Suite et... enfin... FIN
Chapitre XI : Le baiser de Lisa
- Voilà où Jean-Baptiste voulait t’amener… Un autre carré… Il ne ressemble pas à celui de l’autre cave.
- Non, mais il est de proportions équivalentes. A-t-il le même nombre de cases ?
- Je dirais que oui, mais je t’avoue que je ne suis plus très sûre… j’ai des circonstances atténuantes : je venais quand même de tuer un homme, répond Lisa.
- Je prends en photo celui-ci. Mais il faut que nous retournions à la première cave pour l’autre carré !...
Cette idée ne ravit pas Jean... Retourner à cet endroit où la mort l'a frôlé de si près, à côté du souterrain de l'oubli où se décompose le corps de Mazet !
- Le meurtrier retourne toujours sur les lieux du crime, tente-t-il de plaisanter.
- L’idée ne me plait guère non plus, mais c’est le seul moyen ! lance Lisa, décidée.
Il est vingt-et-une heures quand ils regagnent l’avenue Paul Painlevé. Attablés devant l’ordinateur, Lisa et Jean chargent les photos sur l’ordinateur.
- Que disait Mazet de ce carré ? s'enquiert la jeune femme.
- Que ces signes renvoient au code des Templiers, et que le carré représente un dessin antique, et connu.
- C’est illisible !
- Essayons de travailler la photo… peut-être qu’en accentuant les contrastes…
Suspendus à l’écran du portable, Jean et Lisa modifient la photo, jouant sur la luminosité, les contrastes…
- Regarde, Jean, c’est beaucoup mieux comme cela !
- On va faire avec, oui… ouvre la page du code !
En quelques minutes, les signes mystérieux prennent chacun à leur tour une signification limpide. Les plus illisibles, par déduction, également.
- Mais bien sûr, c’est évident ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ?! Vite, Lisa, affiche l’autre carré !
«« la lumière jaillira des trois chefs, entre les deux signes quand tu les superposeras »».
Comprenant ce qu’ils avaient à faire, les deux acolytes découvrent peu à peu les lettres à retenir.
Voyant apparaître le nom du site à trouver, ils restent perplexes...
- Il y en a pas loin d'ici...
- Et à Gennes aussi...C'est quand même amusant, ajoute-t-elle avec un sourire, Jean-Baptiste a d'une certaine façon rendu le trésor à l'Aude ! Regarde, si tu le lis en deux mots !
«« La lumière jaillira des trois chefs, entre les deux signes quand tu les superposeras »». C’est « entre », Lisa… ça ne peut être Gennes !
- Allons-y ! Jean, s’écrie Lisa exaltée.
- Non… il est très tard. Nous irons demain matin. Nous ne verrons rien à cette heure, et en pleine ville, nous nous ferions remarquer avec des torches… Reste, Lisa… Je t’invite à manger, j’ai un plat de lasagnes ! C’est un peu le camping ici, mais on va se débrouiller.
- Volontiers, je meurs de faim, fait-elle, réprimant son impatience.
- Je vais te laisser mon lit, tu vas rester ici pour qu’on parte aux aurores demain matin. Moi, je prendrai le lit de camp qui est dans le grenier.
Lisa, perdue dans ses pensées, demande soudain :
- Jean, que vas-tu faire quand tu auras trouvé les deniers ?
- Je ne les ai pas encore… Et je t’avoue que je n’en sais vraiment rien. Je ne cherche qu’à tenter de maîtriser un peu le cours des évènements, avoir une coudée d’avance sur ces fous. Je retourne cette question dans ma tête. Je me demande ce que mon grand-père aurait fait à ma place, lui qui a montré tant de courage à certaines heures de sa vie. Tu sais, Montreuil-Bellay a été le théâtre honteux des affres de l’Histoire, durant la seconde guerre. On y a ouvert un camp de concentration pour les Tsiganes. Mon grand-père, que l’injustice révoltait, a beaucoup œuvré durant ces années, partageant la vie des internés, dans l’un des baraquements, et luttant pour qu’aucun ne soit envoyé en Allemagne. J’ai toujours été très fier de lui… Que ferait-il lui, maintenant dans ma situation ? Ce secret qui m’est confié, je veux pouvoir en être digne. Je crois qu’il faudrait que je parvienne à mettre ces deniers à nouveau à l’abri, comme l’a fait Jean-Baptiste, en son temps. Et puis je voudrais sauver ma peau, et celle des gens que j’aime…
Le visage de Jean s’assombrit, au moment même où il revient à penser à Baptiste, son cousin. Se peut-il qu’il ait été sauvagement exécuté ? Jean n’arrive pas à le croire, et c’est avec effroi et horreur que cette pensée l’assaille à chaque fois. Il poursuit :
- Tu sais, je suis un passionné d’Histoire… Ces deniers, c’est incroyable qu’ils existent encore, c’est un trésor inestimable… Et malgré tout, je ne peux m’empêcher de penser que s’ils n’existaient plus… ce déchaînement de folie et de violence n’aurait pas lieu.
S’ils doivent à jamais déclencher la folie et le fanatisme des hommes, il vaudrait mieux les disperser définitivement… Mais pas sûr que mon aïeul Jean-Baptiste soit bien d’accord avec cela...
Et toi, Lisa, que comptes-tu faire, si nous y survivons ? Je ne sais rien de toi, ou si peu… Vas-tu toujours épier cette secte, et protéger ceux qu’elle traque ? demande Jean, d’un air tendre et moqueur.
