulte. Il rampe sous l'angle des premières marches, retrouve à tâtons la tommette descellée sous laquelle il planquait ses trésors enfantins. Il glisse dessous les précieux documents.
La sonnerie de son portable précipite Jean hors du cagibi. Il reconnaît le numéro de Lisa sur l'écran. Il s'apprêtait à l'appeler pour l'informer de sa décision et cette coïncidence le réjouit.
- Allo ? Jean ? Tu sais, j'ai réfléchi à cette histoire de cérémonie. Si seulement on pouvait savoir où elle va avoir lieu... Je connais bien la secte mais je ne suis pas assez initiée pour avoir accès à la sphère des Parfaits. Seuls les Elus assistent à ces séances, ça sera donc en dehors du château, je pense.
- Et tu n'as aucune idée du lieu ?
- Non, aucune... Mais je voudrais tout de même vérifier un truc. Tu as accès à internet ?
- Oui.
- Je peux passer chez toi ?
- Si tu veux, 586, avenue Paul Painlevé, à Montreuil. Je t'attends.
Quelques instants plus tard, Lisa entre dans le salon.
- Ben dis-donc ... Plutôt dépouillé ton intérieur ! s'étonne Lisa devant l'unique fauteuil au centre de la pièce vide.
- C'est pas chez moi. C'était la maison de mon grand-père... Qu'est ce que tu voulais vérifier ?
- Pardon... Voilà. Il y a deux détails qui m'ont semblé bizarres dans ce qu'on a entendu hier. Sur le moment, j'ai pas fait gaffe, mais en y repensant tout à l'heure ..
- Quoi ?
- Tu te souviens, cette histoire de Méritant dans Caïn ? Pour les Parfaits, il existe trois stades de progression dans la gnose. Sentinelle, Méritant et enfin Archonte qui correspond au stade de gourou dans toute secte classique....
-Bon, et alors ?
- Alors, je me souviens très bien qu'ils ont parlé à plusieurs reprises de Méritant dans Caïn ... C'est la première fois que j'entends cette formulation ! Tu as pu constater, avec mon premier rendez-vous, que j'aime les codages ? sourit Lisa. C'est pas anodin. Pour enquêter sur cette secte, j'ai dû me familiariser avec pas mal de méthodes de déchiffrement. Au fil des siècles, pour échapper aux persécutions, les Caïnites ont beaucoup joué avec les mots et les codes les plus variés. Je pense qu'il y a peut-être un lieu caché dans cet ajout inhabituel : « dans Caïn »...
- C'est plutôt mince comme piste...
- Je sais bien ! Mais une autre chose me chiffonne... Cette incantation plusieurs fois répétée : « Que la Loi revienne, que la Loi revienne... » Pareil ! Je sais qu'ils espèrent proches les temps où ils feront régner leur Loi sur le Monde, mais je n'avais jamais entendu cette phrase auparavant dans la bouche d'aucun adepte.
-Bon, Méritant dans Caïn, que la Loi revienne... Méritant dans Caïn, que la Loi revienne... Se met à psalmodier Jean qui arpente le salon, les yeux fermés et les paumes tournées vers le plafond.
- Arrête de déconner un peu ! s'offusque Lisa.
- Que la Loi-Re-Vienne...
- P... ! Ca y est, t'as une carte sur ton ordi ?? Vite !!
- Quoi... qu'est-ce que j'ai dit ? s'arrête Jean, interloqué.
- Mais oui... c'est évident.
Lisa se met à pianoter rapidement sur le clavier de l'ordinateur et affiche la carte I.G.N. du coin. Dire que sans tes conneries, je passais à côté !
- Tu peux m'expliquer ?
- Regarde ! Montre Lisa en suivant de deux doigts les deux lignes bleues... Là où elles se rejoignent, tu vois le nom du bled ?
Jean reste interdit, dépassé.
- Regaaarde ! C'est l'anagramme de Méritant dans Caïn !!
Jean écrit rapidement le nom du village sur un papier et barre une à une les lettres.
- Tu es très forte... Mais je ne suis pas vraiment convaincu que cette brillante démonstration nous conduise au lieu de cette cérémonie. A défaut de mieux, on va aller faire du tourisme. Le village est très joli, tu verras.
Le soir même, les deux jeunes gens sont assis sur un banc face à la sublime vue qui embrasse les deux lignes bleues de la carte. Ils ont arpenté le village, scruté chaque touriste, nombreux en cette période de vacances, pour tenter d'y reconnaître un des deux Adorateurs aperçus hier. En pure perte. Alors, en désespoir de cause, ils guettent les dernières lueurs du soleil sur le majestueux paysage. Jean se laisse gagner par la langueur sauvage du grand fleuve, et, grisé par le parfum de Lisa, il songe qu'il n'a jamais été aussi heureux que sur ce banc, à cet instant. Soudain, ils entendent le ronronnement poussif d'un véhicule qui peine à monter jusque-là.
- Vite ! Planquons nous ! chuchote Lisa qui file vers la sente pavée redescendant vers le village.
Tapis derrière une haie, au pied d'un mur, les deux complices voient parfaitement le halo des phares illuminer l'esplanade dégagée où ils étaient assis quelques instants auparavant. Une vieille camionnette s'immobilise sur l'herbe. Deux hommes descendent à l'avant. Ils portent de longues toges de toile brune nouées à la taille.
- Regarde, on dirait nos deux types d'hier, souffle Jean. C'est fou... Ils sont habillés comme le Christ !
Par la porte arrière du véhicule qu'ils ouvrent, descendent trois autres hommes. L'un est vêtu comme les deux premiers, le second porte une toge plus claire. Le dernier, habillé normalement, descend avec difficulté. Ses mains semblent entravées et sa démarche est mécanique et titubante, comme s'il avait été drogué. Les quatre le traînent et le portent pour l'aider à monter les marches. Il semble qu'ils ont choisi la table d'orientation pour autel de la cérémonie qui se prépare. Les trois hommes vêtus de sombre posent leurs mains sur la tête du quatrième. La distance empêche Lisa et Jean de saisir les phrases qu'ils prononcent. Le rythme des paroles fait penser à des incantations psalmodiées. Quelques bribes parviennent plus distinctement car scandées plus fort, mais dans une langue inconnue où Jean croit distinguer. « Caïn... l'Iscariote... ».
- Qu'est-ce qu'ils font et c'est quoi cette langue ? chuchote-t-il.
- Ça ressemble à de l'Hébreu ou de l'Araméen, la langue du Christ. Ce qu'ils font s'apparente fort au Consolament des Cathares, murmure Lisa. Le baptême des Eglises primitives. Sans onction, juste par imposition des mains. Regarde, ça y est, il va devenir Méritant !
Les trois hommes dénouent la toge de l'impétrant, le déshabillent entièrement et lui passent le vêtement sombre. Puis ils poussent la silhouette de l'homme entravé devant lui, l'obligeant à s'agenouiller à ses pieds. L'un des hommes se penche et pose un objet que Jean et Lisa ne peuvent identifier sur l'autel improvisé. Soudain, une musique totalement incongrue éclate à leurs oreilles. Un lecteur de CD...
« You could find a way to ease my passion, You listen to the blood flow in my veins, You hear the teaching of the wind, Tell her why I'm alive within, I can't find the words, My mind is dead, It's better by you better than me »
- Qu'est ce que c'est que ce truc ? pouffe Jean en se tournant vers Lisa.
Lisa reste bouche bée, pâle.
- Jean, j'ai peur....
- Quoi ? Pour un morceau de heavy métal ?
- Pas n'importe lequel, Jean ... « Better by you, better than me ».... Judas Priest !
- Et alors ?
- Et alors, attends, j'espère me tromper...
Un des hommes s'approche du lecteur de CD. La musique s'arrête... puis reprend, inaudible : une bouillie, comme si le morceau était joué à l'envers ! Lisa serre le bras de Jean qui se retient pour ne pas crier... Les ongles de Lisa s'enfoncent dans sa chair.
Et soudain, au milieu de la bouillie des paroles rembobinées : « DO IT.... DO IT... ». Les deux mains du nouveau Méritant se portent alors brusquement à la hauteur de la gorge de l'homme agenouillé qui se met à râler, le corps secoué de soubresauts avant de s'effondrer comme un pantin désarticulé. Un des hommes stoppe alors net la bande-son tandis que les trois autres chargent en quelques secondes le corps dans la camionnette qui s'éloigne tous feux éteints.
Jean est debout, les deux mains sur sa bouche, Lisa est blottie sur son épaule. Complètement anéantis par ce qui vient de se passer sous leurs yeux, ils attendent de longues minutes avant de quitter leur cachette. La nuit tombe, ils s'approchent de la tour ruinée. Lisa balaie du faisceau de sa lampe le sol de la plate-forme... Pas une trace.
- Regarde, souffle Jean. Il y a quelque chose sur la table d'orientation.
Lisa éclaire un carton qui n'était pas là quand ils sont arrivés tout à l'heure.
On y voit la photo d'une porte de temple égyptien, semble-t-il. La pochette d'un album vinyle de Judas Priest... Jean passe la main à l'intérieur, le disque à disparu. Un autre papier tombe, une carte d'identité ! Jean la ramasse, l'ouvre. Pousse un cri et tombe inanimé.

