Erca a écrit :
Extrait du
Journal de Tintin n° 30 du 17 avril 1974 :
A l'époque, les écoliers d'origine modeste n'étaient que rarissimement conduits dans les musées et pour ce qui concernait leur culture générale, la bibliothèque scolaire n'offrait que peu de ressources. Mais toutes les fois qu'il en avait l'occasion, Jacobs se plongeait dans "Le Grand Larousse", véritable océan de savoir qui stimulait son imagination. Déjà passionné de science-fiction, il dévorait les œuvres de Jules Verne, de Conan Doyle et de HG Wells, sans oublier l'Histoire, qui l'exaltait.

Je trouve ce genre de dénonciation (peu de ressources, excursions rarissimes) assez comique quand on voit le peu d'Histoire avec un grand H et de culture générale des nouvelles générations. Les budgets en éducation ne font que grimper, les résultats stagnent (voir PISA malgré toutes ces imperfections, il ne teste même pas la culture générale!) C'est l'illusion du fric comme solution, plutôt que l'insistance sur l'effort et la valorisation de la culture et des faits.
Il n'y avait pas de bibliothèque dans mon école (la même qu'Hergé et Franquin à Ixelles), mes parents étaient d'origine modeste. Mais, nous avions cependant nettement plus de culture générale que mes neveux restés en Belgique, malgré toutes les bibliothèques, le matériel informatique et les excursions d'aujourd'hui. Les jeunes de nos jours connaissent la culture «pop» américaine fabriquée pour eux, toutes les causes humanitaires de manière superficielle, participent aux rites modernes, parlent de Mandela en régurgitant ce qu'on leur dit, ce qu'ils ont vu dans un film projeté à l'école, mais on ne leur apprend pas d’abord
les faits sur l'Afrique du Sud avant de les sommer de réagir. Parlez-leur d’Inkhata, de Volkstaat, de Constant Viljoen, du SACP, des Hottentots, de Shaka, du Mfecane, de 1652 et des Xhosa. Ils restent bouche bée. Quoi? Les Bantous n'étaient pas au Cap quand van Riebeek s'y établit? Quoi, l’ANC a éliminé par la force les fédéralistes noirs de l’Inkhata? Quoi il y avait une autre option que le jacobinisme sud-africain actuel? Même ma grand-mère connaissait les Hottentots (fameux fourche-langue en flamand : Hottentottententententoonstelling).
Les jeunes sont mobilisés, entraînés à s’indigner avant d’être instruits. Il y a un mois encore, le thème de la séquence en français pour ma fille qui étudie via le CNED était l’indignation (coucou Stéphane Hessel) et le devoir une imitation de Pablo Neruda (coucou les cocos) dans le registre de la condamnation. D’abord les sentiments, la révolte, peu importe les faits, le rationnel, le réel. Ah, ce mois-ci le devoir porte sur le rêve et le voyage et la condamnation des visées étriquées de petits bourgeois dont se satisfont les jeunes sauf le héros du court roman analysé pendant la semaine. Tous des rebelles, tous des non-conformistes ?
Malgré l'absence de bibliothèque scolaire (pardon de centre de documentation et d'information), il y avait quelque chose comme la
valorisation de la culture générale à l'époque: on s'attendait à ce que nous lisions beaucoup à la maison (nous devions faire des résumés chaque mois d'un livre différent de notre choix) et pas uniquement quelques extraits tirés d'un livre qui répond à un thème politiquement correct. Nous passions des heures à lire des classiques en classe, à la maison, des heures de latin, de grec avec tous ses aspects historiques (Xénophon, Lucien, Ovide, etc.), en plus des cours d'histoire et même de religion (à nouveau l'Antiquité, je me rappelle encore d'une carte de la Décapole au mur), etc. L'Histoire qui exaltait tant Jacobs, ce n'est donc pas « la folie et le désordre » chers à Dufaux.
L'histoire (avec un petit h) pondue par Dufaux est également très différente du roman d'anticipation à la Jules Verne qui était un «scientiste» rationaliste. Enfin... Je pense que l'on réinvente Jacobs. Je suis vraiment triste pour le dessinateur qui a fait un excellent travail. J’ai l’impression que Dufaux et ses obsessions passent bien avant le divertissement (quel concept vulgaire!), bien avant l’histoire ou la fidélité (quel vilain mot rétrograde!) à Jacobs.
Bon, je reviendrai peut-être dans un an sur le forum, pas sûr car on sait déjà que les critiques dans les journaux seront d'office majoritairement bonnes. L'enjeu financier est trop important. Le scénario pourra être médiocre comme dans
L'Onde Septimus, on lui trouvera des subtilités rédemptrices, une originalité et des audaces qui échapperont aux οἱ πολλοί dont je fais partie.