Je fais partie de ceux qui ont aimé cet album, et même beaucoup aimé. Je ne suis pas aveugle à ses défauts (je vous ai lus avant d'écrire, donc difficile d'ignorer tout ce qui pose problème) mais cela n'est pas suffisant à mes yeux pour en atténuer les nombreux attraits.
Je suis fasciné par William Shakespeare et j'ai trouvé ce marathon pour découvrir son identité passionnant. Pour être plus précis, c'est cette double biographie de William et Guillermo que j'ai trouvé brillante et émouvante. Sans doute un véritable expert du sujet pourrait-il en relever les failles, mais auprès d'un béotien comme moi, cela fonctionne à fond !
Pour ce qui est du jeu de piste, il est sans doute un peu facile et ne pose d'ailleurs guère de problèmes aux protagonistes, mais après tout Guillermo souhaitait vraisemblablement que ses amis puissent découvrir la vérité. Rien que les voyages d'un lieu à l'autre à l'époque auraient apporté bien assez d'aventure pour ne pas en rajouter.
Même si Venise n'est pas magnifiée par l'album, ce qu'on peut évidemment regretter, elle est bien présente. La séquence de la soirée mondaine avec l'accident et la découverte du local secret est brillante. On est tout aussi excité et intrigué que les protagonistes, et l'apparition de la sinistre momie est pour moi l'un des moments les plus mémorables de la série (au minimum post-Jacobs). C'est certainement la meilleure scène de l'album. Huis-clos très cluedo-esque avec sa galerie de personnages hauts en couleurs (Lady Purple, Colonel Moutarde...

) dont certains traînent dans le palais la nuit ou ont tôt disparu le matin venu..
Cela renforce le côté Agatha Christie / Mystère de la chambre jaune. Mais qui donc était ce mystérieux visiteur nocturne...?
Mention spéciale à Peggy Newgold, personnage attachant et haut en couleurs (au sens propre !) qui offre une sympathique reminiscence à certains adjuvants jacobsiens excentriques et théâtraux (Grossgrabenstein, Mitsugoro...)
Pour une fois qu'une femme ronde est présentée sous un jour positif et actif au détriment des planches à pain qui forment le reste de l'assistance, on ne va pas s'en plaindre.
La mythologie sentienne se trouve confirmée et prend un peu de place avec tous ces personnages féminins, c'est un fait. C'est surtout Nastasia Wardynska que je trouve complètement inutile, ce qui est vrai de toutes ses apparitions depuis LMV. Je présume que l'idée est de rajeunir et de féminiser le casting, mais elle ne sert qu'à ça et fait les potiches (particulièrement dans cet album). D'ailleurs c'est tout juste si elle a une malheureuse réplique et est nommée, avant de disparaître complètement. Sarah et Elizabeth sont tellement plus intéressantes et liées à l'intrigue !
L'ennui est qu'elles prennent de la place et relèguent en effet Mortimer au second plan. Même si cela fait des années que je n'ai plus relu LMGP, de mémoire notre professeur préféré y était présenté comme un érudit passionné qui tenait des discussions sur un pied d'égalité avec son ami Ahmed Rassim Bey. Difficile d'imaginer qu'il soit aussi féru de culture égyptienne antique, et aussi ignorant quant au monument national qu'est Shakespeare, qu'Elizabeth doive tout lui expliquer. Sente lui fait jouer le rôle de l'ignorant au bénéfice de nous, lecteur, pour justifier les passages didactiques. Jacobs parvenait très bien à nous apprendre des choses sans pour autant faire de son héros un néophyte complet.
À part cela, la dynamique entre les deux personnages fonctionne très bien et, compte tenu de l'aspect hautement littéraire de la quête, Elizabeth fait effectivement un partenaire plus crédible que Blake.
Olrik n'est bien sûr pas du tout crédible en "Hannibal Lecter shakespearologue". Le comte d'Oxford ou Lady Cheachire auraient tout à fait pu jouer le rôle et voir ainsi leur personnage étoffé.
Pour ce qui est des Teddys, bien que relativement annexes au propos, ils ajoutent une touche sinistre, inquiétante, qui transforme de nouveau le Londres nocturne en terrain de tous les dangers, lointaine et néanmoins réelle réminiscence de la Marque Jaune. Bien sûr ils ne sont pas de taille face à des héros qui ont sauvé le monde, mais ils jouent leur jeu trouble et ajoutent une note gothique à l'album (à laquelle ne sont pas étrangers les cloisons secrètes et le look de vampire de l'héritier dévoyé).
Sente nous donne l'occasion d'apprendre quelque chose (quel pourcentage infime des lecteurs avaient entendu parler des Teddys avant de lire l'album ?) et c'est un souci didactique qu'on doit saluer chez lui, et qui le place en filiation de Jacobs, à mon sens.
Après, je ne laisse pas de m'interroger sur l'inexplicable figure du jeune binoclard comme incarnation récurrente du mal chez Yves Sente : Le Serment des cinq lords, Le Bâton de Plutarque, Le Testament de William S. : à chaque fois le (ou les) méchant s'avère être un jeune binoclard frustré et revanchard. Why...???