18 juillet
Jean reprend conscience. Il ouvre les yeux. Il est dans son lit. Assise à côté du lit, sur une chaise, Lisa qui l'a veillé toute la nuit.
- Ça va ? Excuse-moi, j'ai pris la liberté de te ramener chez toi... On dirait pas, mais tu pèses ton poids ! sourit l'athlétique jeune femme.
- Lisa ? La carte d'identité ? Tu l'as ramenée ?
- Oui, avec la pochette de disque... Un certain Baptiste Romet, j'ai vu, né à Angers le 15 juin 1987...
- Lisa ! C'est mon cousin... sanglote Jean.
- Merde... Je comprends mieux, maintenant. Attends, regarde... Il y a aussi un mot écrit au dos.
Jean s'empare avec émotion du papier d'identité sans oser affronter une nouvelle fois la photo de Baptiste. Il le retourne. Une seule phrase : « La prochaine fois, c'est toi. Donne-nous le Point d'entrée ».
Jean blêmit et se met à trembler. Il croise le regard de Lisa... Espère qu'elle rompra ce silence, saura trouver les mots pour dissiper ce cauchemar.
- Jean. Tu sais, pour ton cousin... Le type qu'on a vu, c'est peut-être pas lui. Ils ont aussi pu monter une mise en scène pour te faire peur.
- Ça fait deux fois en moins d'une semaine que ces malades me menacent directement. Ils n'ont aucune notion de morale, je crois, alors pour Baptiste, tu ne m'empêcheras pas de craindre le pire. Comment se seraient-ils procurés sa carte d’identité ? Je n'y comprends rien, Lisa ... C'est quoi, le Point d'entrée ?
- Je ne sais pas Jean... Enfin, j'ai peut-être une idée... Tu sais hier, quand j'ai eu ce terrible pressentiment au moment où ils ont mis « Better by you, better than me », c'est parce-que cette chanson a été soupçonnée d'avoir poussé au suicide deux jeunes gens au U.S.A. en 1985. On a accusé le groupe Judas Priest d'avoir glissé un message subliminal dans les paroles. Quand on écoute la bande à l'envers on entend « Do it »...
- Oui, j'ai entendu…
- Je crois que c'est un faux procès qu'on a fait à ce groupe qui a d'ailleurs été acquitté en 1990. Mais il y a leur nom. Judas Priest. Le Prêtre de Judas... J'ai regardé leur discographie sur internet pendant que tu dormais. Un de leurs albums se nomme « Point of Entry »,... le Point d'entrée ! Il y a beaucoup de références sataniques dans leurs paroles. Ça ne m'étonnerait pas que les membres de ce groupe soient adeptes de la secte. Cette porte, de la pochette, le Point d'entrée qui les intéresse tant... Tu n'as vraiment pas la moindre idée de ce qu'ils cherchent ? Mazet semblait intéressé par un secret de ton grand-père…
Jean est tiraillé entre deux sentiments. La loyauté à son grand-père qui lui a demandé de conserver le secret jusqu'à sa mort avant de le transmettre. Et la tentation de se confier à Lisa qui une fois déjà lui a sauvé la vie, de sortir de cet enfer, de sauver Baptiste qui est peut-être aux mains de ces fous... de se sauver lui aussi.
- Lisa, je ne peux rien te dire...
- Tu te souviens, des derniers mots de Mazet ? Quand il a parlé du message de la dalle de Blanchefort ? Le Psaume 40 (41) qui évoque Judas. Maintenant, cette pochette Judas Priest. Les bribes de mots captées hier soir : « l'Iscariote »... Il y a quelque chose dont je ne t'ai pas encore parlé à propos des Caïnites.
- Quoi donc ?
- Tu te rappelles, toute cette théorie qui t'a tant fait sourire de la création de l'Homme selon les gnostiques ?
- Vaguement...
- Je ne l'ai pas inventée. Si les Chrétiens se réfèrent aux Saintes Ecritures, Ancien et Nouveau Testament pour étayer leur foi, les gnostiques ont eu eux aussi leurs Ecritures. On parle d'Evangiles apocryphes. Il en existe une multitude. Dès l'Antiquité, ils ont été réfutés, niés, combattus et détruits par l'église qui mettait en avant les textes des quatre Evangélistes. Certains de ces textes ont été redécouverts récemment. A Al Mynia, dans le désert égyptien, on a mis au jour en 1978 un évangile de Judas. C'est le texte de référence de l'Eglise Caïnite. Il défend la thèse selon laquelle, Judas, en dénonçant Jésus, aurait été le seul de ses disciples à avoir vraiment compris le message qu’il voulait véhiculer. Disciple bien aimé de Jésus, il aurait eu la plus difficile des missions à accomplir: le livrer aux Romains. En agissant ainsi, il aurait donc suivi une demande de ce dernier, qui lui permit de faire le sacrifice ultime pour la rédemption du Monde.
- Du traître par excellence, on fait un héros en quelque sorte ?
- En quelque sorte, oui... Inutile de te dire que l'interprétation de ce manuscrit fait encore couler beaucoup d'encre. Tu vois, que Judas est un personnage capital pour cette secte... Je suis persuadée que ce secret qu'ils cherchent à un rapport avec lui. Ils semblent très déterminés à le découvrir... autant que toi à le cacher ».