- Je vis au jour le jour, Jean… Ils ont pris mon passé. Je cours après, en vain, et je n’ai pas d’avenir. Je n’ai de vie qu’au présent… Je ne sais où je vais. J’ai juste cette haine, là, au fond de mon cœur, qui prend toute la place, et un grand vide dans mes racines…
- Tu ne crois pas qu’il pourrait y avoir place pour autre chose dans ton cœur ? lui dit-il en lui prenant la main. Ne les laisse pas te détruire aussi…
Mais Lisa ne répond rien. Elle cherche à sourire à Jean, mais les larmes qu’elle tente de camoufler déforment son beau visage.
- Dormons, Jean, parvient-elle à souffler. Demain, nous aurons besoin d’être en forme.
19 juillet
Aux aurores, Jean et Lisa sont devant les grilles. Le lieu est bien entretenu, et la fraîcheur du matin se lit dans l’humidité des fleurs et plantes savamment agencées. A travers les grilles, on aperçoit très bien les gradins, tournés vers la scène qui accueille aujourd’hui spectacles, concerts et autres manifestations.
- C’est un lieu complètement clos, et très souvent visité. Pourquoi Jean-Baptiste nous mène-t-il ici ?
- Faisons le tour. Peut-être trouverons-nous une entrée vers une cave.
Longeant les murs du parc, empruntant toutes les ruelles l’encerclant, Jean et Lisa scrutent le site, certains pourtant d’être arrivés au bon endroit. Mais le tour fini, force est de constater qu’aucune entrée accessible ne s’est présentée.
- Il y a des caves à l’intérieur. Peut-être faut-il aller dans l’une d’elles ?
- Je n’imagine pas cela possible ! Il y a tant de manifestations organisées sur le site ! Il y a des dizaines de milliers de visiteurs chaque année !
- Mais à l’époque de Jean-Baptiste, il n'existait rien de tout ça et ce site était hors des murs de la ville ! remarque Lisa. Attendons l’ouverture, et allons visiter.
En fin de matinée, les deux acolytes ressortent, déconfits. Rien ne leur a permis d’imaginer que l’une des galeries pouvait contenir le mystérieux trésor, malgré l’inspection minutieuse de chacune. Aucune trace des trois chefs.
- Tout de même, plus j’y pense moins je crois que Jean-Baptiste aurait recaché les deniers en pleine ville ! C’est insensé… constate Jean.
- Le sous-sol de cette ville est un vrai gruyère, des centaines de galeries la parcourent, sous les maisons… Va savoir si l’une des caves ne communiquait pas avec une autre allant à la cachette… continue la jeune femme, persévérante.
- Si c’est cela, j’ai bien peur que nos deniers aient disparu depuis longtemps, conclut Jean, dépité.
Je préfère m’accrocher à l’idée que nous nous sommes trompés dans le décodage des carrés, et qu’il nous reste encore une chance de retrouver la trace des Deniers. Retournons à la maison, et reprenons cela depuis le début.
Un peu découragés, Jean et Lisa reprennent la voiture, et s’éloignent de la ville.
- Jean, au-dessus du premier carré, celui codé par les Templiers, il y avait une inscription.
- Oui, un 5. Comme cinq lignes, ou cinq rangées…
- Et si c’était un élément important pour le décryptage des grilles ?
- Je veux bien, mais que signifie-t-il ? Si on l'ajoute aux lettres trouvées, ça ne m’évoque absolument rien.
- Ça, c’est si le 5 n’est pas codé, puisqu’il apparaît tel quel sur la roche. Mais peut-être est-ce autre chose… Le document écrit par eux, et transmis par Jean-Baptiste, est bien écrit en latin ?
- Oui, acquiesce Jean.
- Le latin, est bien la langue des Romains ?
- Oui, dit Jean. Tu es très forte, Lisa !
- Ne plaisante pas ! Et 5, tu l'écris comment en chiffres romains ?
Après un temps d’arrêt, Jean s’esclame :
- Bon sang, tu es géniale, Lisa ! Ca nous donne une lettre de plus, ça ! Quels mots pouvons-nous trouver avec cela ?
Les deux complices ajoutent donc cette lettre initiale au nom du site qu'ils viennent de visiter puis sollicitent le moteur de recherche de Géo-portail.
La réponse ne tarde pas à apparaître. Beaucoup de lieux-dits portant un nom très proche leur sont suggérés. Mais l'un d'eux retient particulièrement leur attention, car dans la même commune que ce site précédent.
- L'orthographe varie d'une lettre avec l'écriture actuelle mais c'est plausible, dit Jean, l'écriture des noms propres n'était pas fixée à l'époque.
- Vérifions sur la carte ce qu'il y a à cet endroit... Bingo ! Regarde, là, il y a un rond noir : l’entrée d’une cave !
Effectivement, non loin du lieu visité le matin, se trouve le fameux lieu-dit, avec deux ronds noirs : l’un proche de la route, l’autre, plus éloigné. Un peu à l’écart de l’agglomération.
Jean et Lisa ne se sont jamais sentis aussi près du but. Les palpitations de leurs cœurs leur paraissent presque audibles, tant elles résonnent dans leurs tympans, et font trembler leurs membres.
- Jean, je ne suis pas rentrée chez moi depuis deux jours. Il faut que j’aille récupérer quelques affaires, et puis je ramènerai avec moi des torches, et mon détecteur de métaux, j’ai aussi quelques cordes de rappel : je les prendrai avec moi. Peut-être en aurons-nous besoin. On se retrouve demain matin pour aller explorer la cave ?
