Bien bien, Yves Sente a donc tué le père par l'intermédiaire de Clarke assassinant Benson son père adoptif ( et celui de son frère jumeau), et nous avons compris que les deux frères ont une haine fondamentale du malheureux major Benson qui, suggère Clarke 1, serait la cause de la mort de leur véritable père. Maintenant que les Clarke ne sont plus ni l'un ni l'autre utiles au scénario et que l'un d'eux est déjà mort, le dernier survivant va être exécuté par Olrik, afin de donner un peu de travail au colonel à qui l'action doit commencer à manquer.
Je ne peux m'empêcher de penser qu'en effet, la vraie raison de toute cette histoire n'est pas là où on pourrait le penser.
Il faut que le père symbolique qu'était Benson soit tué pour que les héros puissent vivre à Park Lane. Ce seront donc deux frères animés de haine et de ressentiment qui feront ce travail, (au moins par l'un d'entre eux, mais en réalité, Clarke de Gibraltar est lui aussi indirectement et symboliquement impliqué dans la mort de Benson par le fil tortueux du récit), et permettront à deux frères d'armes loyaux et purs de loger dorénavant dans la maison symbolique du père.
Faut-il que je continue mon exposé ? Je suis certain que tout le monde a déjà compris où je veux en venir.
Le fait est que l'image de Benson agonisant est une des très rares cases de l'album exprimant un instant réellement pathétique, et de surcroît, au milieu d'une série de strips banals, quand leurs dessins ne sont pas franchement laids, une très belle case. Parce que peut-être s'y avoue le secret remord du fils qui tue son père. D'où le fait que Mrs Benson dans la dernière case du strip de l'agonie du père soit une véritable Piéta.
On comprend aussi mieux pourquoi André Juillard a eu l'idée, pas mauvaise en soi d'ailleurs a priori si elles avait été mise au service d'un vrai projet, de prêter aux officiers supérieurs des visages empruntés au caricatures de Daumier, pourquoi tous les personnages ont la raideur somnambule de marionnettes, pourquoi cet album apparaît comme un constant cauchemar de doubles, de jumeaux et de situations en miroir jusque dans certains de ses détails comme le nuage de Scawfell et celui de Gibraltar, pourquoi enfin la longue séquence du rocher est entièrement nocturne. Nous sommes dans un cauchemar précisément, celui des fils que sont les auteurs dans leur désir de tuer le père symbolique de la série et de prendre sa place.
Les auteurs ne nous racontent donc pas une histoire de Blake et Mortimer mais le scénario bancale et contradictoire de ce fantasme qui n'intéresse qu'eux, en l'occurrence, celui du scénariste, le dessinateur ne faisant que suivre, comme Clarke 2 suit Clarke 1.
Naturellement, comme tout fils qui tue son père, le meurtrier produit la caricature lui-même, ici les frère Clarke, mais prend le soin de s'innocenter en s'identifiant à une image positive de lui-même, Blake et Mortimer. Ainsi réussit-il le tour de passe passe de pouvoir s'installer dans la maison du père en toute vertu après l'avoir sauvagement assassiné. Il versera ensuite des larmes sur la tombe et expliquera que son but n'était rien d'autre que de nous fournir des explications narratives que nous ne lui avions pas demandées. Mais aucun d'entre nous n'est dupe. Le seul objectif du
Bâton de Plutarque est bien cet assassinat symbolique de Jacobs dont le bâton aux codes secrets fournit en quelque sorte l'emblème de décryptage. Cet album est donc, selon moi, l'histoire mise en scène de cet assassinat symbolique et doublé de son aveu à décrypter. Autant dire que cet album est un véritable témoignage des auteurs....... contre eux-mêmes !
Quand je vous parlais de ce que j'appelais "complexe d'Iznogoud", sauf qu'ici c'est plutôt.....
Iznobad !