Chapitre X : Le point d’entrée

Jean ignore où et comment Lisa et lui ont bien pu se faire repérer, mais il est certain désormais qu'ils ont été manipulés hier soir. Ainsi, songe-t-il, tout ce qu'on a cru découvrir sur cette secte depuis deux jours, c'est ce qu'ils ont bien voulu nous montrer... Depuis le début ils savent qu'on les surveille, et la mise en scène d'hier soir n'était qu'un machiavélique avertissement. Une nouvelle fois, Jean pèse intérieurement le pour et le contre. Il se demande comment, au cours des siècles passés, les précédents détenteurs du secret ont su affronter ces fanatiques. Il repense à son grand-père face à Mazet. Lui, au moins, était protégé par son silence.
Jean est partagé entre son devoir de silence, l'urgence qu'il pressent à faire quelque chose, et son aspiration à se confier à Lisa. Il aimerait tant ne pas être seul à porter ce lourd secret. Et pouvoir se confier à Lisa, devenue sa complice dans cette dramatique aventure...
Mais lui reviennent, incessantes, les paroles du grand-père : « Tu devras le garder secret, jusqu'à la fin de ta vie. Ta vie en dépend. La vie de beaucoup, sinon de tous également ».
Dans l'espoir de pouvoir encore préserver le secret, Jean choisit de poursuivre son enquête avec les éléments qu'il possède.
Cherchant à comprendre en quoi le secret pourrait avoir un lien avec Judas, il s'installe devant l'ordinateur, et se plonge dans les Evangiles canoniques, et celui de Judas, tout du moins ce qu'internet accepte d'en dire. Lisa, a ouvert la Bible, et recherche les passages évoquant Judas.
- «« Tu surpasseras tous les autres, car tu sacrifieras l'Homme qui me sert d'habit »»...
Avec une telle phrase, tout est justifiable.... dit, Jean songeur, parcourant l'Evangile de Judas.... Tuer, c'est libérer de l'enveloppe charnelle ! Et ceux qui tuent « surpassent » les autres, deviennent des êtres supérieurs...
- C'est sans doute pour cela que la cérémonie d'intronisation inclut un sacrifice humain, lâche Lisa, devenue blême.
- Judas devient le modèle par excellence : trahir, sacrifier, tuer, est la réalisation même du dessein divin.
- Et trahir, par un baiser, ajoute Lisa, pensive, plongée dans l'Evangile de Luc, « c'est par un baiser que tu livres le fils de l'Homme »...
- Il a pourtant mal fini ce Judas, s'étonne Jean, qui consulte à son tour les évangiles canoniques. Chez Mathieu, il se pend. Et dans les Actes des Apôtres, il tombe la tête en avant, se rompt par le milieu du corps et toutes ses entrailles se répandent... On peut rêver mieux comme fin, pour un initié chargé d'assurer la rédemption de l'Humanité...
-Sans pouvoir profiter de la rançon obtenue en livrant Jésus. Je me demande ce...
La sonnerie du portable de Jean stoppe leurs réflexions.
- Jean ? C'est Loïc. Nous sommes très inquiets, Baptiste a disparu depuis deux jours. Ça n'est pas dans son habitude de ne pas dire quand il part. Il ne t'a rien dit, à toi ?
-Non, rien ! répond le jeune homme, livide.
Les paroles de son cousin glacent le sang de Jean : cette nouvelle, est comme un électrochoc, la confirmation qu'il n'est pas en plein cauchemar mais que tout ceci est bien réel. Jamais il ne sera de taille à lutter contre cette organisation déterminée et manipulatrice. Seul, il ne pèse rien face à ces gens qui visiblement n'ignorent pas grand-chose de lui et semblent ne reculer devant rien. Il en a désormais la certitude.
- Lisa, je ne sais pas si j'ai les épaules pour supporter tout ça. Je suis fatigué, j'ai peur... J'ignore si Baptiste est mort, ni même s'il demeure la moindre chance de le sauver s'il est encore en vie. Dans ce cas, je crois que tu es la seule personne qui peut m'aider. Alors je vais te montrer quelque chose mais jure-moi de garder le secret sur ce que je vais te révéler.
- Je veux t'aider Jean. J'ai toutes les raisons de haïr ces salauds. Je te jure que je ne dirai rien.
Jean est frappé par l'expression du regard noir de Lisa. La froide détermination de la jeune femme le rassure. Que sait-il de cette fille ? Quasiment rien ! Et pourtant, en dépit du mystère qui l'entoure, le sentiment qu'il ne trouvera pas meilleure alliée s'impose à Jean comme une évidence. Jean quitte le salon quelques instants.
Quand il revient, il porte une grande enveloppe poussiéreuse. L'air grave, il vient s'asseoir face à Lisa. Moins de cinq minutes lui sont nécessaires pour tout résumer à sa complice.
- Voilà, Lisa, tu sais tout maintenant. S'il nous reste une petite longueur d'avance sur eux, elle est à l'intérieur de cette enveloppe...
Tout en disant cela, les larmes perlent dans les yeux de Jean. Le sentiment de trahison qui l'envahit, l'impression de violer un secret ancestral l'assaillent, et lui nouent la gorge. Lisa, ne sachant trop comment le réconforter, pose sa main sur le bras du jeune homme, et, son regard accroché aux prunelles noyées de Jean, attend, l'assurant de toute son écoute.
-Je vais l'ouvrir, Lisa... Je voulais que tu saches...
-Veux-tu que je te laisse, Jean ? Peut-être vaut-il mieux que tu la lises seul. On se retrouvera plus tard...
-Non, reste. Je veux que tu sois là... que tu saches, si jamais...
Lisa pleure à son tour, mais ne rajoute rien.
Jean, expirant longuement, soulève délicatement le papier fragile sur lequel est apposé le sceau. Glissant les doigts dans l'enveloppe, il en retire trois manuscrits, noircis sur les bords, qu'il déplie religieusement. Il s'en dégage une odeur caractéristique que Jean connaît bien, celle des livres anciens, des registres et documents des siècles passés qui lui sont familiers. Tremblant, il prend le temps d'observer ce qui y est inscrit.
Tout d'abord un parchemin écrit en latin que Jean identifie être du Quatorzième Siècle et traduit ainsi :
«« Toi, mon frère d'avenir,
Templier de demain,
quand des temps plus cléments
t'auront permis enfin
de les reconquérir...
il te faudra reprendre
ce qu'ils ont protégé :
Les deniers de la honte
que le traître, vivant,
a caché dans sa tombe...
N'auraient dû en sortir,
ils déchaînent le mal !
Attirent convoitise,
et justifient l'infâme...
Les avons réunis,
les avons protégés,
au risque de nos vies,
les avons mis sous terre...
Malheur à ceux qui osent
les tenir en leurs mains...
»»
Jean et Lisa, ravagés par l'émotion avant la lecture de la lettre, se sentent revigorés par ce document rempli de mystère, saisis par le désir d'y trouver sens...
-Je me demande si.... débute Lisa.
-Le traître, n'est-ce pas ?... Le texte parle de Judas ! C'est évident... tout se recoupe : les allusions de Mazet, l'incantation à l'Iscariote, Judas Priest... et maintenant le traître... mais alors.... ajoute Jean, ébahi, ce trésor, ce ne sont pas...
-Les deniers de Judas !
-Mais il les a rendus !
-C'est ce que disent les Evangiles ! Et là encore, ils ne sont pas d'accord... Pour Mathieu, Judas rend les pièces aux grands prêtres, mais pour les Actes des Apôtres, Judas s'en sert pour acheter un champ...
-Se pourrait-il que...? »
Jean est exalté par cette découverte, et relisant le document:
- Ce document nous révèle l’existence des 30 deniers de Judas... Mais pas comment les trouver...
-Oui, répond Lisa tu as raison...
-Ce document n'est pas de mon aïeul Jean-Baptiste.... il est antérieur à lui. Il a été écrit par les Templiers !!!! Je ne sais comment il est entré en sa possession, mais je sais désormais ce qui a motivé son retrait du monde.
- Regardons maintenant le second manuscrit ! Celui-ci est beaucoup plus récent, il est rédigé en français et il est signé Jean Baptiste !
-Extraordinaire ... Que dit-il ?
- Là, tu peux lire toi-même, nul besoin d'être spécialiste !
En effet, Lisa déchiffre parfaitement la belle écriture sur papier chiffon.
«« Mon fils, au soir de ma vie, je me tourne vers toi.
Tant de mensonges et de turpitudes m'ont poussé à mener l'existence qui fut mienne.
Tu as vécu sans moi, auprès de la seule femme que j'ai jamais aimée. Ta mère est toujours restée dans mon cœur, et y demeure encore aujourd'hui. Je n'aspire désormais plus qu'à la retrouver, et enfin m'endormir près d'elle dans la mort qui s'approche. J'ai cherché à vous préserver, du mieux que je le pouvais, en vous tenant à l'écart du secret des Templiers. Car ce secret a bouleversé ma vie.
Ce que j'ai découvert, d'autres que moi le découvriront aussi et pourront en faire mauvais usage. Pour la grandeur de notre Seigneur et dans l'intérêt supérieur de notre Sainte Eglise je l'ai donc déplacé et scellé à jamais dans une retraite sûre.
Je te confie désormais ce secret. Tu devras en conserver la clé : « la lumière jaillira des trois chefs, entre les deux signes quand tu les superposeras ».
Mon fils, le sang royal coule en nos veines. Il est noble.
Mais c'est notre cœur qui doit l'être, pour demeurer toujours à la hauteur de la mission qui est désormais celle de notre famille.
Tu deviens gardien du secret, et ta descendance après toi. Qu'il se transmette, de père en fils, sans qu'aucun mot ne le trahisse, sans qu'aucune indiscrétion ne le salisse.
Sois fort mon fils. Heureux si tu le peux. Mais droit, toujours.
Jean-Baptiste
»».
- Incroyable... Mazet avait raison, Jean-Baptiste a bien percé le secret des Templiers. Et si la cache où il m'a conduit est vide c'est parce qu'il a déplacé le trésor !
- Tout ça ne nous dit pas où est la nouvelle cache, fait remarquer Lisa contrariée. «« La lumière jaillira des trois chefs, entre les deux signes quand tu les superposeras »». Tu y comprends quelque chose, toi ?
- Pas pour l'instant, mais voyons le dernier document.
Jean se penche alors sur la pièce la plus ancienne des trois.
-Là, c'est un parchemin qui doit remonter au tout début du Onzième Siècle, s'exclame-t-il... c'est fabuleux !.
Il lui suffit de quelques minutes pour retranscrire sur une feuille blanche les quelques mots latins qui le composent : «« Audivimus enim quoniam circa sexum femneum, quem reedum copisti, duobus modis altero alteri prorsus ontraro te ita sollicitum reddi, quod modo in utroque modum discretionis penitus excedis. Feminarum qusdam, ut dicitur, nimis familariter tecum habitare permittis, quibus privata verba saepius loqueris et cum ipsis etiam et inter ipsas noctu fréquenter cubare non erubescis. Reddis regis cellis arcis »».
- Qu'est-ce que ça signifie, Jean ?
- J'ai un petit souci avec quelques mots, regarde, le parchemin a été gratté à plusieurs endroits et des lettres ont été effacées. Et à la fin, les quatre derniers mots semblent avoir été rajoutés de la main de Jean-Baptiste, l'encre et l'écriture sont différentes.
- Tu ne peux donc pas traduire ?
- Si, car il manque très peu de lettres ; ça donne à peu près ça : «« Nous avons appris en effet que tu te comportes à l'égard du sexe féminin que tu as entrepris de diriger de deux manières tout à fait opposées l'une à l'autre, au point que tu excèdes totalement la règle de la mesure dans les deux cas. A certaines des femmes tu permets, dit-on, d'habiter trop familièrement avec toi, tu leur parles très souvent en privé et tu ne rougis même pas de coucher fréquemment la nuit avec elles et au milieu d'elles »».
- Lisa, c'est incroyable...
- Quoi ?
-Je connais ce texte ! C'est un document très célèbre, la fameuse Lettre volée, le Manuscrit 193 de la Bibliothèque municipale de Vendôme. Ce que nous avons entre les mains, c'est le morceau dérobé au dix-septième siècle sur les ordres de l'Abbesse de Fontevraud, la demi-sœur de Jean-Baptiste.
Un document compromettant qui parle du commerce pour le moins réprouvable entretenu par Robert d'Arbrissel (le fondateur de l'abbaye de Fontevraud ) avec certaines femmes de sa communauté. Comme ça faisait un peu désordre dans sa biographie pour le faire béatifier, l'Abbesse a cru bon de camoufler cette tache. Ce qu'elle ignorait, c'est que les moines chargés de faire disparaître le manuscrit n'en découperaient que la moitié, et qu'il existait en plusieurs endroits des copies de l'original. Ce qui fait que ce pauvre Robert ne fut jamais sanctifié. Visiblement, les mots rajoutés, « Reddis, Regis Cellis Arcis », désignent la cache d'origine où m'a conduit Mazet.
- Sûrement ! Mais tu parles de plusieurs copies ; ça signifie qu'on peut trouver le manuscrit original où figureraient les lettres qui ont été grattées ?
- Bien sûr, je l'ai déjà consulté sur internet. Où veux-tu en venir ?
- Réfléchis, Jean ! Jean-Baptiste vit en ermite. Pour lui, le parchemin est rare. On peut imaginer qu'il hérite de ce document par sa sœur, l'Abbesse, qui le charge d'éliminer le texte en le ponçant pour pouvoir réutiliser la peau. S'il n'a gratté que quelques lettres, qui n'altèrent en rien la lecture de ce manuscrit si compromettant, c'est que ces lettres dissimulent un secret !! La cache de son trésor, probablement…
Lisa obtient en quelques secondes sur internet le texte latin original et complet qu'elle imprime de suite. Surlignant méthodiquement les manques qu'elle relève, elle désigne à Jean les neuf lettres grattées.
- Regarde, si on sépare en deux mots, on doit avoir la commune, à la fin…
Jean déplie à nouveau la carte I.G.N. et retrouve très vite le lieu-dit.
- Tu as vu ? Il y a une cave au milieu du bois ! Je suis sûr que c'est là que nous trouverons les signes !
Une demi-heure plus tard, Jean et Lisa arrivent sur les lieux. Empruntant le chemin, ils espèrent trouver rapidement la cave.
- Elle ne paraît pas être loin, affirme Lisa scrutant la carte. On devrait l'apercevoir bientôt, sur la droite.
Deux minutes plus tard, les deux complices pénètrent dans une cave de tuffeau. La fraîcheur et l'obscurité du lieu n'apaisent en rien le bouillonnement de leurs sangs.
- Ce lieu est fréquenté... il sert de garage à de vieilles carcasses de voiture... Regarde, Lisa, à gauche : une croix est gravée ! S'enthousiasme Jean.
- Tu ferais mieux de regarder de ce côté Jean…
Se retournant, le jeune homme découvre, estomaqué, un carré gravé sur les parois de tuffeau.
- Lisa.... voici la clé....
- ...Bon sang, le Point d'entrée…, poursuit Lisa, émue.
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Kronos
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par Kronos »