Jean, bien qu’un peu surpris, n’est pas contre attendre le lendemain pour savoir si oui ou non ils vont mettre la main sur le trésor. Peut-être leur faudra-t-il du temps, sur place, pour trouver la cache, et il est déjà 17 heures. Il éprouve le besoin de se recueillir, taraudé par cette question de Lisa : « Que vas-tu faire de ces Deniers ». C’est peut-être dans ce lieu cher à Jean-Baptiste, au prieuré, qu’il trouvera le plus de paix pour réfléchir, et tenter de prendre suffisamment de recul dans ces jours si tourmentés.
- A demain, Lisa. Fais attention à toi. J’ai besoin de toi, maintenant... avoue-t-il.
- A demain, Jean. Toi aussi, fais attention !
Chapitre XII : Les trois chefs
20 juillet
Au réveil, Jean réalise qu'une semaine s'est écoulée, déjà, depuis la réception de cette fameuse lettre. La semaine la plus riche en émotions de toute son existence. Il est assailli, dès le saut du lit, par un flot de pensées contradictoires. De l'exaltation, bien sûr car ce soir, il l'espère, ils auront repris la main avec cette fabuleuse découverte... De l'angoisse, aussi. Les deniers en sa possession, Jean songe qu'il ne sera pas pour autant en position de force pour négocier avec les Adorateurs de Caïn. Depuis le Dix-septième Siècle, sa famille veille sur eux mais si la vie de Baptiste dépend de ce trésor, Jean craint, la mort dans l'âme, d'être le premier de la lignée a faillir dans sa mission. Que valent, en effet, ces quelques pièces au regard de la vie de son cousin ? L'appréhension aussi d'affronter une nouvelle fois l'univers souterrain qui le terrorise tant. Beaucoup d'interrogations enfin. De quel pouvoir mystérieux sont donc chargées ces trente monnaies pour que son grand-père l'ait prévenu qu'elles pourraient menacer la vie de tous ? Pourquoi autant de meurtres pour leur possession ? Et la jolie et secrète Lisa ? Le dénouement qu'il sent tout proche et la perspective qu'elle pourrait, dès ce soir, s'évanouir aussi mystérieusement qu'elle est arrivée le laissent un peu mélancolique. Il constate qu'il ne connaît d'elle qu'un nom et un numéro de portable, sans même savoir où elle habite.
A cet instant, son téléphone se met à vibrer dans sa poche :
- Jean, t'es prêt ? On se retrouve sur place ?
- Ok, Lisa, laisse-moi une demi-heure pour déjeuner et te rejoindre là-bas, j'arrive...
- J'ai les lampes mais prévois la tenue de circonstance ! Il peut faire frais sous terre, même en plein mois de juillet.
Jean se surprend : il a trouvé presque sans hésitation le chemin qui mène à cette zone agricole péri-urbaine. La voiture de Lisa, déjà garée sur le bas côté, lui confirme qu'il est au bon endroit. Elle l'attend, gros sac à dos sur l'épaule. Jean remarque aussitôt le changement dans le regard de Lisa, l'absence fugace de cette petite lumière pétillante qui accompagne d'habitude leurs expéditions.
- Ça va, Lisa ? Pas le moment d'avoir un coup d'mou ! C'est le grand jour ! A nous deux Judas ! tente de la dérider Jean.
- Ça va... Je laisse le gros matériel dans la voiture et on remontera le chercher si besoin était.
Lisa recompose un timide sourire et retrouve aussitôt dans l'action le dynamisme qui, dès leur première rencontre, a impressionné son complice. Elle désigne du doigt un chemin dans la végétation, qui descend en pente douce depuis la route vers une haute ouverture sombre.
- C'est là...
- Tu y es déjà entrée ?
- Je me suis juste approchée pour voir, je voulais t'attendre pour entrer.
- Tu crois que ça pourrait être le bon endroit ?
- Aucune idée, mais c'est possible Jean. Le site présente des traces d'activités récentes, mais il pourrait bien être contemporain de Jean-Baptiste.
Lisa sort deux torches puissantes de son sac et en donne une à Jean.
- J'ai prévu des piles et ampoules de rechange. Ces réseaux souterrains peuvent être très étendus, souffle Lisa. Y a plus qu'à vérifier si « les trois chefs » dont on n'a pas vu la trace hier sont ici...
- Oui, j'ai recherché hier, après ton départ, ce que pouvaient être ces trois chefs. J'ai trouvé que le nombre trois était essentiel dans l'Ordre du Temple ! Trois jeûnes annuels, trois vœux d'entrée, trois baisers initiatiques etc... et, surtout, trois hauts dignitaires de l'Ordre ayant préséance sur tous les Templiers : le Maître, le Sénéchal et le Maréchal. Ce pourraient être nos trois chefs ?
- Pourquoi pas ? Il y a probablement une symbolique dans cette formulation, et qu'elle soit liée aux Templiers qui ont toujours protégé le trésor serait logique. Bon, on entre ?
- Allons-y, je préfère rester derrière toi si tu n'y vois pas d'objection ?
- Qui a parlé de coup d'mou ? sourit à son tour Lisa...
- Pas moi ! Je ne sortirai pas de cette galerie sans les deniers de Tibère, fanfaronne Jean.
Lisa en tête, ils pénètrent prudemment sous la majestueuse voûte aux courbes féminines. Jean oublie aussitôt toutes ses réticences... La lumière du jour s'accroche encore ici sur les stries du falun. Le jeu des ombres sur les rondeurs de la roche et le silence religieux le saisissent d'émotion. Figé, il frissonne. La fraîcheur et l'idée qu'il pose peut-être encore une fois ses pas dans ceux de son aïeul. Qu'il touche du doigt, le Saint des Saints, ou plutôt le trésor maudit...
- Waooww... Fabuleux ! Comme c'est beau... On dirait une véritable cathédrale souterraine…
Lisa ne lui répond pas, occupée qu'elle est à inspecter nerveusement mais méthodiquement chaque paroi qu'elle balaie de sa torche, insensible, dirait-on, à la majesté des lieux.
