Par Jean-Marc Panis Mercredi 2 octobre 2024 17:58
Alors que vous terminez un diptyque ambitieux, Omula et Rema, c’est encore de XIII ou Blake et Mortimer dont on va vous parler. C’est frustrant?
YVES SENTE - Un peu, mais je comprends, ce n’est pas grave. Dans mon travail, il y a les livres dont on part de zéro, et puis les reprises. Partir de zéro, ça prend du temps, et comme je n’écris pas juste pour écrire, et que je n’ai pas envie d’écrire dix scénarios par an, j’affectionne les reprises et leur côté efficace. Je suis admiratif de mes confrères plus productifs. Moi, je suis un lent, et comme Blake et Mortimer ou un XIII me prennent déjà un temps considérable, je veux accorder le temps qu’il me reste pour des projets auxquels je crois à cent pour cent.
XIII ou Blake et Mortimer sont des machines qui marchent, ça vous ravit?
En effet, et à plus d’un égard. En tant qu’ex-éditeur, je sais comment ça marche: il faut des succès pour financer des projets plus fragiles. Quand j’écris un Blake et Mortimer, j’écris mon histoire, en suivant la recette de Jean Van Hamme: un bon début, un bon milieu, une bonne fin. Caricatural et simpliste? Peut-être, mais ça reste le cœur de l’affaire! Financièrement, je suis conscient d’être verni, de pouvoir choisir, et même dire non. Je préfère finir ma carrière avec dix ou douze “one shots” dont je serai fier, plutôt qu’avec trente dont j’aurais pu éviter la moitié! D’ailleurs, en ce moment, j’écris un roman, un thriller d’anticipation, tout seul, sans la moindre image (rire).
Quand Dargaud cherche une deuxième équipe pour reprendre la série Blake et Mortimer en pleine renaissance, vous êtes retenu. Hasard ou coup de chance?
Un peu des deux. J’ai envoyé, de manière anonyme, un synopsis chez Dargaud. La direction l’a lu, et a proposé à André Juillard de travailler avec ce parfait inconnu - moi. André a accepté, et ça a donné La machination Voronov.
Existe-t-il une formule secrète pour réussir une aventure de Blake et Mortimer?
Si formule il y a, c’est de faire du Blake et Mortimer, pas du Jacobs, car ça, lui seul savait le faire. Sinon, je m’échine à respecter les codes, au premier degré, tout en les modernisant. Je tente de créer un récit qui puisse être lu en 2024, tout en donnant l’impression qu’on savoure une madeleine des années 50.
Comment vos scénarios fonctionnent-ils?
Mes scénarios sont ultra-documentés et construits. Ça me prend un temps fou! Je ne me permets d’écrire que lorsque je sais ce qu’il se passe de la première à la dernière planche. L’écriture va vite, et c’est du plaisir: la langue, le découpage, les petites scènes inutiles mais fondamentales à tout bon scénario. Je tente aussi - et c’est le plus compliqué - de placer de l’émotion, celle qui déclenchera de l’empathie pour mes personnages. Entre le début, quand on trouve une idée, et la fin, quand on a tout solutionné, il y a des moments de souffrance et de solitude. Ma compagne m’entend geindre et me dit “Tu me fais le coup à chaque fois, mais ça va aller”. Et je dois reconnaître que le temps lui donne raison.
L’aventure est votre spécialité…
J’y suis très attaché. Même si je glisse dans mes récits des thèmes de société, le lecteur qui choisit un album d’Yves Sente se dit: je vais passer un bon moment d’évasion. Après, s’il se pose des questions en plus, c’est du bonus.