Suite et... enfin... FIN 8-)

Chapitre XI : Le baiser de Lisa

- Voilà où Jean-Baptiste voulait t’amener… Un autre carré… Il ne ressemble pas à celui de l’autre cave.
- Non, mais il est de proportions équivalentes. A-t-il le même nombre de cases ?
- Je dirais que oui, mais je t’avoue que je ne suis plus très sûre… j’ai des circonstances atténuantes : je venais quand même de tuer un homme, répond Lisa.
- Je prends en photo celui-ci. Mais il faut que nous retournions à la première cave pour l’autre carré !...
Cette idée ne ravit pas Jean... Retourner à cet endroit où la mort l'a frôlé de si près, à côté du souterrain de l'oubli où se décompose le corps de Mazet !
- Le meurtrier retourne toujours sur les lieux du crime, tente-t-il de plaisanter.
- L’idée ne me plait guère non plus, mais c’est le seul moyen ! lance Lisa, décidée.
Il est vingt-et-une heures quand ils regagnent l’avenue Paul Painlevé. Attablés devant l’ordinateur, Lisa et Jean chargent les photos sur l’ordinateur.
- Que disait Mazet de ce carré ? s'enquiert la jeune femme.
- Que ces signes renvoient au code des Templiers, et que le carré représente un dessin antique, et connu.
- C’est illisible !
- Essayons de travailler la photo… peut-être qu’en accentuant les contrastes…
Suspendus à l’écran du portable, Jean et Lisa modifient la photo, jouant sur la luminosité, les contrastes…
- Regarde, Jean, c’est beaucoup mieux comme cela !
- On va faire avec, oui… ouvre la page du code !
En quelques minutes, les signes mystérieux prennent chacun à leur tour une signification limpide. Les plus illisibles, par déduction, également.
- Mais bien sûr, c’est évident ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ?! Vite, Lisa, affiche l’autre carré !
«« la lumière jaillira des trois chefs, entre les deux signes quand tu les superposeras »».
Comprenant ce qu’ils avaient à faire, les deux acolytes découvrent peu à peu les lettres à retenir.
Voyant apparaître le nom du site à trouver, ils restent perplexes...
- Il y en a pas loin d'ici...
- Et à Gennes aussi...C'est quand même amusant, ajoute-t-elle avec un sourire, Jean-Baptiste a d'une certaine façon rendu le trésor à l'Aude ! Regarde, si tu le lis en deux mots !
«« La lumière jaillira des trois chefs, entre les deux signes quand tu les superposeras »». C’est « entre », Lisa… ça ne peut être Gennes !
- Allons-y ! Jean, s’écrie Lisa exaltée.
- Non… il est très tard. Nous irons demain matin. Nous ne verrons rien à cette heure, et en pleine ville, nous nous ferions remarquer avec des torches… Reste, Lisa… Je t’invite à manger, j’ai un plat de lasagnes ! C’est un peu le camping ici, mais on va se débrouiller.
- Volontiers, je meurs de faim, fait-elle, réprimant son impatience.
- Je vais te laisser mon lit, tu vas rester ici pour qu’on parte aux aurores demain matin. Moi, je prendrai le lit de camp qui est dans le grenier.
Lisa, perdue dans ses pensées, demande soudain :
- Jean, que vas-tu faire quand tu auras trouvé les deniers ?
- Je ne les ai pas encore… Et je t’avoue que je n’en sais vraiment rien. Je ne cherche qu’à tenter de maîtriser un peu le cours des évènements, avoir une coudée d’avance sur ces fous. Je retourne cette question dans ma tête. Je me demande ce que mon grand-père aurait fait à ma place, lui qui a montré tant de courage à certaines heures de sa vie. Tu sais, Montreuil-Bellay a été le théâtre honteux des affres de l’Histoire, durant la seconde guerre. On y a ouvert un camp de concentration pour les Tsiganes. Mon grand-père, que l’injustice révoltait, a beaucoup œuvré durant ces années, partageant la vie des internés, dans l’un des baraquements, et luttant pour qu’aucun ne soit envoyé en Allemagne. J’ai toujours été très fier de lui… Que ferait-il lui, maintenant dans ma situation ? Ce secret qui m’est confié, je veux pouvoir en être digne. Je crois qu’il faudrait que je parvienne à mettre ces deniers à nouveau à l’abri, comme l’a fait Jean-Baptiste, en son temps. Et puis je voudrais sauver ma peau, et celle des gens que j’aime…
Le visage de Jean s’assombrit, au moment même où il revient à penser à Baptiste, son cousin. Se peut-il qu’il ait été sauvagement exécuté ? Jean n’arrive pas à le croire, et c’est avec effroi et horreur que cette pensée l’assaille à chaque fois. Il poursuit :
- Tu sais, je suis un passionné d’Histoire… Ces deniers, c’est incroyable qu’ils existent encore, c’est un trésor inestimable… Et malgré tout, je ne peux m’empêcher de penser que s’ils n’existaient plus… ce déchaînement de folie et de violence n’aurait pas lieu.
S’ils doivent à jamais déclencher la folie et le fanatisme des hommes, il vaudrait mieux les disperser définitivement… Mais pas sûr que mon aïeul Jean-Baptiste soit bien d’accord avec cela...
Et toi, Lisa, que comptes-tu faire, si nous y survivons ? Je ne sais rien de toi, ou si peu… Vas-tu toujours épier cette secte, et protéger ceux qu’elle traque ? demande Jean, d’un air tendre et moqueur.
- Je vis au jour le jour, Jean… Ils ont pris mon passé. Je cours après, en vain, et je n’ai pas d’avenir. Je n’ai de vie qu’au présent… Je ne sais où je vais. J’ai juste cette haine, là, au fond de mon cœur, qui prend toute la place, et un grand vide dans mes racines…
- Tu ne crois pas qu’il pourrait y avoir place pour autre chose dans ton cœur ? lui dit-il en lui prenant la main. Ne les laisse pas te détruire aussi…
Mais Lisa ne répond rien. Elle cherche à sourire à Jean, mais les larmes qu’elle tente de camoufler déforment son beau visage.
- Dormons, Jean, parvient-elle à souffler. Demain, nous aurons besoin d’être en forme.