Jean entreprend alors de la seconder dans cette tâche qui promet d'être longue... Au plus loin que portent leurs deux lampes, ce n'est qu'une enfilade de salles immenses qui semble se perdre dans l'obscurité. Et cet agencement se reproduit probablement sur les autres travées parallèles qu'ils ont aperçues en entrant... Chaque nouvelle salle est rigoureusement inspectée par les faisceaux de lumière sans qu'aucun signe des trois chefs ne se dessine.
Jean a sorti un papier de sa poche et il commence à tracer un plan du complexe réseau souterrain où il coche les cavités explorées. Et soudain, il s'immobilise à l'entrée d'une nouvelle salle et pousse un grand cri :
- Lisa ! Là, regarde...un... deux et le troisième de l'autre côté. « Les trois chefs ».... Le Maître sans doute, qui est tout seul et les numéros Deux et Trois de l'Ordre, le Sénéchal et le Maréchal qui sont en face…
- Tu as peut-être raison, Jean... souffle Lisa, qui curieusement ne semble toujours pas partager l'exaltation de son compagnon qui s'agite dans tous les sens, posant les questions auxquelles il répond lui-même.
- Bon... Reste à trouver où Jean-Baptiste a bien pu enfouir les pièces ... Ça ne doit pas être très volumineux, trente deniers ? Ça tient dans une toute petite boîte. Tu as dis que tu amenais un détecteur de métaux ? On remonte le chercher ? Non ! Attends... regarde, là ! ».
Jean désigne soudain du doigt le sol à l'aplomb de la tête du « Maître ». Le falun semble y avoir été remué récemment. Une zone meuble et plus claire que le reste de la salle. Il pose sa torche et se jette à genou, entreprenant de creuser frénétiquement à mains nues la poussière blanche. Presque aussitôt, il pousse un hurlement de joie :
- Yes, Lisa ! Je sens quelque chose... Eclaire-moi ! ».
Le halo de la torche de Lisa se pose sur les contours, d'une boîte de bois aux ferronneries anciennes.
- Une cassette, Lisa... on le tient !
Jean tremble de tous ses membres. Terrassé à l'idée de tenir entre ses mains le précieux trésor ici déposé par son aïeul, il n'ose ouvrir la boîte qu'aucune serrure, aucun cadenas ne scelle.... « Ta vie en dépend. La vie de beaucoup, sinon de tous également ». Les deniers de Judas...
- Eh bien, Jean, tu n'ouvres pas ?
Jean lève les yeux sur Lisa qui affiche maintenant la froide et rassurante détermination qu'il lui connaît habituellement. Il pose la boîte, s'agenouille et soulève doucement à deux mains le couvercle qui n'oppose aucune résistance à l'ouverture. La torche de Lisa éclaire nettement l'intérieur... Vide !
Jean se relève, interdit et recule de quelques pas.
Chapitre XIII : La malédiction des trente deniers
- Jean... C'est moi qui ai les deniers.
Jean, abasourdi, tourne la tête vers Lisa qui le menace désormais de son révolver. Sa main tremble légèrement et l'expression d'une profonde douleur bouleverse son visage.
- Toi ! Lis ... Mais quand ? Pourquoi ?
- Hier soir, quand je t'ai quitté, je suis venue directement ici et je les ai trouvés avec mon détecteur.
- Pourquoi, Lisa, pourquoi ? J'avais confiance en toi ! hurle Jean.
- Il me les faut...
- Lisa, si Baptiste est en vie, moi aussi, il me les faut ! On peut encore le sauver ...
La jeune femme éclate alors d'un petit rire nerveux.
- Tu n'as plus aucune chance de le sauver, ton cousin... Il est mort. On ne peut pas leur échapper !
- Pourquoi tu dis ça.... sanglote Jean. Comment peux-tu en être sûre ?
- Je le sais, Jean, je travaille pour eux... Ma mission était de récupérer ces deniers. Tu te demandais depuis le début comment ils pouvaient nous suivre à la trace ? C'était grâce à moi, Jean...
Jean vacille. Il éprouve le besoin de s'asseoir. Est-ce la nouvelle de la mort de Baptiste, son échec à conserver le secret, la trahison de Lisa ? Tout cela sans doute conjugué à sa phobie du monde souterrain. Lisa s'accroupit à quelques pas.
- Jean, il faut que je t'explique. Je t'ai déjà dit que je ne savais pas grand chose de mon histoire familiale, que mes parents sont morts quand j'étais très jeune. A leur disparition, j'ai été recueillie et élevée au sein de cette secte. J'ai grandi dans ce château où je t'ai conduit il y a quelques jours.
- Tu es une adoratrice de Caïn ! Toi... Lisa ... Murmure Jean, hébété.
- Non, Jean. Je ne suis plus une Adoratrice. Je travaille pour eux mais je les hais ! Mes parents m'ont été enlevés à cause d'eux. Ils les ont congelés !
Les yeux de Lisa s'inondent de larmes et elle abaisse un instant l'arme qu'elle pointait en direction de Jean.
- Alors pourquoi, Lisa, pourquoi leur offrir ces deniers si tu les détestes tant ? Je ne comprends pas...
Jean tente un mouvement pour se rapprocher de Lisa qui recule et se ressaisit en braquant de nouveau le canon du révolver vers Jean.
