Charles Burns : Dédales et autres toxic stories... (1/2)
A ceux & celles qui apprécient uniquement la Bande Dessinée quand elle offre un contenu aventureux dit "classique", avec des scénarios et des modes de narration totalement explicites au premier coup d’œil, vous pouvez zapper ce petit article...
... Mais ce serait dommage !
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"Dédales" Tome 1, de
Charles Burns. Editions
Cornélius - octobre 2019
Une lecture passionnante et déroutante, comme toujours avec cet auteur américain parfaitement hors norme.
C'est un plaisir rare que d'aller se noyer dans ces eaux troubles aux teintes
Black & Burns...
Son graphisme somptueux, à la fois underground, classieux, vintage et contemporain, offre à l’œil un ancrage (et un encrage) solide, presque rassurant.
La puissance de son trait fluide et magnétique permet de mieux se laisser embarquer dans ses récits tortueux, se laisser glisser dans ses échappées oniriques, souvent cauchemardesques même quand elles paraissent séduisantes ou sensuelles. La surface lisse de son papier à dessin est particulièrement trompeuse...
(Autoportrait de Charles Burns)
Mais pour moi, surtout depuis son chef-d'oeuvre (en n&b),
"Black Hole", ce gars-là est simplement inclassable.
Académiciens intransigeants, allez voir ailleurs... Cartésiens rigides s'abstenir !
Ou bien, lancez-vous et tentez l'expérience. Si par exemple - comme moi - vous
savez aimer certains films
labyrinthesques de
David Lynch (auxquels pourtant vous n'avez peut-être pas tout compris de A à Z), alors oui, acceptez de rêver tout éveillés : laissez-vous captiver et hypnotiser par l'un des univers graphiques et émotionnels les plus singuliers, les plus marquants qui soient.
Outre le fait de citer
Lynch - comme je viens de le faire - , beaucoup de commentateurs font souvent des parallèles avec d'autres grands cinéastes de l’Étrange ou de la
déstabilisation comme
David Cronenberg,
Stanley Kubrick,
Chris Marker,
Harmony Korine,
Jim Jarmusch... Ces comparaisons sont probablement un peu faciles. Le "ton Burns" peut évoquer des ambiances, des époques, des thèmes et un véritable art du malaise viscéral qui rappelle ces réalisateurs, c'est possible. Mais il a une façon profondément originale de dérouler, d'articuler et de nourrir ses récits avec un kaléidoscope d'éléments où ses influences artistiques (
mainstream ou underground) se mêlent étroitement à son vécu le plus intime.
Au point de créer une temporalité fascinante, y compris dans son style graphique raffiné qui semble émaner d'hier autant que d'aujourd'hui...
- On reste dans le cauchemar éveillé (vive l'ambiance
jingle bells et merry christmas !)... car là encore, c'est simplement jubilatoire !
Une lecture à propos de laquelle j'étais pourtant sceptique, a priori : l'adaptation en
roman graphique d'ouvrages cultes de la littérature fantastique - réputés "indescriptibles" - , ceux de
Howard Phillips Lovecraft...
Et pourtant, pari réussi ! En l'occurrence avec l'un de ses textes les plus emblématiques (au même titre que ceux du
Mythe de Cthulhu) :
"Dans l'abîme du temps",
brillamment
mis en planches sous forme de manga en noir et blanc par
Gou Tanabe.
Qui plus est, la maison d'édition
Ki-oon a concocté une édition racée et soignée (comme pour les autres titres de Gou Tanabe adaptés de Lovecraft) : le livre offre une épatante reliure imitation cuir, un écrin judicieux pour accentuer la dimension mystérieuse et occulte de ces ambiances à couper au couteau.
En orchestrant un mélange de noirs profonds et de nuances de gris (par trames) d'une incroyable méticulosité, et en dessinant les contours et textures d'un imaginaire à la fois pointilleux et halluciné, le graphisme de l'auteur parvient à retranscrire une part de cet
indicible si cher à Lovecraft. Même les quelques faiblesses sur le dessin des personnages (les visages sont souvent hiératiques, comme taillés dans la pierre) semblent contribuer à l'impact hypnotique des séquences.
Et quand on plonge carrément "dans l'abîme du temps", les perspectives dantesques et les visions cosmiques sont réellement impressionnantes...