19 juillet
Aux aurores, Jean et Lisa sont devant les grilles. Le lieu est bien entretenu, et la fraîcheur du matin se lit dans l’humidité des fleurs et plantes savamment agencées. A travers les grilles, on aperçoit très bien les gradins, tournés vers la scène qui accueille aujourd’hui spectacles, concerts et autres manifestations.
- C’est un lieu complètement clos, et très souvent visité. Pourquoi Jean-Baptiste nous mène-t-il ici ?
- Faisons le tour. Peut-être trouverons-nous une entrée vers une cave.
Longeant les murs du parc, empruntant toutes les ruelles l’encerclant, Jean et Lisa scrutent le site, certains pourtant d’être arrivés au bon endroit. Mais le tour fini, force est de constater qu’aucune entrée accessible ne s’est présentée.
- Il y a des caves à l’intérieur. Peut-être faut-il aller dans l’une d’elles ?
- Je n’imagine pas cela possible ! Il y a tant de manifestations organisées sur le site ! Il y a des dizaines de milliers de visiteurs chaque année !
- Mais à l’époque de Jean-Baptiste, il n'existait rien de tout ça et ce site était hors des murs de la ville ! remarque Lisa. Attendons l’ouverture, et allons visiter.
En fin de matinée, les deux acolytes ressortent, déconfits. Rien ne leur a permis d’imaginer que l’une des galeries pouvait contenir le mystérieux trésor, malgré l’inspection minutieuse de chacune. Aucune trace des trois chefs.
- Tout de même, plus j’y pense moins je crois que Jean-Baptiste aurait recaché les deniers en pleine ville ! C’est insensé… constate Jean.
- Le sous-sol de cette ville est un vrai gruyère, des centaines de galeries la parcourent, sous les maisons… Va savoir si l’une des caves ne communiquait pas avec une autre allant à la cachette… continue la jeune femme, persévérante.
- Si c’est cela, j’ai bien peur que nos deniers aient disparu depuis longtemps, conclut Jean, dépité.
Je préfère m’accrocher à l’idée que nous nous sommes trompés dans le décodage des carrés, et qu’il nous reste encore une chance de retrouver la trace des Deniers. Retournons à la maison, et reprenons cela depuis le début.
Un peu découragés, Jean et Lisa reprennent la voiture, et s’éloignent de la ville.
- Jean, au-dessus du premier carré, celui codé par les Templiers, il y avait une inscription.
- Oui, un 5. Comme cinq lignes, ou cinq rangées…
- Et si c’était un élément important pour le décryptage des grilles ?
- Je veux bien, mais que signifie-t-il ? Si on l'ajoute aux lettres trouvées, ça ne m’évoque absolument rien.
- Ça, c’est si le 5 n’est pas codé, puisqu’il apparaît tel quel sur la roche. Mais peut-être est-ce autre chose… Le document écrit par eux, et transmis par Jean-Baptiste, est bien écrit en latin ?
- Oui, acquiesce Jean.
- Le latin, est bien la langue des Romains ?
- Oui, dit Jean. Tu es très forte, Lisa !
- Ne plaisante pas ! Et 5, tu l'écris comment en chiffres romains ?
Après un temps d’arrêt, Jean s’esclame :
- Bon sang, tu es géniale, Lisa ! Ca nous donne une lettre de plus, ça ! Quels mots pouvons-nous trouver avec cela ?
Les deux complices ajoutent donc cette lettre initiale au nom du site qu'ils viennent de visiter puis sollicitent le moteur de recherche de Géo-portail.
La réponse ne tarde pas à apparaître. Beaucoup de lieux-dits portant un nom très proche leur sont suggérés. Mais l'un d'eux retient particulièrement leur attention, car dans la même commune que ce site précédent.
- L'orthographe varie d'une lettre avec l'écriture actuelle mais c'est plausible, dit Jean, l'écriture des noms propres n'était pas fixée à l'époque.
- Vérifions sur la carte ce qu'il y a à cet endroit... Bingo ! Regarde, là, il y a un rond noir : l’entrée d’une cave !
Effectivement, non loin du lieu visité le matin, se trouve le fameux lieu-dit, avec deux ronds noirs : l’un proche de la route, l’autre, plus éloigné. Un peu à l’écart de l’agglomération.
Jean et Lisa ne se sont jamais sentis aussi près du but. Les palpitations de leurs cœurs leur paraissent presque audibles, tant elles résonnent dans leurs tympans, et font trembler leurs membres.
- Jean, je ne suis pas rentrée chez moi depuis deux jours. Il faut que j’aille récupérer quelques affaires, et puis je ramènerai avec moi des torches, et mon détecteur de métaux, j’ai aussi quelques cordes de rappel : je les prendrai avec moi. Peut-être en aurons-nous besoin. On se retrouve demain matin pour aller explorer la cave ?
Jean, bien qu’un peu surpris, n’est pas contre attendre le lendemain pour savoir si oui ou non ils vont mettre la main sur le trésor. Peut-être leur faudra-t-il du temps, sur place, pour trouver la cache, et il est déjà 17 heures. Il éprouve le besoin de se recueillir, taraudé par cette question de Lisa : « Que vas-tu faire de ces Deniers ». C’est peut-être dans ce lieu cher à Jean-Baptiste, au prieuré, qu’il trouvera le plus de paix pour réfléchir, et tenter de prendre suffisamment de recul dans ces jours si tourmentés.
- A demain, Lisa. Fais attention à toi. J’ai besoin de toi, maintenant... avoue-t-il.
- A demain, Jean. Toi aussi, fais attention !

Chapitre XII : Les trois chefs
20 juillet

Au réveil, Jean réalise qu'une semaine s'est écoulée, déjà, depuis la réception de cette fameuse lettre. La semaine la plus riche en émotions de toute son existence. Il est assailli, dès le saut du lit, par un flot de pensées contradictoires. De l'exaltation, bien sûr car ce soir, il l'espère, ils auront repris la main avec cette fabuleuse découverte... De l'angoisse, aussi. Les deniers en sa possession, Jean songe qu'il ne sera pas pour autant en position de force pour négocier avec les Adorateurs de Caïn. Depuis le Dix-septième Siècle, sa famille veille sur eux mais si la vie de Baptiste dépend de ce trésor, Jean craint, la mort dans l'âme, d'être le premier de la lignée a faillir dans sa mission. Que valent, en effet, ces quelques pièces au regard de la vie de son cousin ? L'appréhension aussi d'affronter une nouvelle fois l'univers souterrain qui le terrorise tant. Beaucoup d'interrogations enfin. De quel pouvoir mystérieux sont donc chargées ces trente monnaies pour que son grand-père l'ait prévenu qu'elles pourraient menacer la vie de tous ? Pourquoi autant de meurtres pour leur possession ? Et la jolie et secrète Lisa ? Le dénouement qu'il sent tout proche et la perspective qu'elle pourrait, dès ce soir, s'évanouir aussi mystérieusement qu'elle est arrivée le laissent un peu mélancolique. Il constate qu'il ne connaît d'elle qu'un nom et un numéro de portable, sans même savoir où elle habite.
A cet instant, son téléphone se met à vibrer dans sa poche :
- Jean, t'es prêt ? On se retrouve sur place ?
- Ok, Lisa, laisse-moi une demi-heure pour déjeuner et te rejoindre là-bas, j'arrive...
- J'ai les lampes mais prévois la tenue de circonstance ! Il peut faire frais sous terre, même en plein mois de juillet.
Jean se surprend : il a trouvé presque sans hésitation le chemin qui mène à cette zone agricole péri-urbaine. La voiture de Lisa, déjà garée sur le bas côté, lui confirme qu'il est au bon endroit. Elle l'attend, gros sac à dos sur l'épaule. Jean remarque aussitôt le changement dans le regard de Lisa, l'absence fugace de cette petite lumière pétillante qui accompagne d'habitude leurs expéditions.
- Ça va, Lisa ? Pas le moment d'avoir un coup d'mou ! C'est le grand jour ! A nous deux Judas ! tente de la dérider Jean.
- Ça va... Je laisse le gros matériel dans la voiture et on remontera le chercher si besoin était.
Lisa recompose un timide sourire et retrouve aussitôt dans l'action le dynamisme qui, dès leur première rencontre, a impressionné son complice. Elle désigne du doigt un chemin dans la végétation, qui descend en pente douce depuis la route vers une haute ouverture sombre.
- C'est là...
- Tu y es déjà entrée ?
- Je me suis juste approchée pour voir, je voulais t'attendre pour entrer.
- Tu crois que ça pourrait être le bon endroit ?
- Aucune idée, mais c'est possible Jean. Le site présente des traces d'activités récentes, mais il pourrait bien être contemporain de Jean-Baptiste.
Lisa sort deux torches puissantes de son sac et en donne une à Jean.
- J'ai prévu des piles et ampoules de rechange. Ces réseaux souterrains peuvent être très étendus, souffle Lisa. Y a plus qu'à vérifier si « les trois chefs » dont on n'a pas vu la trace hier sont ici...
- Oui, j'ai recherché hier, après ton départ, ce que pouvaient être ces trois chefs. J'ai trouvé que le nombre trois était essentiel dans l'Ordre du Temple ! Trois jeûnes annuels, trois vœux d'entrée, trois baisers initiatiques etc... et, surtout, trois hauts dignitaires de l'Ordre ayant préséance sur tous les Templiers : le Maître, le Sénéchal et le Maréchal. Ce pourraient être nos trois chefs ?
- Pourquoi pas ? Il y a probablement une symbolique dans cette formulation, et qu'elle soit liée aux Templiers qui ont toujours protégé le trésor serait logique. Bon, on entre ?
- Allons-y, je préfère rester derrière toi si tu n'y vois pas d'objection ?
- Qui a parlé de coup d'mou ? sourit à son tour Lisa...
- Pas moi ! Je ne sortirai pas de cette galerie sans les deniers de Tibère, fanfaronne Jean.
Lisa en tête, ils pénètrent prudemment sous la majestueuse voûte aux courbes féminines. Jean oublie aussitôt toutes ses réticences... La lumière du jour s'accroche encore ici sur les stries du falun. Le jeu des ombres sur les rondeurs de la roche et le silence religieux le saisissent d'émotion. Figé, il frissonne. La fraîcheur et l'idée qu'il pose peut-être encore une fois ses pas dans ceux de son aïeul. Qu'il touche du doigt, le Saint des Saints, ou plutôt le trésor maudit...
- Waooww... Fabuleux ! Comme c'est beau... On dirait une véritable cathédrale souterraine…
Lisa ne lui répond pas, occupée qu'elle est à inspecter nerveusement mais méthodiquement chaque paroi qu'elle balaie de sa torche, insensible, dirait-on, à la majesté des lieux.
Jean entreprend alors de la seconder dans cette tâche qui promet d'être longue... Au plus loin que portent leurs deux lampes, ce n'est qu'une enfilade de salles immenses qui semble se perdre dans l'obscurité. Et cet agencement se reproduit probablement sur les autres travées parallèles qu'ils ont aperçues en entrant... Chaque nouvelle salle est rigoureusement inspectée par les faisceaux de lumière sans qu'aucun signe des trois chefs ne se dessine.
Jean a sorti un papier de sa poche et il commence à tracer un plan du complexe réseau souterrain où il coche les cavités explorées. Et soudain, il s'immobilise à l'entrée d'une nouvelle salle et pousse un grand cri :
- Lisa ! Là, regarde...un... deux et le troisième de l'autre côté. « Les trois chefs ».... Le Maître sans doute, qui est tout seul et les numéros Deux et Trois de l'Ordre, le Sénéchal et le Maréchal qui sont en face…
- Tu as peut-être raison, Jean... souffle Lisa, qui curieusement ne semble toujours pas partager l'exaltation de son compagnon qui s'agite dans tous les sens, posant les questions auxquelles il répond lui-même.
- Bon... Reste à trouver où Jean-Baptiste a bien pu enfouir les pièces ... Ça ne doit pas être très volumineux, trente deniers ? Ça tient dans une toute petite boîte. Tu as dis que tu amenais un détecteur de métaux ? On remonte le chercher ? Non ! Attends... regarde, là ! ».
Jean désigne soudain du doigt le sol à l'aplomb de la tête du « Maître ». Le falun semble y avoir été remué récemment. Une zone meuble et plus claire que le reste de la salle. Il pose sa torche et se jette à genou, entreprenant de creuser frénétiquement à mains nues la poussière blanche. Presque aussitôt, il pousse un hurlement de joie :
- Yes, Lisa ! Je sens quelque chose... Eclaire-moi ! ».
Le halo de la torche de Lisa se pose sur les contours, d'une boîte de bois aux ferronneries anciennes.
- Une cassette, Lisa... on le tient !
Jean tremble de tous ses membres. Terrassé à l'idée de tenir entre ses mains le précieux trésor ici déposé par son aïeul, il n'ose ouvrir la boîte qu'aucune serrure, aucun cadenas ne scelle.... « Ta vie en dépend. La vie de beaucoup, sinon de tous également ». Les deniers de Judas...
- Eh bien, Jean, tu n'ouvres pas ?
Jean lève les yeux sur Lisa qui affiche maintenant la froide et rassurante détermination qu'il lui connaît habituellement. Il pose la boîte, s'agenouille et soulève doucement à deux mains le couvercle qui n'oppose aucune résistance à l'ouverture. La torche de Lisa éclaire nettement l'intérieur... Vide !
Jean se relève, interdit et recule de quelques pas.