- Je n'ai pas le choix, Jean. J'ai rencontré un garçon dans ce château, quand j'étais adolescente. Il s'appelait Ernst. Nous sommes tombés amoureux. Bien vite, nous n'avons plus supporté le carcan étouffant du château et nous nous sommes enfuis. En Belgique. On a changé d'identité, vécu dans des squats, fréquenté les milieux artistiques de Bruxelles. Ernst s'est lancé dans le dessin, la BD. Il est vite devenu célèbre sous le pseudo de René Sterne. Nous étions heureux, Jean ... Nous sommes partis nous installer aux îles Grenadines. J'avais presque oublié ces fous mais il restait mes parents...
- Et c'est pour eux que tu es revenue ?
- Non, il y a eu cette bêtise. René a accepté de travailler sur le dernier « Blake et Mortimer » avec Jean Van Hamme : La malédictions des trente deniers. Je lui avais conseillé de refuser, j'avais un pressentiment. Mais ce thème l'attirait et Blake et Mortimer, ça ne se refuse pas ! Il a laissé libre cours à sa haine des Caïnites dans le scénario auquel il collaborait. Il a été très imprudent. Sur une BD en préparation, certaines planches sortent en avant première. Les Caïnites ont lu cette histoire qui évoque les deniers de Judas, leur pouvoir s'ils venaient à tomber aux mains d'un fou. Ils nous ont facilement retrouvés. Et ils ont assassiné René pour faire cesser ses révélations... Ma vie a basculé une seconde fois.
- Ils t'ont obligée à rentrer en France ?
- Non... C'est beaucoup plus insidieux. Ils m'ont parlé du pouvoir de ces deniers. De leur malédiction. M'ont convaincue que c'était cette malédiction qui avait causé la disparition de René qui est mort en dessinant la planche 30 (comme 30 deniers... ). Et ils ont repris le contrôle de ma vie, Jean... L'Archonte en personne est venu me rendre visite. Il m'a raconté les circonstances de la disparition de mes parents, et m'a demandé de les aider à récupérer les deniers, il m'a dit que moi seule pouvait le faire. Il m'a affirmé que ces pièces auraient un immense pouvoir bénéfique entre ses mains. Un pouvoir qui changerait ma vie. Qu'il aurait ensuite une mission pour moi à mon retour au château mais qu'avant, je devais terminer le travail de René.
- Et tu l'as fait ?
- Oui, sous mon vrai nom : Chantal de Spiegeleer (qui est l'anagramme d'Anna-Lisa Teredelpech). La BD est sortie l'année dernière et connaît un grand succès... Je devais, si j'acceptais la mission, y glisser un message dans le texte.
- Un message ?
- Oui, le signe que je rentrais dans le rang et que j'étais prête à travailler pour lui. Je devais lui livrer le département et la commune où je dissimulerais les deniers quand je les aurais récupérés.
- Et tu as accepté...?
- Oui, Jean. A la page 49, j'ai livré le nom de l'île où Judas finit ses jours et dissimule les deniers. Un nom en huit lettres que j'ai soigneusement choisies : elles figurent toutes dans le nom d'une seule commune du Maine et Loire.
- C'est grand, une commune...
- Oui, mais j'ai accompagné mon envoi d'auteur à l'Archonte d'une dédicace suffisamment explicite pour qu'il retrouve aisément le lieu exact.
- Tu vas donc livrer les deniers de Judas à ces fous ?
- Oui, il le faut. J'ai accepté la mission. A mon retour en France, ils m'ont expliqué qu'ils avaient retrouvé la trace de la famille qui détenait le secret. Il leur avait été impossible de faire parler ton grand-père, mais ils espéraient que j'aurais plus de succès avec toi...
- Et Mazet ? Pourquoi tu l'as tué ?
- Pour gagner ta confiance », rougit Lisa.
Chapitre XIV : La menorah
Jean est abasourdi par les aveux de Lisa.
- Lisa, je ne peux pas croire cela. Tu les hais les Caïnites !
- Oh oui, je les hais, acquiesce-t-elle, amère. Ils m'ont tout pris : mes parents, mes racines, ma liberté, mon avenir. Je ne suis rien. Je leur appartiens. Mais maintenant, ils vont pouvoir décongeler mes parents, et ma vie va enfin reprendre, dit-elle d'un air glacial.
- Lisa, bon sang ! Comment peux-tu croire cela ?!! Tes parents sont morts !
- Non !! Ils ont été congelés vivants, Jean ! Ils n'étaient pas morts avant. Ils sont juste en suspend, ils attendent. Ils m'attendent. Je dois donner les trente deniers.
- C'est insensé Lisa ! Comment ont-ils pu te persuader de cela ? S'ils n'étaient pas morts avant, la congélation les aura forcément tués. C'est impossible, ce retour à la vie ! Les Caïnites te manipulent, t'ont persuadée de cette énormité en jouant sur ta détresse, tu dois ouvrir les yeux !
- Tais-toi, Jean ! hurle Lisa, en pleurs. Je vais les retrouver. Tu te rappelles dans le troglo des congélateurs.... Il y avait mes parents ! Ce nom, De Spiegeleer, je l'ai vu écrit... Ils étaient là, tout près. Depuis, je ne pense qu'au moment où ils vont enfin les sortir de ces boîtes, qu'ils vont se relever et me prendre dans leurs bras.
- Lisa, tu délires...
Jean, à son tour, pleure. Celle qui était devenue en quelques jours sa plus proche amie, sa complice, celle en qui, déraisonnablement mais si naturellement, il avait mis sa confiance, était prisonnière d'une abominable manipulation, un véritable lavage de cerveau.
- Lisa, supplie-t-il, écoute au fond de toi : si tu analyses posément tout ceci, sans trop écouter ton cœur, juste ton intelligence... tu te rends bien compte que tout ceci n'est pas possible... Tu aimerais y croire, mais ça ne suffit pas d'y croire. Lisa, ouvre les yeux, je t'en prie... Tu crois vraiment qu'un corps, placé à – 50°C, peut reprendre vie, une fois revenu à une température positive ?
