Robert-Denis Rault a écrit : ↑26 nov. 2018, 16:59
Cependant, je n'ai pu que déplorer au fil des pages la lourdeur du style de Sente : il lui faut 18 pages pour mettre son histoire en place avant de faire apparaître nos héros, 18 pages de palabres et de circonvolutions, là où Jacobs, certes plutôt bavard dans cette partie du récit, lançait ses héros, Mortimer le plus souvent, directement au cœur de l'action. Les pavés de texte pouvaient sembler longs et fastidieux à ce moment là chez Jacobs, mais ils avaient pour résultat de nous épargner de longues scènes dessinées, lentes et séquencées. Aussi ces pavés ne cherchaient pas à expliquer mais à établir le mystère, renforçant les attentes angoissées du lecteur. Alors, l'histoire lancée, tout allait crescendo dans l'intensité, jusqu'au dénouement, laissant enfin le lecteur haletant et émerveillé.
Déjà bienvenue à toi, et merci pour cette critique très plaisante à lire.
Je dois dire que pour ma part, je n'ai vu aucune "lourdeur" dans ces premières planches. Tout d'abord, le style d'écriture lui-même est assez efficace : les récitatifs (assez rares) et les dialogues restent quand même d'un volume limité, et c'est plutôt bien écrit je trouve.
Ensuite, l'absence de Blake & Mortimer n'est pas un problème à mes yeux : s'il est nécessaire de poser les bases d'un récit sans eux, eh bien soit. J'y ai même vu une certaine promesse pour l'ampleur du récit : on sent que les enjeux dépassent largement leurs petits cas personnels. C'est certes assez inhabituel dans la série, mais je ne pense pas qu'on puisse en faire un "canon" pour autant, et cela me rappelle tout de même le prologue des
3 Formules du Professeur Sato : certes pas 18 planches sans Blake & Mortimer, mais tout de même 8... et c'est peut-être le plus stupéfiant de toute la série, en dehors bien sûr de celui du
Secret de l'Espadon.
Ensuite, pour ce qui est du récit lui-même sur ces 18 premières planches, je trouve qu'il est quand même très difficile de s'ennuyer car on a affaire à un enchaînement de scènes enlevées et comportant de lourds enjeux :
- le départ d'un convoi dans un violent orage, dans une ambiance sombre pour le moins jacobsienne ;
- quelques palabres certes (p. 6-8), mais pour poser les enjeux ni plus ni moins du cœur de l'histoire (la perte d'une caisse, la découverte d'un manuscrit) ;
- la découverte du principal antagoniste de l'histoire, sur une seule planche (p. 9) ;
-
excusez du peu : l'assaut de Lhassa et la fuite d'Olrik qui est aussitôt pris en chasse et arrêté dans un nouvel environnement (p. 10-16) ! Pour s'ennuyer là-dessus, il faut quand même y aller, non ? D'autant que c'est très bien traité graphiquement.
- les suites de la traque du coffret manquant et l'élaboration de la stratégie pour le retrouver, en collaboration avec Olrik (p. 17-18).
Et derrière tout cela, Sente commence à poser très efficacement la situation géopolitique qui est quand même d'une complexité assez poussée, tout en la liant d'entrée de jeu aux personnages de l'intrigue.
Robert-Denis Rault a écrit : ↑26 nov. 2018, 16:59
Ici, malheureusement rien de tel. Après cette longue mise en place, le scénario ne prend pas vraiment son envol. Les scènes d'actions s'écourtent pour laisser place à de nouvelles palabres. Blake, comme toujours dans les reprises, tergiverse, préférant honorer ses rendez-vous plutôt que de se jeter dans la mêlée.
Oui enfin, il y a "rendez-vous" et "rendez-vous" : on parle tout de même d'une réunion au Foreign Office, excusez du peu encore une fois. Et puis il est tout à fait habituel dans la série que Mortimer soit le moteur, et que Blake soit pris par ses obligations professionnelles. Du reste, pour un héros militaire de la guerre qui vient à peine de s'arrêter, être tenu de participer à des réunions avec les plus hautes autorités, ça paraît pour le moins naturel.

D'ailleurs, c'est plutôt la mobilité très facile de Mortimer que j'ai trouvée un peu gênante dans cet album, alors qu'il a de nouveau une lourde mission sur les épaules.
Par ailleurs, la réunion au Foreign Office (p. 20-21) me semble assez habituelle dans la série (surtout dans les albums de reprise, j'en conviens). Elle se limite à deux planches et s'avère pour le moins riche en informations, ce qui est normal pour présenter un territoire éloigné à la fois dans le temps et l'espace pour le lecteur ; qui plus est, il faut actualiser la géopolitique dans un contexte uchronique. Cette réunion éclaire aussi la mission de Blake & Mortimer et se voit reliée aux scènes précédentes (évocation de Xi-Li et de l'Aile rouge).
Robert-Denis Rault a écrit : ↑26 nov. 2018, 16:59
Le Skylantern déboule dans l'histoire sans préparation, perdant ainsi le bénéfice d'un effet fantastique et sans que l'on comprenne l'intérêt d'un tel engin.
Est-ce à dire que tu aurais voulu troquer une planche de "palabres" pour une planche d'explications sur le Skylantern alors qu'il n'est pas utilisé dans l'album ?

L'intérêt de son usage défensif est clairement mentionné et ressort naturellement par rapport à la trame géopolitique. Quant à son fonctionnement, l'explication est logiquement reportée au tome 2, et on l'attend d'autant plus désormais qu'il a été incroyablement mis en valeur sur les trois quarts d'une planche.
Robert-Denis Rault a écrit : ↑26 nov. 2018, 16:59
Et l'évasion d'Olrik de l'enfer de Lhassa atomisé semble alors presque accessoire puisqu'il disparaît de l'histoire pour revenir seulement dans les dernières planches dans un rôle apparemment secondaire. Lors de la scène finale, la révélation de sa mascarade tombe d'ailleurs à plat car, déjà quelques pages auparavant, l'artifice est expliqué par Olrik himself. Damned ! Pas facile de faire une histoire qui tienne la route ...
Là encore, rien que du très classique dans Blake & Mortimer, non ? Après le rôle de sa vie, Olrik est cantonné à des rôles de second plan, et on fait semblant de nous le cacher alors qu'on sait qu'il va surgir à un endroit ou à un autre. Dur d'accuser Sente alors que pour le coup, il s'agit d'un véritable "canon" de la série.
En fait, au global, je ne vois pas bien où il est possible de raccourcir le récit sans nuire à son intelligibilité. Et surtout, Sente réussit en permanence à lier la trame de fond et l'action elle-même, dans le sens où les personnages ont des intérêts directement reliés à la trame de fond.
Cynik, diabolik et machiavélik, mais surtout, anthologik...