Chapitre XIII : La malédiction des trente deniers

- Jean... C'est moi qui ai les deniers.
Jean, abasourdi, tourne la tête vers Lisa qui le menace désormais de son révolver. Sa main tremble légèrement et l'expression d'une profonde douleur bouleverse son visage.
- Toi ! Lis ... Mais quand ? Pourquoi ?
- Hier soir, quand je t'ai quitté, je suis venue directement ici et je les ai trouvés avec mon détecteur.
- Pourquoi, Lisa, pourquoi ? J'avais confiance en toi ! hurle Jean.
- Il me les faut...
- Lisa, si Baptiste est en vie, moi aussi, il me les faut ! On peut encore le sauver ...
La jeune femme éclate alors d'un petit rire nerveux.
- Tu n'as plus aucune chance de le sauver, ton cousin... Il est mort. On ne peut pas leur échapper !
- Pourquoi tu dis ça.... sanglote Jean. Comment peux-tu en être sûre ?
- Je le sais, Jean, je travaille pour eux... Ma mission était de récupérer ces deniers. Tu te demandais depuis le début comment ils pouvaient nous suivre à la trace ? C'était grâce à moi, Jean...
Jean vacille. Il éprouve le besoin de s'asseoir. Est-ce la nouvelle de la mort de Baptiste, son échec à conserver le secret, la trahison de Lisa ? Tout cela sans doute conjugué à sa phobie du monde souterrain. Lisa s'accroupit à quelques pas.
- Jean, il faut que je t'explique. Je t'ai déjà dit que je ne savais pas grand chose de mon histoire familiale, que mes parents sont morts quand j'étais très jeune. A leur disparition, j'ai été recueillie et élevée au sein de cette secte. J'ai grandi dans ce château où je t'ai conduit il y a quelques jours.
- Tu es une adoratrice de Caïn ! Toi... Lisa ... Murmure Jean, hébété.
- Non, Jean. Je ne suis plus une Adoratrice. Je travaille pour eux mais je les hais ! Mes parents m'ont été enlevés à cause d'eux. Ils les ont congelés !
Les yeux de Lisa s'inondent de larmes et elle abaisse un instant l'arme qu'elle pointait en direction de Jean.
- Alors pourquoi, Lisa, pourquoi leur offrir ces deniers si tu les détestes tant ? Je ne comprends pas...
Jean tente un mouvement pour se rapprocher de Lisa qui recule et se ressaisit en braquant de nouveau le canon du révolver vers Jean.
- Je n'ai pas le choix, Jean. J'ai rencontré un garçon dans ce château, quand j'étais adolescente. Il s'appelait Ernst. Nous sommes tombés amoureux. Bien vite, nous n'avons plus supporté le carcan étouffant du château et nous nous sommes enfuis. En Belgique. On a changé d'identité, vécu dans des squats, fréquenté les milieux artistiques de Bruxelles. Ernst s'est lancé dans le dessin, la BD. Il est vite devenu célèbre sous le pseudo de René Sterne. Nous étions heureux, Jean ... Nous sommes partis nous installer aux îles Grenadines. J'avais presque oublié ces fous mais il restait mes parents...
- Et c'est pour eux que tu es revenue ?
- Non, il y a eu cette bêtise. René a accepté de travailler sur le dernier « Blake et Mortimer » avec Jean Van Hamme : La malédictions des trente deniers. Je lui avais conseillé de refuser, j'avais un pressentiment. Mais ce thème l'attirait et Blake et Mortimer, ça ne se refuse pas ! Il a laissé libre cours à sa haine des Caïnites dans le scénario auquel il collaborait. Il a été très imprudent. Sur une BD en préparation, certaines planches sortent en avant première. Les Caïnites ont lu cette histoire qui évoque les deniers de Judas, leur pouvoir s'ils venaient à tomber aux mains d'un fou. Ils nous ont facilement retrouvés. Et ils ont assassiné René pour faire cesser ses révélations... Ma vie a basculé une seconde fois.
- Ils t'ont obligée à rentrer en France ?
- Non... C'est beaucoup plus insidieux. Ils m'ont parlé du pouvoir de ces deniers. De leur malédiction. M'ont convaincue que c'était cette malédiction qui avait causé la disparition de René qui est mort en dessinant la planche 30 (comme 30 deniers... ). Et ils ont repris le contrôle de ma vie, Jean... L'Archonte en personne est venu me rendre visite. Il m'a raconté les circonstances de la disparition de mes parents, et m'a demandé de les aider à récupérer les deniers, il m'a dit que moi seule pouvait le faire. Il m'a affirmé que ces pièces auraient un immense pouvoir bénéfique entre ses mains. Un pouvoir qui changerait ma vie. Qu'il aurait ensuite une mission pour moi à mon retour au château mais qu'avant, je devais terminer le travail de René.
- Et tu l'as fait ?
- Oui, sous mon vrai nom : Chantal de Spiegeleer (qui est l'anagramme d'Anna-Lisa Teredelpech). La BD est sortie l'année dernière et connaît un grand succès... Je devais, si j'acceptais la mission, y glisser un message dans le texte.
- Un message ?
- Oui, le signe que je rentrais dans le rang et que j'étais prête à travailler pour lui. Je devais lui livrer le département et la commune où je dissimulerais les deniers quand je les aurais récupérés.
- Et tu as accepté...?
- Oui, Jean. A la page 49, j'ai livré le nom de l'île où Judas finit ses jours et dissimule les deniers. Un nom en huit lettres que j'ai soigneusement choisies : elles figurent toutes dans le nom d'une seule commune du Maine et Loire.
- C'est grand, une commune...
- Oui, mais j'ai accompagné mon envoi d'auteur à l'Archonte d'une dédicace suffisamment explicite pour qu'il retrouve aisément le lieu exact.
- Tu vas donc livrer les deniers de Judas à ces fous ?
- Oui, il le faut. J'ai accepté la mission. A mon retour en France, ils m'ont expliqué qu'ils avaient retrouvé la trace de la famille qui détenait le secret. Il leur avait été impossible de faire parler ton grand-père, mais ils espéraient que j'aurais plus de succès avec toi...
- Et Mazet ? Pourquoi tu l'as tué ?
- Pour gagner ta confiance », rougit Lisa.