Lisa ne répond pas, inondée de larmes, le regard perdu.
Jean, ému de la sentir si vulnérable, continue :
- Ce sont des malades, Lisa. Tu as vu comme moi ce dont ils sont capables : que ce soit mon cousin ou non, un homme a été massacré l'autre soir, lors de la cérémonie. La mort, l'infamie, la violence, c'est cela qui les gouverne !
Lisa, livide et tremblante, ne dit mot.
Et déterminé, Plus déterminé que jamais, Jean propose :
- Lisa, je vais te sortir de là... On va s'échapper, partir loin, quitter cette vie, et ne laisser aucune trace. Je te protégerai, ils ne nous retrouveront pas !
- Sterne disait comme toi... soupire Lisa. Et ils l'ont tué. Je ne veux pas que tu meures, toi aussi... Je suis piégée, Jean. Je n'ai pas le choix, je dois faire ce qu'ils m'ont demandé.
- Je n'ai pas peur, Lisa. Mais je refuse l'idée de les laisser te détruire. Je ne veux pas cela, je veux t'aider...
- Ce que tu ne sais pas, Jean, c'est que mes parents eux-mêmes me demandent d'agir ainsi. Ils étaient Caïnites, et chercheurs. Ce sont eux qui ont mis le système de congélation au point. Et eux qui ont voulu être cryogénisés. Je n'avais que 5 ans. Ils ont fait tatouer sur mon bras la marque des Elus, tu sais ce candélabre bleu... Ils ont même choisi mon prénom pour que mon identité soit l'anagramme de ce signe : Chantal De Spiegeleer, chandelier égale sept... Je n'ai pas le choix, Jean, ils m'attendent. Ils comptent sur moi.
- Parce que tu crois que moi, je ne suis pas en train de trahir ce que m'ont demandé mon grand-père, et tous les aïeux qui l'ont précédé ? Je vais être celui par qui les efforts de tant d'hommes courageux vont être réduits à néant. Eux qui au péril de leur vie, sans doute, ont voulu protéger le secret... Regarde, en une semaine, ce qu'il reste de cette belle mission qui m'était confiée ? Tu sais, ces deniers ? J'en suis sûr maintenant : il faut les disperser ! Que jamais personne ne puisse mettre la main sur eux en totalité. Ils brûlent les doigts et les cœurs de ceux qui les touchent, comme une malédiction. Il faut que cela cesse. Si mes ancêtres, avant moi, ont cru bon protéger le secret, moi, je pense différemment désormais. Je garde d'eux le courage, mais pas l'obéissance aveugle... Je sais maintenant ce que je transmettrai à mes enfants...
Lisa, la loyauté ne doit pas condamner notre vie. Elle ne doit pas nous empêcher de penser. Elle ne doit pas nous emprisonner. Je te veux libre. Je te veux vivante. Je te veux heureuse... Je voudrais qu'on soit heureux, ensemble...
Lisa, le visage déformé par l'émotion, murmure :
- Oh, Jean... dans une autre vie...
Puis, dans un élan déterminé, elle se dirige vers lui, et de la crosse de son arme lui assène un coup brutal sur le crâne. Le jeune homme tombe, inanimé.
Combien de temps Jean est-il resté inconscient au fond de la grotte ? Quand il reprend connaissance, il grelotte de froid, le visage maculé de la poussière du sol. A côté de lui, la lampe torche éclaire toujours, mais d'un halo faiblard. Encore sonné par le coup reçu sur la tête, Jean se remémore les paroles de Lisa. L'inquiétude et la tristesse le saisissent.
- Lisa.... soupire-t-il, je ne peux le croire...
Il remonte lentement la galerie, scrutant chaque pièce dans l'espoir de trouver Lisa, ou une trace de son passage. Il se sent oppressé par le silence de l'endroit. Tout au bout, le puits de lumière indiquant la sortie est comme un guide, et il hâte le pas à mesure que cette lueur grandit. Jean n'est pas loin de sortir de l'antre quand soudain il reconnaît, sur la gauche, posé par terre, dans l'ouverture d'une galerie, le foulard de Lisa. Son cœur se met à battre plus vite, et braquant la torche dans cette direction, il guette tout autre indice de la présence de la jeune femme. C'est alors qu'il voit, sur le mur du fond de la galerie s'ouvrant devant lui, un immense signe, qu'il reconnaît tout de suite, comme la signature de Lisa.
Chapitre XV : Un ultime espoir
Le cœur serré, Jean contemple le mur fraîchement gravé.
- Pourquoi avoir gravé cela, Lisa...? demande-t-il à voix haute, s'attendant presque à une réponse.
La compagnie de la jeune femme lui est devenue si naturelle, et malgré les douloureuses révélations qu'elle vient de lui faire, Jean s'attend toujours à elle, à sa présence, à sa voix cristalline.
Tout en parlant, il remarque que le sol a été creusé, retourné récemment. Le cœur battant, il se jette au pied du signe de Lisa, et se met à gratter. Au bout de quelques minutes, il déterre un mouchoir en tissu, dans lequel un objet semble avoir été déposé. Défaisant le nœud qui le retient, Jean découvre une clé USB. Il la prend, la serre contre lui. Le jeune homme pressent qu'il tient entre les mains les derniers mots de Lisa. « Qu'as-tu voulu me dire Lisa ? »...
Il s'apprête à quitter la cave pour retrouver enfin l'air et sa voiture, quand il remarque le porte-clé de voiture de Lisa, dans la galerie descendant à droite du signe gravé. Intrigué, Jean se penche pour les ramasser, et, braquant sa torche en direction de cette nouvelle galerie, il aperçoit un nouvel alignement de salles qui semblent aller à l'infini.
Bravant sa claustrophobie, qui le pousserait à enfin quitter les lieux, Jean s'aventure dans cette direction... Les paroles de Lisa résonnent en boucle dans sa tête : «« C'est moi qui ai les deniers.... Il me les faut … Ils ont repris le contrôle de ma vie... je ne veux pas que tu meures, toi aussi... Dans une autre vie »».
Le halo blafard de sa torche ne lui permet pas de voir loin devant lui. Quand il a traversé six salles, il constate qu'il arrive à l'extrémité de la galerie. Derrière une barrière de falun, l'eau d'une nappe phréatique s'offre à ses yeux.
C'est alors que Jean remarque dans le coin de droite, un monticule de vêtements. Son sang ne fait qu'un tour. Il reconnaît immédiatement le manteau, le pull, et le pantalon de Lisa. Ses chaussures également.
- Noooonnnn ! hurle Jean de douleur.
Les eaux sont calmes. Le silence du lieu est lourd et oppressant. Jean, dévasté par l'horreur de ce qu'il vient de découvrir, retourne difficilement jusqu'à l'entrée de la cave maudite. Et dans un dernier élan de survie, regagne sa voiture, serrant en sa main la clé USB, comme une ultime bouée de secours.
Chapitre XVI : La marque de Caïn
Jean démarre et, sans même consciemment le décider, prend le chemin de la maison de Montreuil. Ses pensées sont ailleurs, il vient de tout perdre... Son secret, les deniers, Lisa. Il n'a plus qu'une obsession: se jeter sur un ordinateur pour lire cette clé USB. Savoir peut-être où est Lisa et la comprendre enfin...
Le paysage défile mécaniquement le long de la route droite qui n'en finit pas. Il a affreusement mal au crâne. Plusieurs fois, dans un éclair de lucidité, Jean redresse d'un brusque coup de volant sa trajectoire qui dérive dangereusement vers la gauche. Insensible aux regards furibonds et aux coups de klaxon, il lutte pour atteindre les rives du Thouet.
A peine garé, Jean se rue vers la maison, allume son PC et introduit en tremblant la clé dans la prise. Le périphérique est presque vide, deux dossiers ; l’un, nommé « la malédiction des trente deniers », et l'autre, « Jean ».
Jean clique fébrilement sur son prénom pour ouvrir le document.
«« Jean, si tu lis ces lignes (et je ne doute pas que tu les liras) c'est que tu as compris mon signe. Je ne voulais pas disparaître sans te laisser ces dernières lignes. Je ne sais pas si tu pourras un jour me pardonner d'avoir trahi ta confiance. J'ai tellement honte de ce que ces deniers maudits m'ont fait faire ! Je voudrais que tu m'oublies. La mort de mes parents a été un traumatisme terrible que je n'ai jamais accepté. Alors, quand les Adorateurs de Caïn m'ont retrouvée, je me suis raccrochée à cette mission, retrouver les trente deniers qui redonneraient vie à mes parents. Pour eux, je suis devenue meurtrière, j'étais aveuglée, je n'étais plus moi-même...
Et puis, il y a eu cette rencontre avec toi. Toi aussi, tu devais disparaître... Mais la pureté de tes sentiments, ta loyauté et la confiance que tu m'as offertes m'ont un peu déstabilisée. J'ai admiré et envié ta relation à ton grand-père, moi qui n'aspirait qu'à une chose: renouer le lien avec mes parents. Cet espoir insensé de les ranimer guidait mes pas, me faisant perdre toute lucidité. Je ne saurais dire si j'ai vraiment cru à tout ça ou si je m'y suis raccrochée pour ne pas sombrer. Tu m'as ouvert les yeux, Jean... Cet électrochoc a été salutaire. Je t'ai détesté, j'aurais pu te tuer. Toute cette violence contenue en moi depuis si longtemps, je ne sais pas ce qui m'a permis de la maîtriser. Pardonne-moi pour tout ce mal. Tu m'as redonné ma liberté. De cela, je te remercie sincèrement.
J'ai bien réfléchi à tout ce que tu m'as dit. Je crois finalement comme toi que ces deniers doivent disparaître à jamais, être dispersés. Chaque fois qu'ils ont été réunis, la malédiction s'est abattue sur ceux qui les possédaient. Judas, L'Ordre du Temple... Il y a eu trop de crimes commis depuis par les Adorateurs de Caïn en leur nom. Il ne faut plus jamais que ces fous puissent envisager l'espoir de les réunir. Je ne vais pas donc pas les leur livrer ; d'ailleurs, j'ignore pourquoi, mais je n'en ai retrouvé que la moitié... J'ai fait en sorte qu'ils sachent que tu as perdu le secret, tu ne devrais plus jamais être inquiété par eux.
Il te reste une dernière mission à accomplir, en souvenir de notre belle amitié. Tout est expliqué sur cette clé, dans le dossier « La malédiction des trente deniers »... Fais-le pour moi. Et regarde au fond de la poche droite de ton pantalon, je souhaite te laisser un souvenir de moi.
Adieu, Jean »».
Jean, des larmes plein les yeux, glisse la main au fond de sa poche. Tout d’abord, il ne sent rien. Puis, enfin, tout au fond, ses doigts tâtent un petit objet métallique qu'il sort avec difficulté.
C'est une pièce ancienne, en argent patiné, pas très lisible.