Chapitre XIV : La menorah

Jean est abasourdi par les aveux de Lisa.
- Lisa, je ne peux pas croire cela. Tu les hais les Caïnites !
- Oh oui, je les hais, acquiesce-t-elle, amère. Ils m'ont tout pris : mes parents, mes racines, ma liberté, mon avenir. Je ne suis rien. Je leur appartiens. Mais maintenant, ils vont pouvoir décongeler mes parents, et ma vie va enfin reprendre, dit-elle d'un air glacial.
- Lisa, bon sang ! Comment peux-tu croire cela ?!! Tes parents sont morts !
- Non !! Ils ont été congelés vivants, Jean ! Ils n'étaient pas morts avant. Ils sont juste en suspend, ils attendent. Ils m'attendent. Je dois donner les trente deniers.
- C'est insensé Lisa ! Comment ont-ils pu te persuader de cela ? S'ils n'étaient pas morts avant, la congélation les aura forcément tués. C'est impossible, ce retour à la vie ! Les Caïnites te manipulent, t'ont persuadée de cette énormité en jouant sur ta détresse, tu dois ouvrir les yeux !
- Tais-toi, Jean ! hurle Lisa, en pleurs. Je vais les retrouver. Tu te rappelles dans le troglo des congélateurs.... Il y avait mes parents ! Ce nom, De Spiegeleer, je l'ai vu écrit... Ils étaient là, tout près. Depuis, je ne pense qu'au moment où ils vont enfin les sortir de ces boîtes, qu'ils vont se relever et me prendre dans leurs bras.
- Lisa, tu délires...
Jean, à son tour, pleure. Celle qui était devenue en quelques jours sa plus proche amie, sa complice, celle en qui, déraisonnablement mais si naturellement, il avait mis sa confiance, était prisonnière d'une abominable manipulation, un véritable lavage de cerveau.
- Lisa, supplie-t-il, écoute au fond de toi : si tu analyses posément tout ceci, sans trop écouter ton cœur, juste ton intelligence... tu te rends bien compte que tout ceci n'est pas possible... Tu aimerais y croire, mais ça ne suffit pas d'y croire. Lisa, ouvre les yeux, je t'en prie... Tu crois vraiment qu'un corps, placé à – 50°C, peut reprendre vie, une fois revenu à une température positive ?
Lisa ne répond pas, inondée de larmes, le regard perdu.
Jean, ému de la sentir si vulnérable, continue :
- Ce sont des malades, Lisa. Tu as vu comme moi ce dont ils sont capables : que ce soit mon cousin ou non, un homme a été massacré l'autre soir, lors de la cérémonie. La mort, l'infamie, la violence, c'est cela qui les gouverne !
Lisa, livide et tremblante, ne dit mot.
Et déterminé, Plus déterminé que jamais, Jean propose :
- Lisa, je vais te sortir de là... On va s'échapper, partir loin, quitter cette vie, et ne laisser aucune trace. Je te protégerai, ils ne nous retrouveront pas !
- Sterne disait comme toi... soupire Lisa. Et ils l'ont tué. Je ne veux pas que tu meures, toi aussi... Je suis piégée, Jean. Je n'ai pas le choix, je dois faire ce qu'ils m'ont demandé.
- Je n'ai pas peur, Lisa. Mais je refuse l'idée de les laisser te détruire. Je ne veux pas cela, je veux t'aider...
- Ce que tu ne sais pas, Jean, c'est que mes parents eux-mêmes me demandent d'agir ainsi. Ils étaient Caïnites, et chercheurs. Ce sont eux qui ont mis le système de congélation au point. Et eux qui ont voulu être cryogénisés. Je n'avais que 5 ans. Ils ont fait tatouer sur mon bras la marque des Elus, tu sais ce candélabre bleu... Ils ont même choisi mon prénom pour que mon identité soit l'anagramme de ce signe : Chantal De Spiegeleer, chandelier égale sept... Je n'ai pas le choix, Jean, ils m'attendent. Ils comptent sur moi.
- Parce que tu crois que moi, je ne suis pas en train de trahir ce que m'ont demandé mon grand-père, et tous les aïeux qui l'ont précédé ? Je vais être celui par qui les efforts de tant d'hommes courageux vont être réduits à néant. Eux qui au péril de leur vie, sans doute, ont voulu protéger le secret... Regarde, en une semaine, ce qu'il reste de cette belle mission qui m'était confiée ? Tu sais, ces deniers ? J'en suis sûr maintenant : il faut les disperser ! Que jamais personne ne puisse mettre la main sur eux en totalité. Ils brûlent les doigts et les cœurs de ceux qui les touchent, comme une malédiction. Il faut que cela cesse. Si mes ancêtres, avant moi, ont cru bon protéger le secret, moi, je pense différemment désormais. Je garde d'eux le courage, mais pas l'obéissance aveugle... Je sais maintenant ce que je transmettrai à mes enfants...
Lisa, la loyauté ne doit pas condamner notre vie. Elle ne doit pas nous empêcher de penser. Elle ne doit pas nous emprisonner. Je te veux libre. Je te veux vivante. Je te veux heureuse... Je voudrais qu'on soit heureux, ensemble...
Lisa, le visage déformé par l'émotion, murmure :
- Oh, Jean... dans une autre vie...
Puis, dans un élan déterminé, elle se dirige vers lui, et de la crosse de son arme lui assène un coup brutal sur le crâne. Le jeune homme tombe, inanimé.
Combien de temps Jean est-il resté inconscient au fond de la grotte ? Quand il reprend connaissance, il grelotte de froid, le visage maculé de la poussière du sol. A côté de lui, la lampe torche éclaire toujours, mais d'un halo faiblard. Encore sonné par le coup reçu sur la tête, Jean se remémore les paroles de Lisa. L'inquiétude et la tristesse le saisissent.
- Lisa.... soupire-t-il, je ne peux le croire...
Il remonte lentement la galerie, scrutant chaque pièce dans l'espoir de trouver Lisa, ou une trace de son passage. Il se sent oppressé par le silence de l'endroit. Tout au bout, le puits de lumière indiquant la sortie est comme un guide, et il hâte le pas à mesure que cette lueur grandit. Jean n'est pas loin de sortir de l'antre quand soudain il reconnaît, sur la gauche, posé par terre, dans l'ouverture d'une galerie, le foulard de Lisa. Son cœur se met à battre plus vite, et braquant la torche dans cette direction, il guette tout autre indice de la présence de la jeune femme. C'est alors qu'il voit, sur le mur du fond de la galerie s'ouvrant devant lui, un immense signe, qu'il reconnaît tout de suite, comme la signature de Lisa.

Chapitre XV : Un ultime espoir

Le cœur serré, Jean contemple le mur fraîchement gravé.
- Pourquoi avoir gravé cela, Lisa...? demande-t-il à voix haute, s'attendant presque à une réponse.
La compagnie de la jeune femme lui est devenue si naturelle, et malgré les douloureuses révélations qu'elle vient de lui faire, Jean s'attend toujours à elle, à sa présence, à sa voix cristalline.
Tout en parlant, il remarque que le sol a été creusé, retourné récemment. Le cœur battant, il se jette au pied du signe de Lisa, et se met à gratter. Au bout de quelques minutes, il déterre un mouchoir en tissu, dans lequel un objet semble avoir été déposé. Défaisant le nœud qui le retient, Jean découvre une clé USB. Il la prend, la serre contre lui. Le jeune homme pressent qu'il tient entre les mains les derniers mots de Lisa. « Qu'as-tu voulu me dire Lisa ? »...
Il s'apprête à quitter la cave pour retrouver enfin l'air et sa voiture, quand il remarque le porte-clé de voiture de Lisa, dans la galerie descendant à droite du signe gravé. Intrigué, Jean se penche pour les ramasser, et, braquant sa torche en direction de cette nouvelle galerie, il aperçoit un nouvel alignement de salles qui semblent aller à l'infini.
Bravant sa claustrophobie, qui le pousserait à enfin quitter les lieux, Jean s'aventure dans cette direction... Les paroles de Lisa résonnent en boucle dans sa tête : «« C'est moi qui ai les deniers.... Il me les faut … Ils ont repris le contrôle de ma vie... je ne veux pas que tu meures, toi aussi... Dans une autre vie »».
Le halo blafard de sa torche ne lui permet pas de voir loin devant lui. Quand il a traversé six salles, il constate qu'il arrive à l'extrémité de la galerie. Derrière une barrière de falun, l'eau d'une nappe phréatique s'offre à ses yeux.
C'est alors que Jean remarque dans le coin de droite, un monticule de vêtements. Son sang ne fait qu'un tour. Il reconnaît immédiatement le manteau, le pull, et le pantalon de Lisa. Ses chaussures également.
- Noooonnnn ! hurle Jean de douleur.
Les eaux sont calmes. Le silence du lieu est lourd et oppressant. Jean, dévasté par l'horreur de ce qu'il vient de découvrir, retourne difficilement jusqu'à l'entrée de la cave maudite. Et dans un dernier élan de survie, regagne sa voiture, serrant en sa main la clé USB, comme une ultime bouée de secours.