Autour de l'effigie d'un empereur romain, Jean déchiffre : « TI CAESAR DIVI F AUGUSTUS ... Tibère, empereur, fils du divin Auguste ».
Se pourrait-il...? Lisa lui aurait donc laissé un des trente deniers de Judas ! Lui, l'athée, se sent soudain écrasé sous le poids de ces quelques grammes d'argent qui ont posé les fondements du Christianisme et profondément imprégné l'Histoire de l'Humanité. D'ordinaire si rationaliste, il contemple inquiet la vieille monnaie, se demandant s'il parviendra à échapper à la malédiction qui s'est abattue sur tous ceux qui ont posé la main sur cet argent chargé d'un pouvoir maléfique. Il la repousse loin de lui pour aller ouvrir le deuxième dossier de Lisa.
«
La malédiction des trente deniers ».
«« Jean, tu as hérité d'un denier. Voici comment tu disperseras les autres.
Tu l'as constaté, j'adore les codes et les énigmes. Je participe à un jeu de piste, et j'ai pu m'y exercer. Avant de disparaître, j'ai recaché les deniers dans cet immense dédale souterrain. Tu vas le faire savoir à tous ceux qui participent à ce jeu, en mettant en ligne l'énigme que j'ai rédigée. C'est le meilleur moyen que j'ai trouvé pour que ces monnaies soient disséminées et essaiment rapidement auprès de nombreuses personnes différentes. Nul n'imaginera que ces pièces sont authentiques, et leur trace sera ainsi définitivement perdue. Les pisteurs sont très rapides, si les Adorateurs de Caïn viennent un jour à tomber sur cette énigme, ils ne trouveront que des objets sans valeur dans la boîte. Voici mon pseudo de pisteuse : « valide-capotant », et mon code ****** Il te reste à écrire la fin de notre histoire »».
Jean découvre enfin avec étonnement le récit à peine romancé de la folle semaine qu'il vient de vivre, jusqu'à cette journée d'hier qui reste à rédiger. Il est saisi d'émotion en redécouvrant leurs aventures sous la plume de Lisa. Il se souvient alors qu'elle était dessinatrice de BD. C'est vrai qu'elle aurait pu en faire un bon scénario, se dit Jean... Il faudra que je passe à la librairie en face de l'abbaye, pour voir si je ne peux pas dégoter sa fameuse bande dessinée. Il n'y a que le lieu de l'énigme finale que Jean n'a pas visité. Là où Lisa a enfoui les deniers. Pas sûr qu'il ait le courage de retourner sur place à l'aide du plan qu'elle a dû crayonner rapidement la veille.
Epilogue
Voilà, tout est fini.
Jean a rédigé les dernières pages de leur histoire. Sous le pseudo « Valide-Capotant », il vient de mettre en ligne les indications pour que se réalise la dispersion des deniers souhaitée par Lisa. Un sentiment étrange l'envahit : Il se sent dépossédé de tout cela : de ce secret ancestral, devenu trop lourd, de sa quête mouvementée des deniers, désormais donnée à la lecture de chercheurs de babioles. Eux savent que la richesse est dans la quête.
Face à ce vide, il ressent le besoin de se recueillir. Alors, avant d'aller à l'Ile au Trésor, s'enquérir de la BD, il s'arrête au panorama surplombant la ville. Tout est calme et paisible. Mais en lui, tant de sentiments se bousculent.
Ses pensées, quoi qu'il fasse, le ramènent à Lisa, inexorablement.
Jean sait tout ce qu'il lui doit : la vie, bien sûr. Elle avait mission de le tuer. Les Caïnites le laisseront tranquille désormais ; il a perdu tout intérêt pour eux. La dispersion des deniers : Lisa a renoncé à ce désir fou de ramener à la vie ses parents. Ils ont compris, ensemble, que c'était l'unique issue. Ils se sont affranchis des liens qui les enchaînaient. Mais Lisa, pour cela, a fui dans la mort. A cette pensée, Jean ne peut retenir ses larmes. Parfois il se plaît à penser que tout ceci n'est qu'une mise en scène, que Lisa va réapparaître, un jour, enfin libre. La nouvelle de la découverte de ses vêtements et de sa voiture a été annoncée dans le journal. Mais les plongeurs n'ont pas retrouvé son corps...
Jean glisse alors sa main dans la poche, et en ressort le denier. « Lisa, je n'arriverai jamais à t'oublier tant que je garderai cette pièce. Pour ton courage, pour cet élan de sagesse qui est né de notre fabuleuse rencontre, pour la douceur de ton regard, je vais le rendre à la terre. J'espère que là où tu es, tu as trouvé la paix.
Je sais désormais qu'on ne perd que ce qu'on veut garder pour soi. Ces deniers n'appartiennent pas à ma famille. Pas plus aux Caïnites. Ils appartiennent à l'Histoire, et l'Histoire, on ne la réécrit pas. On n'en prend pas possession. On y glisse, on y participe, comme on le peut. On en est, tant bien que mal »
Se levant, Jean contemple une dernière fois la ville royale, chargée de tant d'histoire. Il lui plaît de penser que son denier, celui qu'il va rendre, reposera non loin de la fresque murale du Baiser de Judas que l'Abbesse Jeanne-Baptiste contempla toute sa vie.
Jean, arrivé au lieu choisi pour ce curieux enterrement, creuse au pied de l'arbre. De son doigt maculé de terre, il plonge le denier et l'enfonce jusqu'au cœur de ses racines. Puis, consciencieusement, rebouche le trou.
Il se relève, et jetant un dernier regard ému au noyer, dont le nom sonne douloureusement désormais, il murmure : « Dans une autre vie...»…
Voil, c'est terminé, et j'espère que cela vous aura plu...