Chapitre XVI : La marque de Caïn

Jean démarre et, sans même consciemment le décider, prend le chemin de la maison de Montreuil. Ses pensées sont ailleurs, il vient de tout perdre... Son secret, les deniers, Lisa. Il n'a plus qu'une obsession: se jeter sur un ordinateur pour lire cette clé USB. Savoir peut-être où est Lisa et la comprendre enfin...
Le paysage défile mécaniquement le long de la route droite qui n'en finit pas. Il a affreusement mal au crâne. Plusieurs fois, dans un éclair de lucidité, Jean redresse d'un brusque coup de volant sa trajectoire qui dérive dangereusement vers la gauche. Insensible aux regards furibonds et aux coups de klaxon, il lutte pour atteindre les rives du Thouet.
A peine garé, Jean se rue vers la maison, allume son PC et introduit en tremblant la clé dans la prise. Le périphérique est presque vide, deux dossiers ; l’un, nommé « la malédiction des trente deniers », et l'autre, « Jean ».
Jean clique fébrilement sur son prénom pour ouvrir le document.
«« Jean, si tu lis ces lignes (et je ne doute pas que tu les liras) c'est que tu as compris mon signe. Je ne voulais pas disparaître sans te laisser ces dernières lignes. Je ne sais pas si tu pourras un jour me pardonner d'avoir trahi ta confiance. J'ai tellement honte de ce que ces deniers maudits m'ont fait faire ! Je voudrais que tu m'oublies. La mort de mes parents a été un traumatisme terrible que je n'ai jamais accepté. Alors, quand les Adorateurs de Caïn m'ont retrouvée, je me suis raccrochée à cette mission, retrouver les trente deniers qui redonneraient vie à mes parents. Pour eux, je suis devenue meurtrière, j'étais aveuglée, je n'étais plus moi-même...
Et puis, il y a eu cette rencontre avec toi. Toi aussi, tu devais disparaître... Mais la pureté de tes sentiments, ta loyauté et la confiance que tu m'as offertes m'ont un peu déstabilisée. J'ai admiré et envié ta relation à ton grand-père, moi qui n'aspirait qu'à une chose: renouer le lien avec mes parents. Cet espoir insensé de les ranimer guidait mes pas, me faisant perdre toute lucidité. Je ne saurais dire si j'ai vraiment cru à tout ça ou si je m'y suis raccrochée pour ne pas sombrer. Tu m'as ouvert les yeux, Jean... Cet électrochoc a été salutaire. Je t'ai détesté, j'aurais pu te tuer. Toute cette violence contenue en moi depuis si longtemps, je ne sais pas ce qui m'a permis de la maîtriser. Pardonne-moi pour tout ce mal. Tu m'as redonné ma liberté. De cela, je te remercie sincèrement.
J'ai bien réfléchi à tout ce que tu m'as dit. Je crois finalement comme toi que ces deniers doivent disparaître à jamais, être dispersés. Chaque fois qu'ils ont été réunis, la malédiction s'est abattue sur ceux qui les possédaient. Judas, L'Ordre du Temple... Il y a eu trop de crimes commis depuis par les Adorateurs de Caïn en leur nom. Il ne faut plus jamais que ces fous puissent envisager l'espoir de les réunir. Je ne vais pas donc pas les leur livrer ; d'ailleurs, j'ignore pourquoi, mais je n'en ai retrouvé que la moitié... J'ai fait en sorte qu'ils sachent que tu as perdu le secret, tu ne devrais plus jamais être inquiété par eux.
Il te reste une dernière mission à accomplir, en souvenir de notre belle amitié. Tout est expliqué sur cette clé, dans le dossier « La malédiction des trente deniers »... Fais-le pour moi. Et regarde au fond de la poche droite de ton pantalon, je souhaite te laisser un souvenir de moi.
Adieu, Jean »».
Jean, des larmes plein les yeux, glisse la main au fond de sa poche. Tout d’abord, il ne sent rien. Puis, enfin, tout au fond, ses doigts tâtent un petit objet métallique qu'il sort avec difficulté.
C'est une pièce ancienne, en argent patiné, pas très lisible.
Autour de l'effigie d'un empereur romain, Jean déchiffre : « TI CAESAR DIVI F AUGUSTUS ... Tibère, empereur, fils du divin Auguste ».
Se pourrait-il...? Lisa lui aurait donc laissé un des trente deniers de Judas ! Lui, l'athée, se sent soudain écrasé sous le poids de ces quelques grammes d'argent qui ont posé les fondements du Christianisme et profondément imprégné l'Histoire de l'Humanité. D'ordinaire si rationaliste, il contemple inquiet la vieille monnaie, se demandant s'il parviendra à échapper à la malédiction qui s'est abattue sur tous ceux qui ont posé la main sur cet argent chargé d'un pouvoir maléfique. Il la repousse loin de lui pour aller ouvrir le deuxième dossier de Lisa.

« La malédiction des trente deniers ».
«« Jean, tu as hérité d'un denier. Voici comment tu disperseras les autres.
Tu l'as constaté, j'adore les codes et les énigmes. Je participe à un jeu de piste, et j'ai pu m'y exercer. Avant de disparaître, j'ai recaché les deniers dans cet immense dédale souterrain. Tu vas le faire savoir à tous ceux qui participent à ce jeu, en mettant en ligne l'énigme que j'ai rédigée. C'est le meilleur moyen que j'ai trouvé pour que ces monnaies soient disséminées et essaiment rapidement auprès de nombreuses personnes différentes. Nul n'imaginera que ces pièces sont authentiques, et leur trace sera ainsi définitivement perdue. Les pisteurs sont très rapides, si les Adorateurs de Caïn viennent un jour à tomber sur cette énigme, ils ne trouveront que des objets sans valeur dans la boîte. Voici mon pseudo de pisteuse : « valide-capotant », et mon code ****** Il te reste à écrire la fin de notre histoire »».
Jean découvre enfin avec étonnement le récit à peine romancé de la folle semaine qu'il vient de vivre, jusqu'à cette journée d'hier qui reste à rédiger. Il est saisi d'émotion en redécouvrant leurs aventures sous la plume de Lisa. Il se souvient alors qu'elle était dessinatrice de BD. C'est vrai qu'elle aurait pu en faire un bon scénario, se dit Jean... Il faudra que je passe à la librairie en face de l'abbaye, pour voir si je ne peux pas dégoter sa fameuse bande dessinée. Il n'y a que le lieu de l'énigme finale que Jean n'a pas visité. Là où Lisa a enfoui les deniers. Pas sûr qu'il ait le courage de retourner sur place à l'aide du plan qu'elle a dû crayonner rapidement la veille.

Epilogue

Voilà, tout est fini.
Jean a rédigé les dernières pages de leur histoire. Sous le pseudo « Valide-Capotant », il vient de mettre en ligne les indications pour que se réalise la dispersion des deniers souhaitée par Lisa. Un sentiment étrange l'envahit : Il se sent dépossédé de tout cela : de ce secret ancestral, devenu trop lourd, de sa quête mouvementée des deniers, désormais donnée à la lecture de chercheurs de babioles. Eux savent que la richesse est dans la quête.
Face à ce vide, il ressent le besoin de se recueillir. Alors, avant d'aller à l'Ile au Trésor, s'enquérir de la BD, il s'arrête au panorama surplombant la ville. Tout est calme et paisible. Mais en lui, tant de sentiments se bousculent.
Ses pensées, quoi qu'il fasse, le ramènent à Lisa, inexorablement.
Jean sait tout ce qu'il lui doit : la vie, bien sûr. Elle avait mission de le tuer. Les Caïnites le laisseront tranquille désormais ; il a perdu tout intérêt pour eux. La dispersion des deniers : Lisa a renoncé à ce désir fou de ramener à la vie ses parents. Ils ont compris, ensemble, que c'était l'unique issue. Ils se sont affranchis des liens qui les enchaînaient. Mais Lisa, pour cela, a fui dans la mort. A cette pensée, Jean ne peut retenir ses larmes. Parfois il se plaît à penser que tout ceci n'est qu'une mise en scène, que Lisa va réapparaître, un jour, enfin libre. La nouvelle de la découverte de ses vêtements et de sa voiture a été annoncée dans le journal. Mais les plongeurs n'ont pas retrouvé son corps...
Jean glisse alors sa main dans la poche, et en ressort le denier. « Lisa, je n'arriverai jamais à t'oublier tant que je garderai cette pièce. Pour ton courage, pour cet élan de sagesse qui est né de notre fabuleuse rencontre, pour la douceur de ton regard, je vais le rendre à la terre. J'espère que là où tu es, tu as trouvé la paix.
Je sais désormais qu'on ne perd que ce qu'on veut garder pour soi. Ces deniers n'appartiennent pas à ma famille. Pas plus aux Caïnites. Ils appartiennent à l'Histoire, et l'Histoire, on ne la réécrit pas. On n'en prend pas possession. On y glisse, on y participe, comme on le peut. On en est, tant bien que mal »
Se levant, Jean contemple une dernière fois la ville royale, chargée de tant d'histoire. Il lui plaît de penser que son denier, celui qu'il va rendre, reposera non loin de la fresque murale du Baiser de Judas que l'Abbesse Jeanne-Baptiste contempla toute sa vie.
Jean, arrivé au lieu choisi pour ce curieux enterrement, creuse au pied de l'arbre. De son doigt maculé de terre, il plonge le denier et l'enfonce jusqu'au cœur de ses racines. Puis, consciencieusement, rebouche le trou.
Il se relève, et jetant un dernier regard ému au noyer, dont le nom sonne douloureusement désormais, il murmure : « Dans une autre vie...»…

Voil, c'est terminé, et j'espère que cela vous aura plu... 8-)
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par archibald »

Kronos a écrit :
09 avr. 2023, 17:23
..../...- Oui, Jean. A la page 49, j'ai livré le nom de l'île où Judas finit ses jours et dissimule les deniers. Un nom en huit lettres que j'ai soigneusement choisies : elles figurent toutes dans le nom d'une seule commune du Maine et Loire.
.../...
Cela répond à une réponse que tu te posais dans ce sujet ( Pourquoi situer l'île (inexistante) de Syrenios près des côtes grecques, alors que la véritable île de Syrenia (ou Sirina) existe à quelques encablures de l'île de Karpathos, dans les Sporades... ?)
Ceci étant dit des communes comprenant un Y il y en a pas mal ( Layon) , je vais faire le tri. ;)
Mon avis:
Ce mini roman (même si je suis un peu déçu par la fin) est passionnant pour quelqu'un qui aime chercher sur la toile.
Je me suis amusé à découvrir beaucoup de choses qui ne sont que suggérées. Par exemple la lettre volée.
Il y a des choses que je n'ai pas décryptées, mais je ne renonce pas .roll:
Il me semble que le personnage de Mazet dont on parle au chapitre V apparait de manière un peu abrupte. A tel point que je me suis demandé si le chapitre précédent n'était pas un tantinet tronqué.... :roll:
Il faut attendre les derniers chapitres pour savoir pourquoi ce mini roman a bien sa place ici. :lol:
Au final, je me suis bien régalé. 8-)
Well then, Legitimate Edgar, I must have your land.
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Re: Mini-roman librement adapté...

Message par Kronos »

Tant mieux, c'est l'essentiel
Il suffit juste, parfois, de lire pour passer du bon temps
Sur tes critiques, je te rejoins, mais je n'en sais pas plus car je n'en suis pas l'auteur
Il est vrai que, jusqu'à la tout fin, on se demande un peu ce que viennent faire les 30 deniers dans cette histoire
Le prochain texte sera de moi, promis !
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